Chapitre 19
Une heure plus tard, Johany s'élançait sur les routes à bord d'un 4x4 noir un peu cabossé et poussiéreux.
Il quittait tout juste Luang Prabang lorsqu'il remarqua un grand bâtiment à sa droite, dont l'une des façades était noircie. Il s'arrêta sur le bas-côté et n'hésita qu'un instant avant de sortir du véhicule.
"Ce ne peut qu'être l'usine d'Amber et de ses amies, songea Johany. L'incendie semble très récent..."
En s'approchant, il remarqua que le feu n'avait atteint qu'un quart de la surface du bâtiment. Des rubalises orangées s'agitaient dans le vent devant l'une des portes d'entrée.
"C'est terrible, se dit Johany en pensant aux adorables jeunes femmes qu'il avait rencontrées. Elles devaient être payées une misère et maintenant, elles n'auront plus rien du tout..."
Il soupira tristement, et un mouvement à sa droite attira son attention. Une femme qui portait de nombreux cartons sortait de l'usine par l'une des portes d'entrée. Elle passa devant lui et le regarda vaguement. Il mit sa timidité de côté une fois de plus et lui lança :
- Hem, sorry madam, do you work here ?
La femme s'arrêta et lui répondit par l'affirmative. Johany fut étonné qu'elle lui apprenne que le travail avait déjà repris, malgré l'incendie, qui n'était "not so serious" d'après les pompiers et le dirigeant de l'entreprise. La plupart des travailleurs avaient retrouvé leur poste ce matin même, ce qui était un soulagement pour eux. Ceux qui travaillaient dans la partie qui avait brûlé étaient malheureusement suspendus pour le moment.
Le jeune homme remercia la femme, qui reprit sa route, et resta immobile un moment, perdu dans ses pensées. Il espérait que les filles ne fassent pas partie des employés sur le carreau. Mais rien ne le lui garantissait.
Alors, en repensant au sourire d'Amber, il se dirigea vers l'une des portes de l'usine, en se demandant s'il en avait le droit d'y entrer et surtout s'il parviendrait à la trouver.
Il s'arrêta devant l'entrée, où un homme contrôlait les passages. Ce dernier le détailla des pieds à la tête et lui demanda ce qu'il voulait. Johany respira un bon coup et tenta le tout pour le tout en expliquant qu'il devait absolument voir l'une des travailleuses, nommée Amber, et que c'était urgent.
Le vigile argumenta un moment avec lui et le jeune homme songea à renoncer, mais la petite voix dans sa tête l'encourageait à ne pas lâcher prise. Ce qu'il voulait, c'était revoir Amber une dernière fois. Et il devait y arriver.
Il avança posément ses arguments, avec plus d'aplomb qu'il ne l'aurait pensé, et finit par obtenir le droit d'entrer.
Vicorieux, il pénétra dans le bâtiment en se demandant s'il allait parvenir à ses fins ou s'il aurait fait ça pour rien. Il parcourut un couloir qui déboucha sur une grande salle, où des centaines de jeunes femmes travaillaient sur des machines à coudre. La pièce était sale, mal éclairée, surveillée par des hommes qui patrouillaient dans les rangs. Johany tenta de se faire discret et resta en retrait dans l'ombre de la porte pour parcourir la salle du regard.
Il eut beau se tordre le cou, plisser les yeux, il ne vit nulle trace d'Amber, Chandara ni de... leur troisième amie.
Dans le vacarme des machines et l'obscurité de son coin, personne ne l'avait encore remarqué. Il songea qu'il devait y avoir d'autres salles semblables à celle-ci et décida de visiter le reste de l'usine. Mais s'il rasait les murs pour traverser la pièce et rejoindre la suivante, les hommes le verraient et il ne savait pas comment ils réagiraient. Il songea qu'il était plus prudent de ressortir et d'emprunter une nouvelle porte dans le couloir.
Comme il l'imaginait, il assista au même spectacle dans la salle plus à droite. Les conditions de travail, d'hygiène et de sécurité des employées semblaient déplorables. Mis à part les hommes qui les surveillaient, il n'y avait que des jeunes femmes, dont l'âge moyen ne devait pas dépasser les dix-sept ans.
En scrutant chaque visage, Johany espéra y retrouver les traits de l'une des jeunes filles avec qui il avait passé une journée mémorable, mais n'eut pas plus de succès que la fois précédente.
Il réitéra sa démarche encore deux fois, incapable de lâcher l'affaire, de plus en plus inquiet à l'idée qu'elles aient été licenciées.
Il parcourait des yeux les rangs serrés de la quatrième salle, lorsque des traits vaguement familiers accrochèrent son regard. Il n'en était pas certain, mais il croyait reconnaitre l'une des deux filles qui ne les avaient pas suivis à bord du tuk-tuk.
Son coeur palpita plus vite, il songea que si les jeunes femmes étaient amies, c'était sans doute parce qu'elles partageaient le même espace de travail, ce qui signifiait que le reste de la bande ne devait pas être loin...
Il ne s'était pas trompé. Le visage soudain éclairé d'un sourire triomphant, il se dirigea vers Chandara, emporté par un accès d'allégresse.
Un garde l'aperçut et l'interpella. Johany se retourna, jaugea l'homme du regard. Il rassembla quelques mots anglais dans sa tête et se prépara à répondre au vigile, qui s'approchait de lui, suivi de deux autres hommes.
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