7-Décider

7 minutes de lecture

  La cuisine, le salon, la salle à manger, la salle de bain...

  Les deux jeunes gens fouillaient tout, sans prononcer un mot. Ils pensaient à ce que cet espion avait vu, entendu, au danger qu'ils encouraient. Ça enrageait Sasha plus que ça ne l'inquiétait. Elle s'en voulait de ne pas avoir agi quand elle s'était retrouvée face à eux, elle aurait dû tous les tuer, même si elle y aurait probablement perdu la vie. Au lieu de cela, elle vivait et, par conséquent, ses frères et sœur se trouvaient en danger. Mais pas le temps de s'apitoyer, ils devaient trouver de quoi se nourrir, eux et la famille de Sasha. Gavroche, lui, vivait seul, depuis qu’il avait 8 ans. Avant cela, il avait un père et des demi-frères et sœurs dont il ne parlait jamais. La seule chose qu'il avait accepté de dire à son amie à ce sujet était que la Libération avait créé des hommes comme son paternel. Ce que Gavroche avait vécu à ses côtés, il voulait l'oublier comme il n'osait penser à ce que sa fratrie continuait de subir. Depuis qu'il les avait quitté, il vivait en solitaire, n'ayant aucun lieu fixe où dormir, maraudant pour survivre. Un jour, environ 4 années auparavant, alors qu'il ne connaissait pas encore Sasha, il avait tenté de dérober à cette inconnue de la nourriture. Elle l’avait arrêté non sans mal, l'état affamé dont il souffrait l'ayant aidé, et désormais, ils volaient ensemble, se partageant les rations. Il en laissait toujours bien plus que à Sasha, aidant sa famille. Il avait déjà rencontré Jade, Ethan et Aaron mais il était resté inconnu à Léonard, par simple précaution ; Sasha ne faisait pas confiance à son paternel.

  -Sasha ! Viens voir ce que j’ai trouvé !

  La voix de Gavroche venait de l’étage. Sasha, elle, était au rez-de-chaussée, dans un salon qui, à l’époque de la Libération, devait déjà dater. Est-ce que ces canapés marron usé, ce papier peint aux motifs jaunis et ce carrelage orange passé avaient, un jour, étés à la mode ? La jeune femme en doutait, tant cette pièce colorée de terne lui paraissait dénuée de vie. Seule une bibliothèque en bois, aussi ancienne que le reste semblait pourtant avoir traverser le temps sans séquelles. C'était déconcertant de voir un meuble si obsolète rester majestueux et même intimidant après tant d'années de solitude. Ce fut donc avec joie qu'elle quitta ce lieu pour rejoindre son ami. Elle montait les marches une à une, se demandant ce qu'il avait pu trouver. Elle imaginait déjà une pièce pleine de conserves ou d'armes. À sa voix remplie d'enthousiasme, elle devinait que c'était incroyable et que ça ne pouvait donc pas être des armes. Gavroche détestait ces outils mortels. L'escalier la mena à une petite pièce qui donnait sur trois portes. Seule la dernière d’entre elles était entre-ouverte, aussi, elle se dirigea vers celle-ci. Elle posa sa main tremblante d’excitation sur la poignée et, lentement, elle poussai ce seul rempart qui se dressait entre les deux amis.

  -Tadaaa ! s'exclama Gavroche en la voyant entrer.

  Elle ne pouvait voir le sourire qui recouvrait son visage car ses yeux s’étaient fixés sur ce qui les entourait. Point de conserves, point d’armes. Le corps entier de l'adolescente se crispa, elle ne s’attendait pas à ça. Elle qui croyait le sujet clos, ils allaient apparemment devoir mettre les choses au clair. Excédée, elle poussait un soupir qui avait dû effacer de son visage la joie de Gavroche. Du coin de l’œil, Sasha vit qu’il s’approchait d'elle. D’un mouvement de main rapide, elle lui fit comprendre de s’arrêter, ce qu’il fit après un temps d’hésitation. Elle a alors tourné la tête vers lui pour dire, aussi calmement qu'elle le pouvait :

  -Je pensais qu’on en avait déjà parlé.

  Gêné et soudainement timide, il réfléchit quelques secondes avant de retrouver un peu de son enthousiasme naturel et de répondre :

  -Sans blague ?! Regarde tout ce qu'il y a autour de nous, prend le temps d'imaginer ce qu'on pourrait faire avec tout ça et ose me dire que tu ne veux toujours pas. C'est un signe du destin, on ne peut plus lutter, il nous faut partir.

  Il disait cela comme une évidence, une fin à laquelle ils ne pouvaient échapper. Sasha quittait alors ses yeux de son regard pour le poser une fois encore sur ce qu'il y avait à leurs côtés. Elle regardait plus attentivement les gros sacs de voyage dépourvus de quelconque trace d'usure, les couvertures de survie encore sous blister, les chaussures de randonnées de toutes tailles qui n'avaient jamais frôlés la terre ferme, les cartes de chaque région de France éparpillées un peu partout, certaines ouvertes et étalées au sol et tous les petits objets nécessaires pour une expédition dont rêvait Gavroche ; une boussole digne des plus grands maraudeurs, de vraies jumelles de pirates modernes, une montre qui semblait avoir été détruite par le temps et d'autres colifichets en tous genres. Pendant son inspection, il s'était remis à parler. Sasha ne l'écoutait qu'à moitié car elle ne pouvait s'empêcher de chercher un moyen de le faire changer d'avis. Elle n'en trouvait aucun. Elle se voyait alors obliger de ne pas refuser son idée mais de la retarder au plus possible.

  -... jusqu'au bout du monde et même traverser les frontières si on veut...

  -Ok je vais y réfléchir mais, elle prit alors conscience de ses dernières paroles, t'as dit quoi sur les frontières ?

  Il s'approcha d'elle, prenant cette question comme une réponse positive.

  -J'ai dit que, à un moment, si on rencontre les bonnes personnes et avec le bon matériel qu'on a là, il montrait d'un mouvement vague de la main les objets qui les entouraient, on pourrait envisager, si on se sent prêts, à franchir les frontières pour aller vivre dans un vrai pays.

  -Ok...

  Comment pouvait-elle refuser la possibilité d'un tel avenir pour eux ? Elle ne pouvait pas. Peut-être n'était-elle pas obligée de s'attaquer à Will. Peut-être pouvait-elle fuir et oublier. Tout en se faisant cette réflexion, elle comprenait que ce n'était pas possible, mais probablement nécessaire. Elle ne l'oublierait pas, pas avant d'avoir compris pourquoi il les avait épargnés. Cet homme l'intriguait autant qu'il l'effrayait.

  -... On va partir, Gavroche commençait déjà à crier de joie, mais pas tout de suite. Avant on doit tout bien préparer, trouver un véhicule et suffisamment de nourriture et il faudra décider où on ira en fonction d'où on est. Ce sera beaucoup de travail et je ne suis pas sûre qu'on aura fini avant l'hiver et...

  -Whou Hou !!! s'égosillait-il tout en sautant dans les bras de Sasha.

 Elle, elle le repoussait en répétant, entre deux fous rires :

  -Calme toi, on va nous entendre jusqu'au centre !

  Il ne l'écoutait pas. Il bougeait d'un bout à l'autre de la pièce en improvisant des pas de danse, entraînant son amie avec lui. Celle-ci finit par crier et danser avec lui, leurs voix et leurs corps transportant leur joie de vivre et leur haine pour ce monde jusqu'en dehors de cette terre.

  Suite à cet accès de folie, ils se remirent en recherche de vivres, l'espoir naissant guidant leurs gestes.

Alors qu'ils terminaient la fouille de l'étage qui s'était révélée décevante par rapport à la première pièce, il y eut du mouvement au rez-de-chaussée. La voix d'un garçon se fit entendre. Il criait quelque chose. Alors que Gavroche souhaitait aussitôt disparaître par une fenêtre, Sasha se rapprocha de l'escalier en silence pour tenter de comprendre les paroles du jeune homme.

-Papy ?! Papy t'es où ? Qu'est-ce qu'il s'est passé Papy ?! Papy tu vas bien ?! Tu sais que j'aime pas jouer à cache-cache Papy !

Sasha s’apprêtait à descendre aider ce malheureux quand il se tut, laissant place à un silence à la présence inquiétante. C'était le silence que connaissaient bien les croque-morts mais qu'un garçon dont la voix n'avait même pas encore muée n'aurait jamais dû côtoyé. Des paroles le brisèrent. De là où elle était, Sasha ne pouvait comprendre la conversation, mais sentait bien que ce n'était pas son papy que le garçon avait trouvé. Elle descendit donc de quelques marches, le regard insistant de Gavroche derrière elle tentant de l'en empêcher.

-...on ne cache aucun juif si c'est ça que vous voulez savoir !

-Fais pas l'malin avec nous. On les a vu rentrer mais pas ressortir !

C'était la voix peu commode d'un jeune homme qui devait être à peine plus âgé que Gavroche. Le garçon lui répondit comme il l'aurait fait dans une conversation normale.

-Je sais pas si t'es sourd ou si t'as Alzheimer mais je ne vois pas du tout de quoi tu parles. Et puis laisse mon papy tranquille. Il est sénile faut pas le brusquer.

La voix calme d'un vieillard le reprit :

-Qu'est-ce que tu racontes toi ! Je suis pas sénile. Je crois bien, mon garçon, que tu tombes dans la mythomanie. Il faudra surveiller ton comportement si...

-Fermez-la tous les deux ou je flingue le vieux !

Le corps de Sasha se crispa autant que si elle s'était trouvée face à cet homme. Un sursaut la surprit quand la main de Gavroche se posa sur son épaule. Il voulait jouer la prudence et s'en aller mais elle souhaitait connaître le dénouement de l'action.

-Bon toi tu vas fouiller les autres pièces et vous deux l'étage.

Gavroche, ayant entendu ces paroles, tira Sasha en arrière. Celle-ci eut juste le temps d'entendre ce que le garçon avait à dire.

-On n'est pas dans Dora l'exploratrice ; si on cache des gens vous les trouverez jamais aussi facilement.

Gavroche suivit son plan initial et emmena son amie à la fenêtre. C'était trop haut pour sauter mais en se mettant debout sur le rebord, il parvint à monter sur le toit. Il aida ensuite Sasha à le rejoindre. Ils devaient quitter cet immeuble au plus tôt. Heureusement, il était collé à d'autres bâtiments.

Annotations

Vous aimez lire Sagittaire ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0