Semaine 18 - Le trésor d'Éric le Sanglant

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Le soleil haut, un ciel bleu à perte de vue, un océan paisible et un zéphyr gonflant les voiles. En résumé, le temps idéal pour ce dernier jour de pérégrination avant d’enfin toucher au but. Bill Lachaloupe en rêvait chaque nuit depuis des mois. Mais bientôt, le réel emboiterait le pas sur la féérie du songe. Oui, pas de doute possible : aujourd’hui, le 2 juin 1758, serait le jour où il trouverait le trésor d’Eric le Sanglant.

Le bateau tanguait encore, même avec cette mer calme. Bill ne le supportait pas. « Un bateau »… Appeler l’embarcation ainsi lui paraissait une mauvaise plaisanterie. Ce n’était qu’une grande barque avec une voile, rien de plus. Pas de quoi se pavaner fièrement. Il vociféra :

  • J’ai pourtant vendu père et mère pour cette coque de noix ! Pas les miens, mais tout de même !
  • On pourra bientôt s’en payer un bien mieux, hein Bill ? le questionna en souriant Arthur Cotton, son maigrichon compagnon de fortune anglais.

Les deux hommes s’étaient rencontrés pendant un court séjour commun au bagne de Londres, lors d’un voyage de Bill en Angleterre. Futé bien que naïf, Cotton demeurait l’un des rares anglais de l’époque à parler un français très correct. Se rendant rapidement compte qu’il faisait face à un homme de confiance et de parole, Lachaloupe lui avait parlé du trésor. Cette quête solitaire devint alors une aventure en duo. Tous deux, lors de cette dernière, durent braver bien des interdits : vol et assassinats de leurs concurrents, entre autres. Le sang sur les mains des compères leur octroyait sans nul doute une place attitrée chacun en enfer. Ils partageaient d’ailleurs la même philosophie à ce sujet : « Quitte à finir chez Lucifer, autant que ce soit en ayant vécu une vie d’homme riche ».

  • Oui, tu as raison Cotton ! répondit Bill en attrapant la vieille longue vue à ses pieds ; un énième objet chapardé.

Il la plaqua sur son œil gauche pour scruter l’horizon. Il la baissa aussitôt et cria :

  • TERRE ! TERRE EN VUE COTTON !

Arthur se précipita à l’avant du vaisseau pour rejoindre son camarade qui lui tendait la longue vue tout en lui indiquant où observer. Il l’attrapa et constata la véracité de ce que son ami venait de hurler : un îlot demeurait belle et bien en vue.

  • Tu... Tu … bégaya Cotton, tu penses que c’est l’île du requin ?
  • Evidemment ! Qu’est ce que ça peut être d’autre ? On a suivi les instructions du croulant de l’ancien équipage du sanglant et nous y voilà !

Bill trépignait d’impatience. L’île aperçue ne pouvait être autre chose que la destination de cette longue et éprouvante aventure. Lui et son compagnon s’agrippèrent par le bras et se mirent à tournoyer tout en chantonnant un air joyeux. L’embarcation s'en balança de plus belle. Cette danse improvisée fut interrompue par un choc extérieur. Quelque chose venait de cogner le bateau. Quelque chose de visiblement très costaud.

  • On a heurté un récif ? tenta Arthur qui ne souriait plus du tout.
  • Non, impossible ! rétorqua Bill, on est encore trop loin de l’île pour que ce soit un récif ! En plus le bateau continue d’avancer !

Un second choc, plus puissant que le précédent, se produisit. Le bateau manqua de s’en retourner. Lachaloupe se précipita à l’arrière de l’embarcation, d’où venait l’ébranlement. Ce qu’il y aperçut tout de suite manqua, de peu, de le faire hurler de peur : un aileron. Et vu sa taille, le squale qui le possédait devait être d’une taille monstrueuse.

  • - HO NON ! vociféra-t-il, UN REQUIN ! UN REQUIN COLOSAL !

Il avait espéré que le nom de la petite île vienne de sa forme et non de la faune aquatique des alentours. Un plan s’imposait pour se sortir de cette situation malencontreuse. Arthur constata à son tour la présence de l’effroyable créature les poursuivant :

  • Que fait-on, Bill ? Nous n’avons plus de poudre pour les pistolets !

« Et bien sûr il a fallu qu’on vende nos sabres pour acheter les pistolets ! » ragea Lachaloupe en son fort intérieur. Ils ne leur restaient plus grand-chose à tenter. Bill attrapa une rame et ordonna à Arthur de faire de même. Il fallait absolument creuser l’écart entre eux et le monstre marin. Ce dernier n’ayant visiblement pas l’intention de les lâcher de si tôt.

  • Mais c’est le diable qui nous envoie ce requin, ma parole ! lâcha Arthur en ramant de toutes ses forces.

L’île se rapprochait d’eux, mais pas assez vite. Le squale à leurs trousses, quant à lui, gagnait du terrain. Bill évalua la situation tout en continuant de ramer corps et âme. La panique l’empêchait d’imaginer quoi que ce soit de créatif pour résoudre le monstrueux problème leur collant au train. Ce fut une parole de Cotton qui lui fit miroiter une solution :

  • Si seulement ce requin pouvait trouver une autre cible…

« Une autre cible que nous ? » Pensa Bill. Il tourna son visage en direction d’Arthur. Son regard devint alors mauvais, tel celui d’une vipère affamée se préparant à bouloter un mulot.

« Non … Non ! Une autre cible que moi ! »

Il se précipita alors vers le pauvre Arthur Cotton, ramant péniblement à côté de lui. Ce dernier, par la fluidité et la rapidité de l’action, ne vit rien venir. En un éclair, Bill Lachaloupe l’envoya à la mer.

La victime ne pouvait réaliser cette fatalité. Jeté dans l’océan Atlantique à la merci de ce gargantuesque requin par celui qu’il considérait son ami. Arthur demeurait trop choqué pour effectuer d’autres actions que battre des jambes et des bras pour rester à la surface. De son côté, le traître se mit à ramer de plus belle, seul cette fois. Il avait perdu en vitesse, mais le problème du requin à ses trousses n’en était, vraisemblablement, plus un. Ce dernier ayant un autre « os » à mastiquer.

  • POURQUOI ?! hurla Arthur en peinant à maintenir le haut de son corps hors de l’eau.

Bill plaça sa main droite près de sa bouche, à la verticale, et cria :

  • Je n’avais pas le choix pour atteindre l’île et le trésor ! Tu vas me faire gagner un temps précieux ! Le requin va te dévorer vivant ! C’est le risque, et je suis prêt à le courir !

Arthur s’égosilla à insulter et maudire Bill. Il solicitta toutes ses forces dans ses dernières paroles. Puis il disparut brusquement sous les flots, ne laissant remonter à la surface que le rouge sombre de l’hémoglobine macabre…

De son côté, Bill finit par atteindre la petite île. Après avoir accosté comme il pouvait, il se déchaussa pour fourrer ses pieds dans le sable chaud de l’îlot. Celui-ci, de part sa taille, n’était pas composé de grand-chose. La plage de sable blanc n’entourait qu’une végétation peu développée : quelques arbres, un peu de terre et de l’herbe haute. Rien de plus. Lachaloupe se remémora les paroles du vieil homme autrefois membre de l’équipage d’Eric le sanglant à voix haute :

  • Le vieux débris a dit qu’un grand palmier solitaire ornait la plage, et que le trésor était enterré à son pied. Après ça, il s’est mis à stupidement ricaner. Sans doute me pensait-il incapable d’atteindre la terre promise… Je vais lui montrer, moi !

Il n’eut pas à effectuer le tour de l’île pour dégotter le fameux palmier. Sa pelle à la main, il se mit aussitôt à creuser à l’endroit indiqué. Après quelques minutes, la tête de son outil frappa quelque chose de dur. Bill posa alors les yeux sur ce que son action avait rendu visible : le haut d’un grand coffre en bois orné de métal doré sur ses bordures.

  • ÇA Y EST !

Bill jubilait. Il se hâta de complètement déterrer son futur butin. Il avait suivit rigoureusement tout un paquet d’indices en parcourant toute une partie de l’Europe et trahi sans vergogne pour parvenir à ce moment. Malgré la faim, la fatigue et la soif, il continua de creuser à une vitesse faramineuse.

L’objet de sa convoitise demeurait à présent hors du sable. Bill sourit, toute dent dehors. Ce rictus si particulier pouvait aisément se traduire par un soulagement : celui de la tâche accomplie. Il sorti la clef de cette petite serrure, trouvée des mois plus tôt en Écosse. Il pria un cours instant qu’elle soit la bonne pour ne pas avoir à détruire le coffre à la hache. Elle rentrait dedans ! Il la tourna doucement vers la gauche, entendit le petit « clic » du déverrouillèrent et, avec excitation et fougue, ouvrit finalement le coffre du trésor d’Eric le Sanglant. Il posa les yeux sur le contenu et … Déchanta. Le coffre ne contenait qu’un bout de papier, brulé sur chacun de ses côté.

  • Mais qu’est ce que … Balbutia Bill en s’emparant la feuille d'un geste brusque.

Un message y était inscrit en encre noire. Un nouvel indice ? Non, au contraire :

« Avez-vous vraiment cru que je serai assez stupide pour enterré mon fabuleux trésor ? Si c’est le cas, j’ai le regret de vous annoncé que vous êtes l’imbécile de l’histoire.

Eric le Sanglant, pirate à la tête non-creuse »

Il en tomba à la renverse. Littéralement. Voila donc pourquoi les dernières indications du vieil homme furent données avec un ricanement moqueur : il savait ce qu’il en était réellement du « trésor » enterré par son ancien capitaine !

Sur le dos dans le sable, des larmes coulèrent sur les deux joues de Bill Lachalouppe pour se glisser dans sa bouche grande ouverte. Elle n’émettait aucun son. Seule sa cervelle travaillait : toute cette excitation, toutes ses trahisons, tous ses vols, ses assassinats et ce pauvre Artur Cotton en train d’être digérer par un requin…

Tout ça pour ça ? Le but de sa vie n'était qu'un bout de papier le traitant d’ahuris !

L’ironie du sort lui rapporta tout de même quelque chose, perdue depuis longtemps : son humanité, qu’il avait mise de côté tout le long de cette chasse au trésor, au bout du compte insensée. Elle prie la forme d’un poignard au manche dorée. Et son cœur ayant à présent retiré son armure de pierre, cette dernière pût aisément le transpercer.

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