SANS SUITE 14/ Jour 3 : Belle étoile
Nous faisons le trajet en silence, et je finis par m’endormir. Je ne sens même pas le moteur s’arrêter. C’est mon chauffeur qui me réveille ; il me secoue doucement le bras. J’émerge tant bien que mal, avec en fond sonore des bruits de portière.
— Nous sommes arrivés, Carly. Tu as fait de beaux rêves ? me demande-t-il avec son sourire craquant.
— Oui. Ça va, je concède, encore à moitié dans les vapes.
Je me frotte les yeux quand sa main se pose sur ma joue et qu’il me murmure à l’oreille à quel point il est désolé. Je le regarde bien en face pour lui expliquer que cela ne prend pas, que ses petits mots d’excuses ne suffisent pas, mais son visage est tellement près du mien... Je perçois sa respiration, et quand il pose ses lèvres sur les miennes, je fonds. Je réponds à son baiser, doux et tendre. Mes sens s’éveillent aussitôt, mais il recule. Alors qu'il ouvre sa porte, il prend quand même la peine de se tourner vers moi pour m'apporter un semblant d'explication :
— Nous reprendrons tout à l’heure, si tu es d’accord ; pour l’instant, les autres nous attendent et j’ai beaucoup mieux à te proposer qu’une partie de jambes en l’air dans une voiture qui, en plus, ne m’appartient pas.
Ne nous voyant pas traverser le site les bras chargés de draps et couettes, nous décidons de nous rendre à la plage en voitures. Les filles et moi prenons quelques boissons au bar qui nous accueille au bord de la plage, tandis que les hommes installent nos couchages, un peu à l’écart du bruit et de la lumière.
— Nous allons observer les étoiles et dormir en-dessous ! annonce Lukas avec fierté. C’est une première, pour moi.
J’attends qu’il s’installe sur un drap avant de m’assoir à l’opposé, mais il se relève et me rejoint. Il entreprend alors de m’expliquer comment reconnaitre la Grande Ourse. Malgré ses explications patientes et sa comparaison à une casserole, rien à faire, je ne vois que des points disparates qui brillent dans le ciel. Quand il se moque de mon manque d’imagination, je lui rétorque que je suis juste réaliste et que je ne distingue qu’un ciel étoilé, sans aucun rapport avec un ustensile de cuisine. De plus, s'il n'a jamais dormi à la belle étoile, comment s'y connait-il autant ? Je suis consciente de son nouveau petit jeu. Il cherche à m’attendrir, à ce que je lui pardonne ses mots cruels, mais je ne suis pas d’accord. Si je le laisse faire, jusqu’où ira-t-il demain ? Que devrai-je encore supporter, qui sera sûrement bien pire ? Et pourquoi moi ? Suis-je une proie si facile ? Ce ne sont pas les jolies filles qui manquent ici.
Pourtant, il recouvre nos genoux de la couette quand je frissonne ; j’avais oublié à quel point les nuits peuvent être fraîches en métropole, même l’été. Puis il m’invite à poser ma tête sur son épaule, en tout bien tout honneur, précise-t-il, quand il reprend ses explications sur la voûte céleste. Je l’écoute avec patience, bercée par sa voix, les murmures de nos voisins et le remous des vagues qui viennent s’échouer sur le sable. Je me sens bien, au chaud, sous une couette moelleuse, en respirant un parfum agréable.
Tout à coup, il se rend compte que je ne réponds plus que par monosyllabes, et les muscles de son bras se contractent légèrement quand il tourne la tête vers moi. Il me demande si je dors, et je peine à me redresser après qu’il ait déposé un baiser sur mon front. Nos regards se rencontrent et ne se détachent plus. Maintenant bien réveillée, j’essaie de déchiffrer ses pensées alors que je me retiens de l’enjamber pour l’embrasser. Il fronce imperceptiblement les sourcils pendant que sa main glisse le long de mon dos, jusqu’à ma taille. Aurait-il deviné mes intentions ? Ou partagerions-nous les mêmes ? Ses doigts poussent ma hanche et m’invitent en effet à m’étendre sur lui. Mes yeux exercent des va-et-vient de ses iris à ses lèvres entrouvertes, mais j’hésite. Comme à chaque fois que nous sommes si proches, mon désir entrave ma raison et je finis toujours par le regretter. Il a perçu mes doutes et sa main insiste sur ma nuque, avec de plus en plus de fermeté. Je ne peux refuser une telle invitation, et je cède à nos envies. Notre étreinte monte en puissance, poussée par notre désir. Mais alors que je me décale pour le laisser enfiler un préservatif, j’aperçois Sybille et John, allongés dans les bras l’un de l’autre, qui nous observent d’un air amusé. Je les avais oubliés. Lukas m’écarte pour se lever et me fait signe de l’imiter. Main dans la main, nous nous rapprochons de l’eau. Sur le sable mouillé, il quitte son polo, puis son jean et avance dans la mer. Je ne veux pas me baigner ! Mais il revient vers moi en nageant, et le spectacle des gouttes éclairées par la lune sur ses épaules est fascinant ; il met en valeur son corps musclé.
— Viens. Il fait meilleur que sur la plage, affirme-t-il. Garde ta robe, tu enfileras mon polo quand on ressortira.
— Je vais avoir froid, je proteste pour la forme.
— Ne sois pas bornée. Donne-moi tes mains, réclame-t-il en me tendant les siennes.
Je m’exécute et il me tire en avant avec douceur, m’aidant à progresser dans l’eau sombre. Je sursaute lorsque quelque chose frôle mes chevilles.
— Entoure-moi de tes jambes, m'offre mon héros, je nous conduis plus loin.
J’obéis, terrorisée par la vie inconnue qui entoure une bonne partie de mon corps. Le regard profond de Lukas me fait oublier mes peurs, et je ne pense plus qu’au plaisir que nous allons partager. Je caresse son dos, ses épaules, ses bras et son cou. Mes doigts lissent ses cheveux quand nos langues se cherchent et se trouvent, et ses mains courent, sous ma robe dont le bas flotte à la surface de l’eau. Il me regarde intensément, en attente de mon accord pour aller plus loin. Pour toute réponse, mes lèvres se jettent sur son cou, en aspirent la peau, et j’attrape ses fesses pour me coller plus encore à lui. Il frôle mon intimité ; je m’agrippe à ses épaules et les mordille. Je parviens à saisir son sexe et le dirige vers le mien, en le défiant du regard. Qu’il ose me dire non ! Je cesse de respirer quand il me pénètre, prête à m’envoler avec les millions de papillons qui dansent dans tout mon corps. Mais il se retire. Il ne me quitte pas des yeux et recommence. Encore et encore, en avançant juste de quelques millimètres à chaque nouvelle tentative. Lui aussi en a le souffle coupé.
— Lukas… s’il te plaît… je l'implore.
— Oui, concède-t-il, la voix cassée.
Il s’enfonce encore en moi, sans s’écarter, marquant de courtes pauses entre chaque progression.
— C’est trop dur, Lukas.
— Je me retiens, je t'attends.
— Arrête de te retenir, s’il te plaît !
Enfin, il s’introduit entièrement, lâchant au passage un son rauque, et je laisse le plaisir m’envahir quand il jouit, remuant à peine, au fond de moi.
Après quelques minutes, il saisit ma main pour la poser sur son cœur :
— Il va falloir qu’on cesse de faire ça, murmure-t-il, l'air grave.
— De faire quoi ?
Ça ne va pas recommencer ! Il poursuit, inquiet, les sourcils froncés :
— Mon cœur ne va pas tenir. Tu sens les battements ?
— Ton cœur va très bien. Ne cherche pas encore un nouveau prétexte pour te débarrasser de moi. Ramène-moi juste au bord et faisons encore une fois comme s’il ne s’était rien passé, d’accord ?
Il répète un juron à plusieurs reprises alors qu’il progresse dans l’eau, et continue encore, lorsqu’il me dépose sur le sable. Il râle toujours lorsqu’il me tend son polo et me conseille de me changer avant de filer me réchauffer sous la couette. Leandra est allongée un peu plus loin ; elle semble dormir. Elle partage un lit de fortune avec Angie, qui est bien assise, elle, le visage dirigé vers nous. Elle nous épie. John et Sybille, quant à eux, sont cachés sous leur couverture, qui bouge discrètement…
Lukas reste à l’écart, en faisant les cents pas. Je ne saisis toujours pas les raisons de son comportement. Si je l’insupporte autant, pourquoi revient-il à la charge ? Pourquoi persiste-t-il à m’adresser la parole ? Pourquoi ne m’ignore-t-il pas tout simplement ?
Il a dû se calmer car il se dirige vers moi pour s’allonger à mes côtés.
Je fais semblant de dormir en espérant qu’il y croit et se taise. Je suis étendue sur le dos, imaginant et comptant des moutons qui sautent une barrière pour m’exhorter au calme. Exercice compliqué dans la mesure où je me sens observée. C’est lui, je le sais, qui me dévisage en cherchant un nouveau sujet de dispute.
Comme prévu, il attaque, sur un ton cassant :
— Je sais que tu ne dors pas. Malgré tous tes efforts, ta respiration manque de régularité.
C’était sûr. Je lui réponds ou je persiste à faire semblant ? Je décide de ne pas bouger un orteil, pas même un cil.
— Tu vas me dire pourquoi tu refuses de me regarder et de me parler ? Ce n’est pas mérité cette fois, si ?
Parce que la nuit n’est pas terminée et qu’il croit pouvoir se servir encore de moi. Je me décale et lui tourne le dos.
Son timbre est acerbe quand il reprend ; c'était inévitable :
— Tu crois que tu vaux mieux que moi, Carly ? Tu te trompes complètement, car tu peux afficher tes airs déterminés autant que tu veux, tu peux tenter de m’ignorer, mais tu n’y arriveras jamais. Je n’ai qu’à poser les yeux sur toi pour que tu perdes toute pudeur.
Rien à faire. Je ne peux pas le laisser m'injurier sans répondre. Je me redresse d'un bond et le dévisage avec l'espoir de comprendre sa cruauté :
— Mais enfin, je t’ai fait quoi pour que tu me traites comme ça ?
— Rien. Il est seulement tellement facile de faire tomber ta façade ; un sourire, un regard, et hop, c’est gagné.
Voilà. Ça recommence. Je suis encore tombée dans son piège. Où vais-je trouver la force de lui résister si toutes ses insanités ne me suffisent pas ? Ai-je toujours été aussi idiote ? Je suis seule pour lutter contre cette puissante attraction et je suis totalement perdue quant au moyen de la combattre. Mes larmes menacent de me ridiculiser encore un peu plus. Je dois mettre de la distance entre cet homme abject et moi, pauvre sotte.
— Vas te faire voir, Lukas !
Seule, sale et effrayée, je regagne la villa.
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