Epilogue

5 minutes de lecture

Le soleil rayonnait, les oiseaux pépiaient. Les branches des palmiers ondulaient dans le vent*.

Le tableau était celui d'une île paisible, encerclée par la civilisation. La vie y avait l'air douce, mais ce n'était qu'une illusion dont les touristes se tartinaient naïvement.

Malgré la beauté et le calme des lieux, la misère était le plus vicieux des fléaux y sévissant.

Johany et Dao, en dépit de cette indécrottable pauvreté qui leur collait à la peau, coulaient des jours heureux sur Don Khon. Ils faisaient tourner ensemble le commerce de la famille du laotien depuis bientôt trois ans.

Leur quotidien pouvait être rude, mais ils étaient plus forts. Dans les moments durs, ils s'épaulaient l'un l'autre, tous les deux se comprenaient parfaitement.

Dao avait toujours vécu modestement et Johany s'était habitué à son mode de vie, il ne s'en plaignait jamais.

Ils ne s'éloignaient que rarement de leur île, seulement à l'occasion, pour en visiter d'autres notamment... Rester dans leur bulle leur convenait parfaitement, ils n'avaient de toute manière pas les moyens de voyager bien loin. Leur couple était reconnu sur l'île et ils n'avaient jamais souffert de discriminations, alors qu'il n'était pas rare d'en subir ailleurs dans le pays, en dépit de la légalisation de l'homosexualité. Johany s'était rendu compte que la politique asiatique était imprégnée d'homophobie, bien que Luang Prabang, aussi appelé "paradis gay" par les expatriés en particulier, soit l'un des berceaux de l'affirmation homosexuelle en Asie du Sud-Est.

Accepter l'idée de ne pas fonder de famille à proprement parler avait été une étape pour Johany, mais aussi pour Dao, qui s'était toujours vu épouser une femme de son île, même si lui se savait déjà principalement attiré par les hommes.

Depuis le décès de l'oncle de Dao, celui-ci était secondé par Johany dans toutes ses tâches, tel qu'il le lui avait initialement proposé. Ils se relayaient en cuisine, au service en salle, à l'épicerie, et alterner ainsi les rôles faisait qu'ils ne s'ennuyaient jamais.

Même si la France et son ami Louis pouvaient parfois lui manquer un peu, Johany aimait énormément le Laos, particulièrement l'archipel des quatre-mille îles. Il s'était fait à la culture de Don Khon et s'y sentait à sa place, dans son environnement.

Un chien trottait au bord d'une petite route pavée. Le museau collé au sol, il cherchait la trace d'un chat, qu'il avait vu déguerpir à sa venue, un instant plus tôt.

Mais l'animal resta introuvable et le chien finit par abandonner. Il se mit à courir pour rentrer chez lui et manqua de faire trébucher Johany en passant en trombe à ses pieds, au milieu du restaurant.

  • Senthang ! s'écria le jeune homme, en rééquilibrant le plateau chargé de bols qu'il avait dans les mains. Fichu cabot...

Il poursuivit son chemin et déposa chacun des plats devant les clients du restaurant, puis retourna en cuisine. Dao coupait du persil en petits trèfles parfumés, qu'il saupoudra ensuite au-dessus des assiettes prêtes à partir en salle.

  • Chao tongkanhai... khony suany... chao hed... khongvan bo ? interrogea Johany dans un laotien encore hésitant.

Dao et lui communiquaient principalement en anglais mais Johany avait l'habitude d'utiliser le langage culinaire de base en lao, désormais. Il venait de demander si Dao avait besoin de son aide pour préparer les desserts, ce à quoi ce dernier répondit :

  • Odny khobchai !
  • Okay. I can handle it.

Johany commença donc à découper une ribambelle de fruits déjà épluchés, pour en faire une grosse salade de fruits, qu'ils répartirent dans des soucoupes en porcelaine.

Le soir venu, ils finirent leur service dans les alentours de vingt-trois heures et montèrent dans l'appartement qu'ils partageaient, l'étage au-dessus du commerce. Dao avait hérité de tout le bâtiment au décès de son oncle, ce qui leur avait permis d'aménager leur lieu de vie à leur guise. Ils avaient agrandi le minuscule appartement du jeune laotien et investi le peu d'économies dont ils disposaient pour transformer l'étage, devenu un vaste et chaleureux appartement.

  • There is news of the crash again, annonça Dao, l'oreille tendue pour écouter la radio.

Ils n'avaient pas la télévision mais pouvaient la regarder à l'occasion chez divers amis, ou dans certains restaurants du coin. Depuis quelques temps, même eux entendaient parler d'un énorme scandale qui secouait le monde de l'aéronautique. Cette véritable pagaille n'impactait pas que les voyageurs. C'était un gros coup dur pour Boeing, qui sous couvert d'enjeux financiers démesurément importants, avait minimisé un crash d'avion survenu vingt ans plus tôt au Laos.

Un certain Vassart avait permis d'élucider le mystère qui planait autour de l'accident, et tous les médias du monde en parlaient depuis quelques jours. Il avait découvert des preuves irréfutables mettant en cause la défaillance d'une pièce du modèle, tel que le conjecturaient les forums et les sites obscurs dédiés au crash. Cherchant à diffuser la vérité et à faire éclater le scandale au grand jour, il avait pris tous les risques afin que justice soit faite.

Johany se sentait soulagé depuis les révélations. Il avait enfin la confirmation, après trois ans de questionnements, que la mort de sa mère biologique n'était pas un simple accident. Le fait que ces théories aux allures complotistes soient reconnues et fondées lui donnait l'impression d'avoir trouvé la paix, quelque part dans la vérité.

Le jeune homme sortait de la douche, les cheveux encore humides, lorsqu'il eut la soudaine envie d'écrire. Ses pas le menèrent presque mécaniquement au tiroir de sa table de chevet.

Il en sortit son vieux carnet aux pages ondulées, dont l'encre avait beaucoup bavé. Il n'avait jamais eu le coeur de s'en débarrasser, même si tout ce qu'il y avait écrit durant son voyage avait été effacé par la pluie, trois ans plus tôt. C'était un souvenir qui lui était cher et qu'il ne pouvait pas jeter à la poubelle.

Il le feuilleta quelques instants, qui lui suffirent pour être gagné par la nostalgie. Sur les denières pages vierges peu abimées, il écrivit :

"Les véritables causes de cet accident d'avion auront finalement été révélées. Je suis satisfait de cette conclusion, maintenant je vais enfin pouvoir tourner la page."

Et c'est ce qu'il fit pour ensuite refermer le carnet.

Depuis qu'il s'était installé sur l'île, il s'était découvert une passion, celle de l'écriture. Dès qu'il avait un peu de temps, il sortait ses carnets et son stylo. Dao, lui, adorait écouter ses histoires, qu'il lui traduisait en anglais.

Leur chemin ensemble était beau, et ils n'étaient pas prêts d'en voir le bout. Ils savaient qu'ils resteraient unis, ils le sentaient, comme eux sentaient la citronnelle. Ce chemin était un aller sans retour**.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Hedwige et sa plume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0