Après avoir défait mes valises et partiellement garni la salle de bain -une seule pour six chambres-, je rejoins mes amies dans la cuisine. Nous ne connaissons pas les goûts des gens qui partageront nos repas dès ce soir. Ils vont arriver tard, aussi fatigués que nous par le voyage, alors nous décidons de préparer un assortiment de crudités et un plat de lasagnes.

La nuit tombée, le diner est enfin prêt et il ne nous reste plus que la table à dresser quand j’entends le portail s’ouvrir, puis le vrombissement d'une voiture sportive qui s'engouffre nerveusement dans le jardin. Je me hâte de réunir les couverts pour aller saluer les nouveaux arrivants avec mes amies. Hélas, ils sont plus rapides que moi et font déjà les présentations sur la terrasse. Sybille toussote, une sorte d’étouffement mélangé à un rire contenu, sa manière de me prévenir qu’une surprise m’attend. Intriguée, mais réservée et prudente face à l'inconnu, je tends l’oreille en lavant mes mains, prête à signaler ma présence. Leurs voix se rapprochent. Elles frôlent la porte. Ils sont là !

Sybille me désigne alors qu'elle prend la parole :

— Voici Carly, c’est elle qui a eu l’idée de venir ici.

Je pivote dans leur direction, légèrement inquiète, mais ravie de les accueillir. Je manque à mon tour de m’étouffer et reste sans voix devant la perfection qui me fait face ! Un léger strabisme ajoute une pointe de mélancolie à des iris bleus, doux et sévères à la fois, rieurs, mis en valeur par des sourcils épais, arqués par l'intérêt et la curiosité. Ses lèvres parfaitement dessinées ébauchent un sourire séducteur qui me déstabilise, m'hypnotise, me charme. Il m'est impossible de regarder mon amie, à coup sûr en train de guetter ma réaction. Mes joues sont brûlantes, rouge vif, c'est sûr. Perfection me ramène à la réalité quand il me tend la main.

— Salut, moi c’est Lukas, annonce-t-il avec un fort accent.

Anglais ? Peut-être.

— Carly, j’articule d’une voix cassée avant d'accepter sa poigne avec maladresse.

J'ai vaguement conscience de saluer une fille et un autre gars, il me semble même entendre leurs prénoms, aussitôt relégués dans un lointain coin de ma mémoire.

Je dois trouver quelque chose à dire, et vite !

— Vous voulez sans doute vous installer avant de passer à table.

Mon index pointe en direction du couloir, ma tête se baisse légèrement de peur de trahir mon émotion. Ridicule, car même si cela n’a duré que quelques secondes, ils ont tous pu voir mon trouble. Les sourires moqueurs qu'ils affichent quand ils me dépassent le prouvent, d'ailleurs.

Les filles se précipitent à ma suite dans le jardin qui me sert de cachette. Leandra chuchote en levant les yeux vers les chambres, puis, devant nos airs ébahis, elle s'esclaffe et agite les bras dans tous les sens. Je suis interloquée, je ne l'ai jamais vue, ni même entendue s'extasier ainsi devant un autre homme que son mari !

— D’où sortent-ils ? Ces gens sont d’une telle beauté ! Tous les trois !

— C’est vrai, même la fille est splendide, renchérit Sybille. J’aimerais avoir son épaisseur de cheveux ! Comment peut-elle les tenir si longs, si naturellement bouclés et si soyeux ?

— Elle est sûrement la femme de l’un d’eux, j'analyse, lèvres pincées.

— Non, chacun sa chambre…

C’est vrai, Sybille les a accompagnés dans le couloir pour leur indiquer les pièces encore disponibles.

— Bon, ça suffit, on dirait des ados, rentrons.

Mes esprits ont repris leur place dans mon cerveau, en route pour la seconde rencontre avec Perfection. Un désagréable pressentiment me contrarie, car je sais par expérience que les gens à la plastique parfaite peuvent se montrer redoutables.