SANS SUITE 18/ Jour 4 : Soirée en discothèque (1)

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Le DJ passe un titre que j'aime beaucoup au moment où nous entrons dans la discothèque. J'ignore l'appréhension qui me tenaille et entraîne mes amies sur la piste de danse. Je me sens un peu raide, mais ça ira mieux après quelques chansons, quand je serais détendue. Je parcours discrètement la salle des yeux à la recherche de nos insupportables colocs et repère John, affalé sur une banquette devant une table remplie de bouteilles et de carafes. Bien, voilà le lieu où je ne dois poser les yeux sous aucun prétexte, et encore moins me rendre.

Je me demande où se cachent Lukas et sa charmante sœur. Les éviter est primordial si je ne veux pas qu'ils m'aperçoivent et reviennent s'amuser à mes dépens. La foule des danseurs doit les dissimuler car je ne les vois nulle part. De quelle euphorie sont-ils tous pris, d'ailleurs ? Pourquoi tous ces cris d'encouragement ? J'entends John hurler le prénom de son copain puis brailler tel un cow-boy. Il s'est redressé et frappe dans ses mains, le regard perché au-dessus de ma tête. Jusqu'à ce qu'il me reconnaisse. Ses bras retombent mollement le long de son corps tandis que ses yeux opèrent de brefs va et vient entre moi, Sybille et le haut de mon crâne. Je finis par me retourner et reste interdite devant le spectacle.

Sur la scène, Lukas tient fermement par la taille la fille blonde avec laquelle je l’avais surpris le tout premier soir ; elle se colle à lui, une main dans son cou pour se maintenir. Ils dansent, emportés dans leur frénésie, sexe contre sexe ! Je m'aperçois alors que je suis là, inerte, bouche bée, respiration bloquée. J'avance, à pas lents ; je joue des coudes pour me frayer un passage. L’estrade me bloque le chemin, m'arrête. Je reste plantée, à regarder l'objet de ma nouvelle humiliation se déhancher en pensant sûrement à ce qu'il prévoit de faire du reste de sa nuit.

Je suis frustrée, écœurée, et pourtant fascinée. J'aimerais avoir l'audace de cette femme, qui me permettrait de franchir l'obstacle et de la pousser pour me coller à sa place contre cet homme que je désire encore. À cette réflexion, les paroles de Sybille me reviennent à l'esprit : prendre ses distances pour ne pas souffrir. Puis les mots d'Angie : tu ne ressembles à rien, tu n’es rien. Je suis bien forcée d'admettre que nous vivons dans des mondes différents. Je le savais déjà, mais... mais je ne sais pas quoi. Depuis notre rencontre, j'ai la nette impression de ne plus me connaître moi-même.

Je fais demi-tour. Mieux vaut que je me concentre sur ma propre danse auprès de mes amies qui, elles, ne me réservent pas de coups bas. Sauf qu'elles ne sont plus là où je les avais laissées. Je ne les vois pas à la table de John. Il n'y est pas non plus, d'ailleurs. Je finis par les dénicher parmi les fervents admirateurs du couple de danseurs sexy. John, tout excité, se dandine contre le dos de Sybille qu'il a pris dans ses bras. Mes amies, par respect pour moi, je pense, observent la scène, stoïques. Il y a des moments dans la vie, comme ceux-ci, où l'on se sent très seul. C'est d'une tristesse ! Cependant, je ne me suis jamais apitoyée sur mon propre sort ; même quand j'ai enterré mon mari et que j'ai dû prendre sur moi pour soutenir mes enfants ; alors je ne vais pas commencer aujourd'hui. Ce soir, c'est pour Sybille que je dois me montrer forte. Elle va passer une bonne soirée en compagnie de son amant, parce qu'il est hors de question que ma mauvaise humeur entache ses instants de bonheur.

Je prends place autour de la table où John se prélassait quelques minutes auparavant. Il me rejoint quand l'effervescence commence à retomber, suivi par mes deux amies. Le rythme de la musique a changé, lui aussi, et Lukas finit par réapparaître dans mon champs de vision, la blonde collée à son bras. Il marque un temps d'arrêt à deux pas de notre salon, surpris de m'y trouver. Ses sourcils sont froncés et ses lèvres pincées. Je jurerais déranger, mais je m'en moque. Je le laisse s'installer avec sa nouvelle copine, en face de moi bien sûr ; pourquoi éviter de me narguer et choisir l'endroit le plus éloigné ? Ce ne serait pas drôle, n'est-ce pas ? Alors je décide d'aller me chercher un verre au bar.

Quelques hommes éméchés me suivre des yeux. Je ne suis ni à mon aise ni rassurée. Ne pas montrer sa peur, faire preuve d'assurance. Je commande une coupe de champagne, déniche un tabouret libre et entame ma dégustation sans prendre la peine de retourner auprès des autres. Le barman s'occupe de ses clients avant de m'adresser la parole :

— Pourquoi une jolie femme comme vous se retrouve-t-elle seule à boire au bar ?

— Elle n'est pas seule.

Lukas. Il foudroie le pauvre garçon du regard et le suit des yeux lorsqu'il s'éloigne.

— Essayons de passer une bonne soirée tous ensembles. Reviens avec nous, me propose-t-il.

Son bras entoure mon dos tandis qu'une légère pression de ses doigts sur ma hanche m'incite à accepter son invitation. La peur dêtre mêlée à une nouvelle joute verbale me retient clouée sur le tabouret.

— J'avais l'impression de déranger, et surtout, je ne veux pas être la cause d'une nouvelle source d'embrouilles.

— On commence à s'y habituer. Ce n’était pas entièrement ta faute, au restaurant. Ma sœur peut se montrer particulièrement protectrice.

Je suppose qu'il s'agit de plates excuses. Ne pourrait-il pas les répéter devant les témoins de ma dernière humiliation ? Faire preuve d'empathie, pour une fois, et me laver de toutes leurs injures ?

— Il n’y avait aucune méchanceté dans ce que je lui ai dit. Tu aurais pu prendre ma défense.

Pour toute réponse, il m’offre un sourire confus.

— Aller, reviens t'asseoir avec nous.

L'art de détourner la conversation ou de changer de sujet.

Je me laisse conduire sans plus me poser de questions. Le vin consommé au restaurant, ajouté à la coupe de champagne que j'ai ingurgité pratiquement cul sec m'ont aidée à me détendre. La main de Lukas sur ma taille me rassure pendant que nous retraversons une partie de la salle. La blonde s'impatientait et me fusille du regard quand nos yeux se croisent. Il reprend sa place à ses côtés tandis que je me laisse tomber sur le fauteuil en velours, face à eux, mais près de Leandra. Un serveur approche, les bras chargés d'un plateau rempli avec un seau, une bouteille de champagne et des flûtes. Il en dépose une devant Lukas qui me désigne :

— Madame va goûter.

Je ne proteste pas ; à quoi bon ? Je trempe mes lèvres dans le liquide doré et esquisse un bref signe de tête, non pas en direction du serveur, mais à l'intention de Lukas qui me nargue. Il attend que nous soyons tous servis pour régler, puis il saisit sa coupe et la penche vers moi pour trinquer. Son petit jeu met mes nerfs à vif et pourtant, c'est avec un large sourire que je porte un toast, poussée par le regard haineux de la blonde.

— Buvons à la santé de Lukas, le petit joueur sans qui nous ne nous amuserions pas tant.

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