SANS SUITE 52/ Jour 9 : Le bal de clôture (2)
— Où en es-tu de ton roman, Carly ? s’intéresse ma meilleure amie. Tu as réussi à la pondre, ta scène de l'arbre ?
— Tu écris un livre ? s'étouffe John.
C’est vrai, il n’est pas au courant. Peu de gens le sont, en fait. J’acquiesce et explique à ma copine que mon couple a installé son campement dans la forêt et que j’en viens au moment où elle découvre la véritable nature de Don Juan.
— Tu n’as pas beaucoup avancé depuis que tu m’as laissée lire le début.
— Je manque de temps, entre les gîtes et mes enfants. Ce n’est pas à notre retour que je pourrais continuer.
— Ça parle de quoi ? s’enquiert John.
— De plein de choses. Il y a des humains, des êtres surnaturels, de nouvelles créatures aussi, et une histoire d’amour impossible. Pour faire court, c’est la fin de l’être humain.
— Une histoire d’amour impossible ? Tu fais référence à Lukas ?
— Oh non ! Quoique, mon personnage lui ressemble, quelque part.
— Bien.
Lukas !
— Je t’ai donc donné quelques détails croustillants à rajouter pour rendre ce personnage plus réel. J’en suis ravi. De plus, tu penseras à moi quand tu écriras.
Il ne manquait plus que lui ! Monsieur Perfection. Je ne veux pas qu’il connaisse ma passion pour l’écriture et la lecture et surtout pas aborder ce sujet avec lui. Il va me bombarder de questions pour mieux utiliser mes réponses contre moi.
— Carly est romancière ! Tu le savais ? l’informe son ami-frère.
— Vraiment ? Tu racontes ta vie ou une histoire d’amour ?
— Je ne couche pas ma vie sur papier, et oui, c’est une histoire d’amour. Pour ton information, on peut aimer de différentes façons. Il y a l’amour familial, la passion et l’amitié. Mais je parle aussi d’humanité, et d’une certaine forme d’égalité, de solidarité. Bien sûr, tu ignores le sens de ces termes.
— Waouh ! Joli couplet. C’est vrai, tu y mets tout ton cœur ! C’était juste une question, alors arrête de grincer des dents car tu ne sais rien de ma vie. Tu seras surprise d’apprendre que je manque de temps pour lire, et pourtant j’aime ça. Ça m’arrive encore, car cela me détend, mais je n’en ai que rarement l’occasion. Malgré ta confiance qui me va droit au cœur, j’aimerais apprendre le sens de ces mots, ceux que tu m’accuses d’ignorer, et je te propose de me laisser les découvrir à travers ton livre.
— Hors de question ! Tu es la dernière personne à laquelle je confierais ne serait-ce qu’une seule ligne ! En plus, je n’ai pas fini.
— Dommage. Puisque tu le prends comme ça… Saches que j’ai des relations. Énormément de relations. Ainsi qu’un nombre incalculable de ressources que tu n’imagines même pas. Mais, tu as raison, Marie-Madeleine, les histoires d’amour me donnent envie de vomir.
— Normal, puisque tu n’aimes que toi !
— À plus, Marie-Madeleine.
Je hausse les épaules ; mon humeur en a encore pris un coup. Non mais de quoi se mêle-t-il ? Il serait temps que quelqu’un lui explique qu’il n’est pas le nombril du monde et que toutes les conversations ne tournent pas autour de lui.
— Tu es dure avec lui, ce soir, me fait remarquer Sybille.
Ce à quoi leur copain commun renchérit :
— Lorsqu’il parvient à faire un pas en avant, tu l’obliges à reculer.
— Oui, et bien figure-toi que des pas avant, j’en ai assez fait avec lui. À mon tour de reculer.
— Vous irez loin comme ça, c’est sûr, raille encore mon amie.
— Ça tombe bien ; il n’est pas prévu que nous allions où que ce soit ensemble. Mais, et vous, vous en êtes où, justement ?
— À ce niveau nous sommes un peu plus intelligents que vous deux. On profite du peu de temps qu’il nous reste, Carly !
Je ne rentrerai pas dans son jeu. D’ailleurs, depuis quand me trouve-t-elle trop dure envers lui ? C’est nouveau, ça ! John n’est pas Lukas. Il est finalement bien plus agréable et réaliste que son pote. Je suis soulagée d’apprendre qu’ils sont conscients de la fin proche de leur idylle. Cependant, un autre point me tracasse :
— Vous allez vous revoir, après ?
— Euh… Non, ce n’est pas prévu.
Ils ont tout de même échangé un petit regard de connivence. Je n’insiste pas, car après tout, cela ne me regarde pas. Je voulais juste m’assurer que Sybille n’allait pas souffrir de leur séparation. John baisse la tête et m’interroge d'un air amusé, avec son sourire intrépide :
— Et vous ? Vous les prévoyez comment, les retrouvailles ?
Je grogne une réponse incompréhensible. En fait, je râle pour ne leur laisser aucune possibilité de m’attaquer sur ce terrain. Ils se contentent d’un regard entendu envers ma petite personne avant de se réfugier, main dans la main, à l’intérieur. Comme je n’ai aucune envie de rester seule à l’entrée de la salle, je les suis, tel le bon toutou de sa mémère.
Je me prépare à revoir Lukas qui ne manquera pas une nouvelle remarque acerbe, et un Mickaël, égal à lui-même, posé et sage.
John et Sybille n’ont pas le temps de reprendre place que Lukas leur annonce son désir de partir. Je suppose qu'il doit récupérer, lui aussi ; un homme tel que lui ne peut pas reprendre son rôle de propriétaire de casino à Las Vegas avec des cernes sous les yeux. Pourtant, je n’ai vu aucun signe de fatigue sur son beau visage. Il me paraît las, tout de même. Son teint est très pâle, et ses yeux n’offrent plus le même éclat. Il reste parfait, quoiqu’il en soit. Mince, je ne me rends compte que je le dévisage qu’au moment où son regard sévère se pose sur moi.
Je ne me détourne pas. Après tout, je n’ai rien à me reprocher. Ses traits durcissent davantage, mais il tourne la tête quand Angie l’interpelle. Je ne saisis pas bien ses paroles, lancées sur un ton agressif, mais j’ai bien compris qu’elle exprime son désir de rester et de ne pas se plier aux caprices de son frère.
Mickaël me demande si je souhaite moi aussi partir ; je ne peux pas lui avouer que j'aimerais suivre le gougeât, alors je le questionne à mon tour. Peut-être est-il épuisé par son travail. Oui, car lui n’est pas venu en touriste, mais en professionnel. Il m’affirme pourtant que ces dix jours n’avaient rien d’harassant et pour me le prouver, il s’empare de ma main et m’entraîne sur la piste de danse. Je n’ai plus trop le cœur à ça, mais, soucieuse de lui faire plaisir, je le suis sans rechigner. La série de slows vient juste de débuter ; j’espère ne pas avoir à regretter cet enlacement. Sereine, dans les bras puissants de Mickaël, la tête sur son épaule, je laisse mon esprit divaguer. Au bout d'un moment, je sors de ma torpeur et me demande à quoi il peut bien penser alors que je dors à moitié tout contre lui ? Pas à moi, j’espère. Je relève la tête et lui pose la question.
— J’essayais de m’imaginer la Guadeloupe, d’après tout ce que tu m’en as dit.
— Ah, et ça te plaît ?
— D’après toi ? J’ai l’intention de la visiter...
— Oui, c’est vrai. Écoute, préviens-moi si tu décides de faire ce voyage. J’ai, pour l’instant, refusé ta proposition, mais ce serait dommage que tu sois si proche sans qu’on se voit. En plus, je ne vais pas laisser un ami dépenser une fortune en hébergement alors que je peux l’accueillir dans l’un de mes gîtes.
Je lui adresse un petit clin d’œil. Cela me ferait vraiment plaisir de le revoir, mais je ne veux pas qu’il entretienne le moindre espoir de relation amoureuse entre nous.
Le bal s’achève avec les dernières notes de ces musiques apaisantes et nous quittons les lieux après avoir salué les vendeurs des piscines Jacquet.
Annotations
Versions