SANS SUITE 43/ Jour 8 : Retour de l'enfant
Galant, il porte le sachet.
J'admire les vêtements dans les vitrines quand un petit maillot rouge retient mon attention. En soie, sans manche, une marguerite de taille moyenne brodée au milieu de la poitrine, il se marierait harmonieusement avec ma jupe noire à fleurs. Manque de chance, son prix me promet de gros regrets.
Je m’éloigne de quelques pas pour contempler les mannequins exposés à côté, et remarque avec stupeur qu'ils sont habillés de lingerie ! Demi-tour ! Sauf que mon compagnon n’est pas de cet avis. Il se montre fort discret, et murmure :
— Regarde cette nuisette, Carly ; je la verrais bien sur toi.
— Ça fait très… Halloween.
— On s’en fout. La couleur orange mettra ta peau et tes cheveux en valeur. Rien que d’y penser, j’ai déjà envie de te l’enlever.
— Donc, ça ne sert à rien de l’acheter.
— Ok, on ne l’achète pas. Mais essaie là, au moins. S’il te plaît, Carly.
Je craque. Ici, le "on" employé, signifie "nous". Ajouté à son attitude de gamin, son regard suppliant et son sourire qui m'attendrit, il a raison de ma ténacité :
— D’accord, mais tu viens avec moi.
— Je ne raterais ça pour rien au monde.
Je passe le joli dessous avec plaisir ; le satin qui glisse sur ma peau est d'une telle douceur ! Mon reflet dans le miroir donne raison à Lukas. La couleur orange me sied à merveille et la coupe fait de moi une femme vraiment très sexy. Si bien que je suis presque tentée de céder à cet achat compulsif. Mais est-ce bien nécessaire ? Soixante-neuf euros pour un morceau de tissu qui va durer cinq minutes et que je ne porterai qu'une fois ? J'en suis là, à me torturer l'esprit, quand je sursaute violemment avec un petit cri.
Lukas a entrebâillé le rideau et passé sa tête. Depuis combien de temps m'observe-t-il ainsi ? Prise en flagrant délit de méditation, je cherche à accrocher son regard tandis que je me tourne pour lui faire face. En vain. Ses yeux me détaillent de la tête aux pieds. Enfin, ils rencontrent les miens. Ils se referment aussitôt, et Lukas secoue la tête avant de disparaître derrière le rideau en m'ordonnant de me rhabiller.
Comme d'habitude, sa réaction me déçoit. Car, si en fin de compte cette tenue ne lui a pas plu, pourquoi avoir manqué de franchise ? C'est pourtant simple : « je me suis trompé ; le orange ne te convient pas, c'est trop criard. » J'aurais compris. Mais non, Monsieur ne donne aucune explication. Monsieur en est dispensé. Il est tellement plus facile de tourner le dos et d'aboyer des ordres !
Je suis surprise de le trouver à la caisse avec la vendeuse. Je pensais qu'il aurait quitté la boutique pour m'attendre à l'extérieur, ou pire, qu'il ne m'aurait pas attendue du tout. Mais que font-ils ? Alors que je m'approche, elle pose un sachet en carton sur le comptoir pendant qu'il tape son code bancaire !
— Lukas ! Que fais-tu ? Je ne veux pas de cadeaux ! Nous en avons déjà parlé !
— Je t'ai dit que nous ferions les comptes à la maison.
— À la maison ?
— À la villa, Carly !
— Je n'avais pas l'intention de l'acheter, Lukas ! Tu m'obliges à faire des dépenses imprévues et cela ne me convient pas ! Je n'ai pas de carte illimitée, moi. Tu dois en prendre conscience.
— Comment aurais-je pu résister à la tentation après ce que j'ai vu dans la cabine, Carly ? Fais-toi plaisir, fais-moi plaisir, profite. Je le fais parce que je le veux et surtout que je le peux. Destresse ! Il n'y aura pas de reproches, je te l'assure. Bon, on va acheter des bonbons pour notre soirée Halloween ?
La boutique de friandises est formidable ! Les éclairages orientés très astucieusement nous mettent l’eau à la bouche, si bien qu’on achèterait un petit peu de tout. Lukas a déjà entamé sa sélection. Le sachet transparent qu'il tient laisse passer une multitude de couleurs et je reconnais des fraises, des bananes, des crocodiles, d'autres bonbons à l'emballage fruité. Je l'observe tranquillement et m'abreuve du spectacle que m'offre cet homme-enfant impatient et surexcité de gourmandises. Il ouvre une nouvelle boîte, et s'empare de la pelle qui plonge sans délicatesse au milieu des Schtroumpf. Il va remplir son sachet ! En effet, il peine à le nouer, et en demande un second à la caissière. Enfin, il semble se souvenir de ma présence et me tend le paquet vide. J'affiche une fausse moue :
— J'avais espéré que tu m'offrirais plutôt le magasin.
— Ce serait une excellente idée, très chère amie, mais je crains que cela ne représente un mauvais investissement, car vous ne manqueriez pas, Madame, d’avaler le stock en entier et de ne plus rien avoir à offrir à vos clients. De plus, je me soucie de votre santé, et vous protège ainsi de l’obésité. Ceci dit, en bon prince que je suis, je vous autorise à vous faire plaisir en garnissant ce sachet, à votre tour.
— Il semblerait que vous ayez choisit pour deux, très cher ami. Ce pourrait-il que nous apprécions les même sucreries ?
Je ne rajoute rien ; je souhaite juste qu'il n'ait pas l'intention de les avaler toutes ce soir. Bonjour l'indigestion ! Il ne peut bien sûr s'empêcher de compléter cette petite folie de barres chocolatées, de réglisses et de sucettes.
Sybille et John nous ont donné rendez-vous devant une maroquinerie. Ils ont faim et nous attendent pour déterminer quel restaurant nous recevra. Dans l'euphorie de ma promenade en compagnie du magnifique Lukas, j'en avais oublié que sa chère sœur et Leandra devaient nous rejoindre. Aussi quelle n'est pas ma déception lorsque j'aperçois Angie en grande conversation avec mes deux amies. Lukas, lui, marque une pause à quelques mètres du groupe. Surprise, je l'interroge du regard et ne peux manquer son air dépité. Serait-ce la vue de la vipère qui le chagrine ainsi ? Ça ne me surprendrait guère ; il pense sans doute comme moi, que cette rabat-joie va assombrir nos humeurs par ses réflexions déplaisantes et gâcher le reste de cette paisible journée. Cependant, toute à sa discussion animée par ses grands gestes, elle ne nous prête aucune attention, ce dont je suis fort soulagée.
Nous parcourons une nouvelle allée, qui va nous mener au quartier repas, quand John s'arrête devant la vitrine d'un magasin de jouets et interpelle Lukas :
— Tu as vu ça ? Ils ont évolué, les pistolets ! Ils sont énormes !
— Regarde les cartouches, elles sont en mousse ! Excellent !
Lukas regarde sournoisement son copain et, avec son petit sourire malicieux :
— On va jouer ?
Echange de coups de coudes, regards complices et les voilà qui se précipitent dans le magasin. Impuissantes à les retenir, nous n'avons plus d'autre choix que de les suivre. Les filles et moi évaluons l'intérêt de plusieurs jeux de société ; Angie réfute tous mes arguments, mais je ne me laisse pas faire car j'estime qu'étant mère de deux enfants, je suis mieux à même de juger que cette demoiselle. Je pousse un hurlement quand une main saisit ma nuque avec fermeté alors qu'une lame passe devant mes yeux. Les doigts sur mon cou tirent pour me coller à un corps derrière moi en même temps que l'acier appuie sur ma trachée et m'oblige à reculer. Une voix grave parle contre mon oreille :
— Madame farouche ! Vous avez épuisé la patience de votre prince ; votre conte de fée prend fin à ce moment précis !
Lukas ! Les autres sont hilares. John, que je n'ai pas vu entrer dans le rayon, se tient les côtes. Mes doigts se posent sur le faux tranchant de l'arme en plastique afin de l'écarter de ma gorge et faire face à mon agresseur en herbe. J'emploie un ton sévère pour m'adresser aux deux hommes :
— Tenez-vous bien les enfants, nous sommes dans un magasin. Tout le monde nous regarde. Si vous ne vous calmez pas, pas de glace.
— Ouais ! Une glace ! Je veux à la vanille ! trépigne John, tel un gamin. Viens Lukas ! Direction le marchand de glace !
Les voilà qui s'enfuient en criant leurs parfums préférés. Je ne peux m'empêcher de rire avec mes amies, et même de continuer alors que nous suivons leurs traces. Enfin, nous sommes vite indécises car ils sont partis si vite que nous ignorons quelle allée prendre. Seule Angie reste de marbre. J'évite avec précaution de poser les yeux sur elle ou de lui parler par crainte d'une remarque cinglante qu'elle prépare sans doute déjà. Agacée, elle utilise son i phone pour joindre son frère.
— Suivez-moi, ordonne-t-elle après avoir raccroché.
Exaspérée, ce sont les uniques mots qu'elle nous accorde, avant de filer dans les couloirs du centre commercial sans même s'assurer que nous sommes bien derrière elle. Leandra et moi étouffons nos rires face aux grimaces moqueuses de Sybille. Nous retrouvons les hommes-enfants en quelques minutes. Ils s'intéressent à la carte d'un restaurant de viande.
— Qu'en pensez-vous, Mesdames ? demande John, redevenu sérieux.
Elles sont toutes tentées, mais pas moi. Je n'ai pas visité les magasins d'articles de sport et je crains qu'ils ne soient fermés à l'heure où nous terminerons notre repas. J'en fais la remarque à Lukas qui soupire et prend sa faim pour prétexte.
— Tu m'avais promis ! Je t'ai écouté quand tu m'as dit d'attendre pour ne pas être trop chargée ! rappelé-je, d'une voix déçue. Lukas, s'il te plait, ne gâche pas cette journée.
— On mange rapidement et on y va, ok ?
— Non. répliqué-je sur un ton ferme, avec un regard écoeuré. Je n'ai pas besoin de toi, de toute façon. Vas manger. Bon appétit.
— D'accord ! On mangera après ! Vous autres, ne nous attendez pas. On grignotera quelque chose plus tard.
Il va se sentir forcé, -quoique je doute fort qu'il soit possible d'obliger Monsieur Perfection à faire quelque chose qu'il ne veut pas-, et se montrer très désagréable. Je préfère arpenter les rayons seule que de revoir Cro-Magnon. Aussi :
— Ne te sens pas obligé, surtout...
— On y va ou tu préfères perdre encore du temps ?
Le choix est varié et je trouve facilement les baskets que m'ont demandés les garçons. Le vendeur partit cherché les bonnes pointures en réserve, j'examine les tee-shirts de foot. Mon plus grand aime le club de Marseille et son frère vénère les joueurs de Barcelone.
Lukas teste des raquettes de tennis un peu plus loin. Il pratique ce sport ; ça se voit ; il manie l’outil avec une telle dextérité ! Il est sexy en toute circonstance ! Bref, ses essaies me laissent encore un peu de temps pour faire floquer le prénom de mes fils sur les vêtements. L'opération demandera un petit quart d'heure car la machine est éteinte et froide ; j’enquiquine les vendeurs, je le vois bien, mais je m’en fiche.
Pendant ce temps, je me dirige vers les maillots de bain, en sélectionne trois et me réfugie en douce dans une cabine d'essayage. Lukas doit absolument ignorer mes intentions, sans quoi il ne manquera pas de me suivre pour me prodiguer des conseils que lui seul jugera utiles. Je ne veux pas qu'il vienne m'observer à travers le rideau dans ce lieu si indiscret. Par chance, il est absorbé par les explications du conseiller et ne me prête aucune attention. Premier maillot : un deux pièces marron avec des franges et des perles turquoises. Joli, mais je n'ai plus l'âge ; ça fait un peu gamine. Beaucoup même. Suivant : encore un deux pièces, mais blanc avec de grosses fleurs rouges. Cette fois, la culotte fait grand-mère ; beurk. Je crois que je vais rester classique avec le dernier, toujours deux pièces. Celui-ci est noir avec de fines rayures jaunes, rouges et vertes. Il se noue autour du cou et dans le dos, et le bas s'attache de chaque côté avec des galons perlés. Je suis satisfaite du résultat. Ça n'aurait pas été le cas, j'en serais restée là. Cet achat n'a rien d'urgent étant donné que mes occasions de flemmarder sur la plage se font rares. J'aurai plus l'utilité de cette tenue lorsqu'enfin je disposerai d'un spa ou d'une piscine.
Mince ! Mickaël ! Les jours passent et je n'ai encore pris aucune décision quant à sa proposition. Si j'accepte, les frais engendrés, par lui comme par moi, en vaudront-ils la peine ? Juste pour un devis, qui plus est. D'un autre côté, il m'a assuré faire le déplacement avec sa fille, avec ou sans mon consentement. Dans ce cas, autant faire d'une pierre deux coups. Pourtant, je ne dois pas faire abstraction de ses sentiments à mon égard. Sachant qu'il ne me laisse pas indifférente, et que Monsieur Perfection sera absent, résisterai-je à la tentation ? Dans quel but ? C'est la pire de mes interrogations : où cela nous mènera-t-il ?
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