07. Opération résistance
Joy
— Tu devrais le réveiller avant de partir, sinon il va passer sa matinée au lit, encore.
— Non, je ne pense pas. On a pas mal discuté hier soir. Tu as vu dans quel état il était après l’entretien ? Une pile électrique, ça faisait longtemps.
Kenzo hausse les épaules et moi j’espère que ça ne va pas retomber trop vite. Alken est rentré de sa confrontation avec Charline plus énervé que jamais, et je crois qu’il avait besoin de ça afin de se remotiver pour la prochaine bataille. D’ailleurs, la porte de la chambre s’ouvre alors que je termine mon café. Ces derniers temps, mon amoureux traîne au lit pendant un moment et peine à se lever, alors le voir débarquer dans la cuisine, saluer son fils et venir m’enlacer me fait plus que plaisir.
— Bonjour, beau danseur de mon cœur, souris-je en l’embrassant. Bien dormi ?
— Non, je n’ai pas bien dormi, j’ai beaucoup réfléchi. Malheureusement, je n’ai pas trouvé de solution, encore, mais, ça va venir, je le sens. Il faut que je me mette en guerre. Cette pimbêche ne va pas ruiner ma carrière, je te le promets ! Toi, par contre, tu as dormi comme un loir. J’ai hésité à te réveiller cette nuit, sourit-il, mais tu étais trop belle et je n’ai pas su résister à cette divine tentation.
Je jette un œil satisfait à Kenzo, heureuse qu’Alken soit moins défaitiste, et me love contre mon danseur préféré, nouveau guerrier, superbe spécimen, divin amant. La liste est non exhaustive et je sais que mon objectivité est questionnable, mais j’assume.
— Me réveiller ? Pour quoi faire ? Tu voulais discuter ? lui demandé-je innocemment, avec un sourire en coin, me souvenant très bien avoir été réveillée par ses baisers et caresses.
— Disons que je voulais rêver avec toi, et que je n’ai pas été déçu, ajoute-t-il alors que Kenzo lève les yeux au ciel.
Je pose mes lèvres sur les siennes et glisse mes mains sous son tee-shirt. J’aime tellement ces moments-là, ce petit quotidien que nous partageons, et j’espère qu’il retrouvera bientôt son poste, que tout se remettra en place, pour pouvoir vraiment en profiter. Charline ne se rend pas compte de ce qu’elle a fait, de l’impact de son mensonge sur nos vies.
— Sans vouloir vous interrompre, quoique, c’est le petit déjeuner quand même, intervient Kenzo, il va falloir qu’on file, sinon on va être en retard.
Alken grogne et me serre plus fort contre lui.
— Je t’ai laissé un petit message dans la salle de bain, murmuré-je à son oreille. Il est plus visible que celui d'hier et tu risques de galérer un peu à l'effacer, mais l'inspiration film romantique a fait son petit effet.
Oui, genre rouge à lèvres sur le miroir. Heureusement qu'il n'est pas accro à la propreté, ou pas trop du moins. Il aurait fait une syncope vu la taille du cœur que j'ai dessiné sinon !
Je débarrasse ma table sous son regard attentif et enfile mes chaussures et mon manteau rapidement avant de venir récupérer mon sac près de lui. Alken m’attrape par la taille et m'attire entre ses jambes pour me gratifier d'un tendre baiser que je dois rompre alors que nous entendons Kenzo soupirer à la porte.
— Tu crois qu'on pourrait faire quelque chose pour le faire réintégrer, de notre côté ? demandé-je au fils d'Alken alors que je m'installe dans sa voiture.
— Je ne vois pas trop ce qu'on pourrait faire, honnêtement. À part avouer à Élise que tu couches avec mon père et que s'il était dans cet état quand Charline l'a trouvé, c'est parce que vous veniez de vous faire une petite séance de sexe au téléphone…
— Ton père ne veut pas, soupiré-je. Je lui en ai reparlé hier soir, il est catégorique à ce sujet.
— Donc il ne nous reste plus qu'à kidnapper Charline et à lui faire avouer sous la torture qu'elle ment. Parce qu'elle ment, hein ?
— Tu vois ton père faire ça ?
— Non, vraiment pas.
— Bien. Une pétition ? Une grève ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? Parce que débarquer dans le bureau de la directrice ne me pose aucun problème, moi.
— Une pétition, ça sert à rien, ça. On va galérer pour avoir les signatures et après, quand on la donnera à la Directrice, elle ne va pas la lire et juste la mettre à la poubelle. Si on a de la chance, au mieux, on aura une réponse bateau : Merci de votre engagement. Nous avons pris en compte votre lettre mais nous ne pouvons répondre à votre demande pour le moment. Ou un truc du genre. J’y crois pas, tu vois.
— Une grève, alors ? Je ne sais pas si ce serait judicieux, mais je suis prête à prendre le risque.
— Ça, ça pourrait avoir de l’impact. Et même médiatique. Mais tu crois que les autres nous suivraient ? Et que mon père serait d’accord pour cette exposition dans les journaux ?
— Je n’irais pas jusqu’à prévenir les journaux, non. Faudrait qu’on reste discret, tout en menaçant, éventuellement, d’en parler aux médias. Je doute qu’Elise apprécierait que ça s’ébruite.
— Une grève sans médias, ça sert à quelque chose, tu crois ? me demande-t-il sans quitter la route des yeux.
— Aucune idée, je n’ai jamais fait ça, moi, ris-je. Tout ce que je veux, c’est aider ton père.
— Ecoute, tu sais ce qu’on va faire ? On organise une mini réunion avec les autres pendant la pause du midi et on voit ce qu’ils sont prêts à faire pour mon père ou pas. Ça t’irait ?
— On peut faire ça, oui. C’est mieux que rien. J’espère qu’ils vont se bouger… En plus, le prof remplaçant est nul. Il est urgent que ton père revienne, pour lui, pour nous, et pour l’ESD. Enfin, s’il a envie d’y revenir…
— Ouais, c’est pas gagné, ça, il en veut beaucoup à Elise et au CA quand même. À juste titre, je trouve. Après tout ce qu’il a fait pour l’école, se faire traiter comme ça, ce n’est vraiment pas cool.
— On est d’accord, soupiré-je alors qu’il se gare à quelques rues de l’école pour me déposer. Donc, on en parle autour de nous et on se retrouve après le cours du matin dans la bibliothèque ?
— La bibliothèque ? Mais personne n’y va jamais !
— Justement, on y sera tranquille. Et, je peux t’assurer que ton père et moi, on y va, souris-je.
— Vous y allez ? commence-t-il avant de comprendre ce que je veux dire. Non ! La bibliothèque ? Mais vous êtes fous !
— Crois-moi, tu as raison sur un point, personne n’y va jamais, à la bibliothèque, dis-je en sortant de la voiture. A tout de suite, mon chou ! Merci de m’avoir évité les transports en commun !
Je lui envoie un baiser et prends le chemin de l’ESD à pied. Direction l’histoire de la danse, où je ne suis pas très attentive, occupée à réfléchir à ce que nous allons bien pouvoir dire à nos camarades. Je fais passer des petits mots comme à l’époque du collège, afin d’informer le groupe que nous voulons nous réunir pour évoquer le sujet. Kenzo, assis à mes côtés, semble lui aussi perdu dans ses pensées plutôt que concentré sur le cours auquel nous assistons.
C’est avec un profond soupir de soulagement que nous accueillons la sonnerie qui annonce la fin de cette torture. Kenzo et moi nous hâtons de ranger nos affaires et de rejoindre la bibliothèque, et nous nous installons dans la plus grande pièce disponible. Nous sommes vite rejoints par la plupart des élèves de notre promotion, et quelques premières années se joignent à nous.
— Peut-être que c’est toi qui devrais porter cette revendication, non ? murmuré-je à Kenzo. Je ne sais pas...
— Moi ? s’affole mon ami. Mais… Enfin, oui sûrement, mais tu m’aides, hein ?
— Bien sûr, tu sais bien que je ne vais pas pouvoir la boucler, de toute façon, ris-je.
— Bien, merci d’être là, les amis, commence-t-il, un peu hésitant. On vous a demandé de venir pour parler de mon père. J’espère que tous, vous croyez à son innocence. Vous l’avez tous remarqué, Charline avait envie de lui mettre la main dessus et comme elle n’y est pas arrivée, elle l’accuse faussement. On ne peut pas laisser mon père comme ça, suspendu à cause d’une menteuse !
— Kenzo a raison, continué-je. On connaît tous Alken, ici. Il n’a jamais eu de comportement déplacé envers aucune d’entre nous, non ?
— Moi, ça m’aurait pas dérangée s’il l’avait fait, glousse une première année que je ne connais pas plus que ça et qui m’énerve déjà.
— Sauf que nous ne sommes pas là pour ça, soupiré-je en levant les yeux au ciel. Est-ce que quelqu’un, ici, pense sincèrement qu’il aurait pu partir en vrille comme ça alors qu’il a toujours été correct avec chacune de nous ? Est-ce que vous l’imaginez vraiment capable de harceler sexuellement une de ses élèves ? On l’a tous vue, elle, lui tourner autour, soit en cours, soit à la cafétéria, dans les couloirs. Je veux bien que ça n’excuse pas tout, mais quand même…
— C’est un bon prof, c’est vrai, dit Emilie qui vient à notre soutien. Mais, là, c’est la Direction qui a décidé. Vous voulez faire quoi avec cette réunion ? On pourrait aider à le réintégrer ?
— Eh bien, répond Kenzo, on se disait qu’on pourrait peut-être lancer une petite grève ? Vous en pensez quoi ? Ça ferait réagir Elise, c’est sûr !
— Une grève ? C’est un peu risqué pour nous ça, non ? demande un jeune de première année.
— Ce qui est risqué, c’est d’avoir ce prof remplaçant pendant tes deux années de formation, si tu veux mon avis, dis-je.
— Et la justice, ça n’a pas de prix, si ? demande Kenzo en s’emportant légèrement.
— Facile à dire pour toi, c’est ton père. Si c’était un autre prof, tu risquerais ta carrière pour la justice ? demande Jasmine, visiblement inquiète de la tournure des débats.
— Oui, sûrement, assume Kenzo. A la fin, la justice l’emporte toujours, non ?
J’observe l’assemblée présente et constate que si tout le monde est présent et semble vouloir aider, personne n’a l’air prêt à vraiment se mouiller.
— Qu’est-ce que vous êtes prêts à faire, si ce que nous proposons ne vous convient pas ? demandé-je. Quelqu’un a une idée ? Parce que, honnêtement, je crois qu’on vaut tous mieux que de la boucler et laisser l’injustice se faire comme ça.
— Pourquoi vous n’iriez pas voir Elise en disant que nous sommes tous d’accord et lui demander de changer sa décision ? nous interroge Emilie. Ça leur mettrait la pression et on voit ensuite si ça n’a pas d’effet, ce qu’on pourrait faire ?
Je jette un œil à Kenzo qui hausse les épaules sans trop se mouiller. C’est une idée, mais je ne suis pas sûre que cela suffise.
— Ok, est-ce que tout le monde serait d’accord pour qu’on fasse ça ?
Les murmures s’élèvent dans la salle et les discussions vont bon train pendant quelques secondes, avant que chacun acquiesce petit à petit. En moins de temps qu’il n’en faut pour dire “ouf”, et dans un empressement mêlé de cafouillis, Kenzo et moi nous retrouvons au secrétariat, à demander à Marie un entretien urgent avec notre directrice. Nous aussi, nous partons en guerre.
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