Chapitre 50
C'était à peine croyable. Un ciel azuréen se dessinait sous les nuages fuyants. Le soleil perçait leur couche et déversait sa lumière sur Luang Prabang.
Johany contemplait le spectacle qui se jouait devant ses yeux ébahis.
La veille, il s'était endormi sur son banc et avait roupillé jusqu'au petit matin. Il se remettait difficilement de son excès inhabituel, mais se sentait déjà mieux alors que l'après-midi plongeait la ville dans la lumière.
Assis sur le trottoir, son sac-à-dos gorgé d'eau dégoulinait sur ses genoux. Il l'ouvrit et constata les dégâts : l'intérieur de son livre n'était plus qu'une masse informe de papier détrempé, dont la couverture cornée ne ressemblait plus à rien ; son carnet s'était décoloré et se déchirait de toutes parts... Ses vêtements s'apparentaient pour ainsi dire à des serpillères mal essorées, ses autres affaires s'en tiraient mieux. Cependant son téléphone avait fini par prendre l'eau, car le jeune homme avait mal refermé le sachet isotherme la veille, en partant du bar comme un parfait ivrogne.
"J'espère qu'il marche encore, pensa-t-il tristement. Il n'a pas le droit de me lâcher..."
Il entra dans le premier café avec un accès Wifi qu'il vit, pour voir si Dao lui avait envoyé un message et vérifier s'il fonctionnait. Il se rappela alors ce qu'il avait envoyé au jeune homme après avoir bu et sentit la honte l'envahir. Elle fut cependant de courte durée, rapidement remplacée par la stupeur en lisant la réponse de Dao :
"Johany, my uncle died this morning. I would like you to come to the funeral, only if you want to of course, and if you haven't left the country yet. I'm thinking of you very much, and I hope you'll be here, I can pay you for the trip if it suits you. Otherwise it doesn't matter, take care of yourself."
Le jeune homme en eut le souffle coupé un instant. L'oncle de Dao venait de rendre l'âme, après plus d'un mois de lente agonie. C'était si triste, pensa-t-il, qu'il n'ait pas pu être soigné à cause du prix mirobolant du médicament pouvant améliorer son état. Et le pauvre Dao allait devoir gérer son commerce seul pour toujours, désormais...
"Je ne peux pas rentrer en France, à part si je réussis à me faire deux-cents euros très rapidement, ce qui me parait impossible, évalua mentalement Johany. Et Dao voudrait que je vienne à l'enterrement de son oncle... Je ne peux pas hésiter, il a tout de suite été un soutien pour moi quand je suis arrivé à Don Khon, j'ai pu me confier à lui, et après ce qu'on a vécu ensemble, je ne pourrais pas le laisser affronter cette épreuve seul. S'il me demande de l'aide, c'est parce qu'il a besoin de moi. Quelqu'un a besoin de moi."
Il se fit la réflexion qu'agir pour être un sauveur n'était pas la bonne mentalité à avoir. Non, il ne viendrait pas pour secourir son bien-aimé en détresse et être considéré comme un bienfaiteur mais parce qu'il l'aimait, parce qu'il voulait pouvoir être à son écoute comme lui l'avait été pour lui...
Sa décision fut aussitôt prise. Même si Dao lui proposait de le dédommager financièrement pour le trajet, Johany n'en avait pas envie. Il ferait le voyage de bon coeur.
Malgré sa peine pour Dao, le jeune homme retrouva un peu d'entrain lorsqu'il sortit du café, après avoir répondu par l'affirmative à l'invitation du laotien. Il avait de nouveau un objectif, un but à atteindre. Il devait rejoindre Don Khon au plus vite, en optimisant ses dépenses. Oui, s'encouragea-t-il, il devait être là pour Dao le plus rapidement possible.
Ses vieilles baskets pleuraient toute l'eau qu'elles retenaient tandis qu'il marchait d'un pas de nouveau résolu en direction du parking des bus.
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