Constance

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Il paraît qu’il y a des signes qui ne trompent pas. Je veux dire au moment de prendre des décisions, de faire des choix. Faut savoir les voir, les écouter, les sentir disent-ils. Je n’ai jamais été très doué pour ces choses-là d’une manière générale.

Alors, alors quand je l’ai vu ce signe, ou plutôt cette absence de signe je me suis senti bien tendu, entendu.

Je jonglais comme je pouvais pour en arriver à mon histoire.

Je n’avais pas encore saisi l’ampleur de ce que tout cela engendrait. De signer un contrat à durée indéterminée. J’avais 35 ans et depuis ma situation de précaire me convenait plutôt bien.

Puis, il y avait eu la femme. Les enfants. La maison. Et le temps qui passe.

Alors lorsqu’ils me l’ont proposé, j’ai dit oui. Au titre de la stabilité de la quarantaine arrivante.

Autour tous étaient contents pour moi. Moi aussi, il ne faut pas mentir.

Bien sûr, il y a eu des, entre nous, « voilà, voilà, c’est sûr quoi maintenant » un peu inquiet de savoir comment nous vivrions cette stabilité toute nouvelle.

Puis tout s’était accéléré, le contrat était arrivé par le courrier. Je l’ai signé. Le lendemain, je partais.

Dans la voiture nous menant à l’aéroport, comme un air de fausse gaieté, de fausse naïveté.

Mais bien sûr, le savait-on tous, la déchirure et le craquement aux lèvres imminents. A l’endroit où les uns partent, l’autre reste. Reste, happé par la file de ceux qui partent, qui préparent leurs passeports et défont leurs ceintures.

C’est l’instant où tout se divise. L’un déjà loin, l’autre déjà là.

Bordeaux, Nice, Bucarest. Constance, ensuite.

Marin que je suis. La même histoire un peu partout. Un quelconque panneau, une tablette, un vulgaire papier, son nom dessus. Comme si on nous attendait avec impatience. Comme si nous étions importants.

Ensuite ça se passe toujours plus ou moins pareil, taxi, hôtel parfois, formalités administratives et puis la carcasse d’acier qui se dresse dans le port ; ceux qu’on relève dessus qui nous attendent en toute impatience.

Ce soir-là, à Bucarest, à la porte des arrivées, il n’y avait rien, personne à me tendre, à m’afficher mon nom en majuscules, script. J’ai attendu. Attendu. Puis encore. Puis toujours personne. Téléphoné à l’agence. Même sanction.

Je me retrouvais donc pour ainsi dire comme un con somme de tout.

Seul dans un aéroport dégueulant de moins en moins de touristes au fur et à mesures des arrivées. J’avais alors devant moi deux options, comme toujours, partir ou rester.

Après les quelques instants de désemparement, je décidai de prendre un mini-bus pour Constance. Déjà le froid de l’est en ce début de d’hiver avait mis en sourdine mon cerveau lorsque je m’installais à l’avant.

Nous étions quatre passagers, deux jeunes, une ancienne et ma pomme. Tout en silence. Le chauffeur itou.

Lorsque je me réveillais, le magasin de la station service s’ouvrait devant moi plein de lumières. J’ai regardé autour, puis derrière. Je les ai vu impassible. J’ai souri, elles n’ont manifesté aucun micro-mouvements.

Immobiles comme des statuts soviétiques. Le cliché est facile.

La réalité l’est tout autant. Les roumains, les gens de l’Est en général, portent sur leurs épaules toutes la misère du monde et l’affichent bien pour le montrer au monde entier. On sent derrière leurs regards vides ,des quintaux de douleurs. On ne saurait trop expliquer pourquoi, comment, mais ça demeure cette réalité palpable que je vois dans le miroir de courtoisie au-dessus de ma tête.

Au taxi-man, je lui demandais de me déposer dans un hôtel classique. Il me proposa l’Ibis. J’ai pensé je connais, j’ai dit oui. C’est fou ça comme on a besoin de se rassurer dans l’uniformisme des grandes chaînes : Mac do, Carrefour, Ibis...Hilton. Partout pareil. C’est le marketing de rassurer les gens en ne bougeant rien.

Dans d’autres circonstances je pense que j’aurai opté pour autre chose. Mais la fatigue et le ras-le-bol avaient eu raison de mes velléités de découvertes.

Je fus le dernier à être déposé dans la nuit. Au milieu de la ville, le froid déjà avait givré toute vie. Je m’engouffrais dans l’hôtel, la buée devant ma bouche.

Puis, mon entrée avec la réceptionniste triste terminée, je m’engouffrai dans la 517. Je balançai ma valise, mon sac à dos, enlevai mes habits et m’engouffrai dans le lit en me laissant tomber.

Nu comme mon esprit, je regardais le plafond. Dans sa globalité d’abord, puis de manière plus approfondie à la lumière des néons restés allumés, plus dans le détail. On y voyait d’abord que de l’ordinaire. Puis en scrutant, en se concentrant bien , ça et là, des milliers d’imperfections, des auréoles. C’était presque imperceptible. Elles avaient sans doute été javellisées, puis peintes en même temps que le reste, mais le subterfuge ne tenait pas longtemps au milieu de ces teintes de blancs si légères soient-elles persistaient. Il y avait la parure et le détail. Il y avait la première vue et puis le détail.

Là-dessus, il y avait du avoir des fuites, de l’eau qui a coulé. Un robinet laissé ouvert pendant que le couple qui occupait la chambre du dessus baisait. Un type mort dans sa baignoire alors qu’il s’y plongeait. Une soudure qui a cédé.

Au milieu de la nuit, loin de tout nos repères, on s’intéresse à des choses inintéressantes qui révèlent souvent bien plus encore que la plus profonde des introspections.

J’avais mis le réveil pour trois heures et demi plus tard, pour appeler l’agent, histoire de l’informer où j’étais.

C’est lorsque j’eus éteint la lumière que tout est apparu. La réalité et les possibilités. J’étais là où personne me savait, j’avais l’infini des choix. Disparaître, errer. Bien sûr cette option, nous l’avions toujours, peu importe le lieu, l’endroit. Et pour autant, l’idée ne m’était jamais apparue comme aussi nette.

Dès lors qu’un soupçon d’envie de fuir pouvait apparaître, immerger, toujours quelqu’un, quelque chose, quelques objectifs à court terme venaient nous demander de nous rasseoir.

Là,là...j’étais seul. Égoïstement seul. Je ne pensais plus à ceux qui s’en sont allés à l’aéroport, il y a quelques heures sans moi. Encore moins à la compagnie qui m’avait signée un CDI. Et encore moins au philippin que je devais relever. Une semaine, un mois de plus quand il en a déjà fait neuf, qu’est-ce ?

Oui, j’avais les mains libres pour un esprit libre. Devant moi, l’océan des probables. Rembobiner et repartir, écraser l’enregistrement. La clandestinité. L’inconnu. L’errance et le vagabondage. De l’aventure, sûr !

Je m’étais relevé, je tâtonnais dans la chambre jusqu’à me retrouver dans la salle d’eau. Là, une fois la lumière allumée, il y avait moi en face, dans le grand miroir. La gueule en biais et les bourses en pendant. L’ennemi dans la glace.

Je n’avais pas bu, je me sentais ivre, titubant tout autour de moi-même.

Je me sentais lâche et courageux.

J’ai craché sur le miroir et je me suis recouché.

Le lendemain j’embarquais, j’appelais ma femme pour lui dire l’Amour dedans.

Le vent du Nord était glacial, les mains gelés, je larguais les dernières amarres.

J’étais vivant, presque heureux d’être encore là.

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