Anvers

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Je buvais des bières, le cul dans le fauteuil du salon. A la télé, milles feux, du bandeau, du breaking news, des experts et des images flous. Il y avait eu un attentat. Dans la gare de Bordeaux, je crois.

Ça commençait à me laisser un peu de marbre. C’est l’habitude du dégueulasse. Les premiers nous font gerber, les seconds aussi avec, puis on s’habitue petit-petit. Au fond, avec le temps, les plus grands zombies vous paraissent si fades. Voire ennuyants. Ce sont les choses, l’ordre de la vie.

On s’habitue du pire, on s’ennuie du mieux.

L’apocalypse n’était pas si loin, paraît-il.

C’est ce que disent les Témoins depuis toujours. Je finis par ne plus trop les croire.

L’apocalypse n’était pas si loin, paraît-il.

C’est ce que disent les gens dans les bars. Je finis, eux avec, par ne plus trop les croire.

Moi, j’aurais bien aimé le coup de l’apocalypse. Un grand grisou sur la mappemonde. Parlez-en, c’est tout du pareil au même toujours. Ça dérape, puis ça s’attrape. Avec des petits dégâts, certes. Mais toujours. On s’complait dans le borderline, dans la souffrance. Mais jamais les couilles du gouffre.

Ma femme me parlait de là-bas, m’engueulait et me déchirait. Un truc que j’avais mal fait ou pas fait ; je ne comprenais pas, j’avais monté le son de la télé.

On traversait une période difficile, comme on dit, elle et moi. Autrement dit, l’apocalypse n’était pas si loin.

Je ne branlais rien depuis des mois. Et je le faisais plutôt pas mal. Elle me disait que j’étais une feignasse. Je lui répondais, par facilité, que j’étais en dépression. A quoi, systématiquement, elle me répondait « Dépression de quoi ? Tu as tout pour être heureux ! ». Le genre de chose formellement interdit de dire à un dépressif si on en croit chaque numéro de psychologie magazine. Même si, pour dire vrai, en toute objectivité, elle n’ avait pas tort.

Pourtant, pourtant je jure que je n’avais plus aucune motivation pour quoi que ce soit. Je croyais, j’étais persuadé que je souffrais de ce qu’on pourrait nommer l’hyper-lucidité.

Tout conscient, lucide sur. Tant que milles murs s’érigeaient tout autour de mes ambitions toujours. Ça paralyse. Ça bouffe toute ambition toujours, oui. J’ai essayé de lui expliquer, de lui faire comprendre. Ça a pas marché du tout. Elle pensait que je me trouvais excuse. Je la comprenais, un peu, je crois.

Elle m’a lancé un ultimatum. Comme à la guerre, comme les grands. C’était il y a trois semaines. Il expire dans une. Elle voulait que je me remette en marche, que j’hisse le pavillon pirate comme avant ; que je retrouve la rage.

Je lui avais répondu que je n’avais plus envie. Plus envie de me battre, de lutter, de rager. Que je trouvais ça bien inutile. Elle m’en avait mis une tout juste après.

Je savais bien qu’en agissant ainsi, enfin plutôt en n’agissant pas, je filais tout droit vers l’annihilation, la déroute, c’était une évidence. Pourtant, pourtant, je poireautais, j’attendais, je patientais. Elle, elle s’impatientait. Elle ne cessait de me rabâcher toujours les mêmes couplets, les mêmes ressorts. Elle avait raison dans un sens, j’en étais conscient, mais je préférais l’ignorer.

Au téléviseur, il expliquait, le spécialiste, l’expert, que l’attentat aux portables piégés était l’œuvre de djihadistes récemment convertis.

Des jeunes issus de la bourgeoisie bordelaise probablement selon certaines sources proches de l’enquête. C’est chose de plus en plus fréquente ces histoires. Je ne les comprends pas. Ça fait énigme là, dedans mon ciboulot. Comment des vainqueurs nés peuvent aller se faire exploser la gueule pour des perdants nés. Je ne suis pas là à dire qu’il y a les bons, qu’il y a les mauvais, les croyants et les autres, les chrétiens, les juifs et les autres. Ce que je dis, c’est que l’ordre est désormais établi, que plus aucune révolte, aucune révolution n’est envisageable. Les choses sont et ne bougeront plus beaucoup. Enfin, du moins pour l’instant. C’est ainsi le monde s’autocensure, se bride à la moindre velléité. C’est la résignation mondiale. La frilosité.

C’était ma résignation.

Je suis parti. J’ai pris le train sans rien. Tout laissé en vrac, pas de mots, pas de paroles. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai choisi Anvers, contre tout pronostic. Enfin, non, au fond, je le savais. Il y avait dans cette destination milles rêves de gamins, d'aventures, de voyages. Tout jeune, j'en imaginais des choses, des histoires de marins, de larges, d'aventure. Anvers, pour moi, c'était ça, c'était l'aventure, c'était descendre l'Escaut et s'envoler au-delà de l'horizon. C'était devenir un chercheur d'or. Tout ça parce que j'avais lu quelques bouquins dont je ne me souvenais plus le nom aujourd'hui.

Arrivé gare du Nord, la pluie qui va avec, je m’suis donc faufilé puis avachi dans une voiture première classe du Thalys. Là-dedans, ça respire le fric. Moi, puant, un peu la gueule de travers, mal rasé, mal habillé, ça me regardait bizarre derrière leurs i-phones. Moi, je les zyeutais aussi, je les épiais, je leurs chiais à la gueule en les fixant, tout simplement. Eux parlaient dans leurs téléphones en s’cachant d’une main, envoyaient des mails à tout va, appelaient ; avaient des choses à faire quoi. Il n’y avait pas de place pour l’oisiveté dans la rame. Je prenais un plaisir certains à siroter des bières.

Ça commençait à bien tituber dans ma tête, tant que, si je n’avais pas laissé mon téléphone chez nous, j’aurai sûrement envoyé un message plein d’Amour dedans. A ma femme. Mais n’y avait-il déjà plus de retour possible. C’était Hiroshima, les paysages défilaient au fil des ballasts tandis que le ciel s’abaissait tout à fait pour faire l’humidité. Je ne sais plus si j’ai pleuré ou souris.

Quand on arrive là-dedans, on perd un peu l’équilibre pour vrai dire. Sur plusieurs étages, les trains attendent, repartent, arrivent tandis que les voyageurs passent. Quand j’écris ces lignes, je me demande si je n’ai pas tout à fait déliré pour cette histoire de trains superposés. Mais, chose certaine, la grande salle des pas perdus, dessus ses siècles et son anachronisme au milieu de la modernité du reste. Tout comme si ils n’avaient gardé que cette immense et somptueuse façade.

La place, ensuite, s’ouvrait dès lors, grisaille d’octobre, nuit juste tombée. De face, le quartier chinois, de droite, le parc zoologique, de gauche, les diamantaires,. Un peu éparse des bars, des restaurants, des salons pour masseuses chinoises. Moi, au milieu, tout à fait perdu à l’intérieur. Tout comme gamin, quand on n’obéissait pas, le regret qui vous envahit petit, petit. De devoir faire face aux conséquences de nos actes.

Je me suis finalement réfugié dans un hôtel à voyageur quelconque une ou deux rues plus loin. Dans la chambre, à poil, allongé, je matais la télé, des images de l’attentat comme somnifères, les deux packs de bières achetés chez le belge du coin comme rêveries.

Passée la nuit, l’ivresse de la fuite, il n’y avait plus qu’une chose dans ma tête, en rond, en looping, cette question éternelle : rester ou revenir.

Certains instants à me dire qu’il n’y avait nulle part à revenir. « Sale lâche » que je me regardais dans le miroir. J’avais essayé d’appeler au lever du jour chez moi, chez nous. Sans effet. Sans réponse.

Je me retrouvais donc tout à fait une fois encore dans un no man’s land. Errant dans une ville. Saoul. Et survivant. Mais ne sachant où.

La ville s’arrêtait sur les bords du fleuve, toute nette. L’Escaut n’était pas jolie. Ce qui se profilait de l’autre rive, non plus.

La ville s’arrêtait nette, stoppée par le fleuve. Personne n’avait jugé nécessaire de construire des ponts. Seul traversait le fleuve le tunnel Saint Ann’s.

Un truc tout à fait original, un genre de tunnel réservé au piéton long comme l’infinie et construit juste en 1932.

C’est un peu comme les tunnels qu’ils construisent sous les autoroutes pour laisser les animaux sauvages circuler. Ou bien est-ce pour éviter qu’ils engendrent trop d’accidents sur les voies. Mais là, on y parle d’humains. Ça devait être joli pendant la guerre.

On s’y engouffre là-dedans les narines prises par le tanin et la graisse. Embaumant pour tout dire l’âme tout entière, la descente sous le fleuve se fait par un escalier automatique en bois. Désuet et si poétique. Si on fait abstraction du défilé de vélos électriques.

Alors quant arrivé tout au fond ; alors quant arrivé tout au milieu du fleuve, d’un bord, l’autre deux immenses points de fuite qui ne se terminent jamais c’est la panique qui m’a pris. Je ne sais pas pourquoi je voyais tout cela désormais comme une évidence, une nécessité : courir, sortir d’ici, la tête de l’eau, vers l’autre rive.

Les cyclistes fainéants me frôlaient, me glissaient tout autour, ceux qui y vont, ceux qui y reviennent. Je courrais comme un gars qui n’avait plus couru depuis ses seize ans, en toute agonie.Les premiers mètres avaient suffit pour me faire dégouliner, me serrer le thorax et la gorge.

Je n’arrivais plus à rien. Même essayer de respirer devenait de plus en plus dur, de plus en plus critique. Ça a changé de couleur d’un coup, un voile marron s’était abattu devant moi ; et en un instant, mes jambes se dérobant, je me retrouvais au sol, la gueule contre le ciment. Ça tremblait de partout, ça dégoulinait de sueur partout.

Sa présence m’avait rassuré presque aussi vite que je m’étais écroulé sous la panique. Oui, j’ai alors tout de suite cru au miracle.

Droite et immense. Elle me disait de me calmer, que ça allait aller. De tout à fait saccadé, ma respiration glissait petit petit vers quelque chose de régulier, de calme depuis qu’elle avait mis sa main sur ma poitrine.

Je ne la voyais pas tout à fait encore, le regard flouté par mon absence, mais je la savais. Je savais la géographie de sa main, les parfums de son corps, la petite musique de sa bouche. Je ne pouvais pas me tromper. Je la savais tant depuis. Pourtant, je ne comprenais pas. Je ne cherchais pas non plus à comprendre. Savoir si c’était du domaine du réalisable ou pas m’était hors de portée, il n’y avait de fait pas de doute.

Tout allait se finir, tout allait revenir, elle allait me ramener, on allait de nouveau se la couler douce, elle et moi. Avoir nos vingt ans. Y revenir, oui.

On avait eu ce léger passage à vide, mais tout allait revenir, renaître tel rejaillirait le feu de l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux. Milles perspectives, milles souvenirs me revenaient. Je devais avoir le sourire tout à fait niais mais heureux d’après l’orgasme. Elle était là, j’étais là, nous étions là, ça allait aller

Elle n’a d’abord pas tout à fait compris ce que son interlocutrice lui disait. Puis, recollant les mots qu’elle sortait, les écrivant sur le petit cahier laissé toujours à côté du téléphone, les rassemblant, ça a fait comme un coup de grisou dans son cœur. « Mari – hôpital – Anvers - arrêt cardiaque- mort – transfert-... »

Quelques larmes ont coulé.

Il y a des fuites dont on ne revient jamais.

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