09. Rencontre de lovers

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Joy

Je mets ma capuche et ferme mon manteau avant de descendre de la voiture. Alken me rejoint rapidement et nous courrons jusqu’à l’entrée du restaurant en riant. Ah, le Nord ! Heureusement, on s’y habitue, et il vaut mieux rire des trombes d’eau qui nous tombent dessus plutôt que de s’en plaindre. Bon, entre nous, je préférerais la neige à la pluie maintenant que nous approchons grandement de Noël. Si les trains pouvaient être bloqués, cela m’éviterait d’avoir à descendre à Paris pour les fêtes. En attendant, voilà une semaine qu’il pleut quotidiennement et que les températures sont proches de zéro, et je suis encore plus ravie de rentrer pour aller me blottir à l’abri, au chaud, dans les bras du bel Apollon dont la main est posée au creux de mes reins, diffusant malgré les couches de vêtements, une chaleur certaine dans tout mon corps.

— Ah, ils sont là-bas, dit mon amoureux en me montrant du doigt une table dans un coin de la salle.

Je jette un œil sur le couple qu’il m’indique. Ils sont tous deux installés côte à côte sur une banquette, penchés l’un vers l’autre, et le regard qu’ils se lancent me ferait presque envie tant ils semblent complices.

Je stresse. C’est vrai, quoi. Outre le fait que nous tentons à nouveau l’expérience du restaurant et que la dernière fois, j’ai dû fuir et manquer le tiramisu pour ne pas me faire voir de l’ex-femme d’Alken, voilà qu’il me présente à ses amis. Cela officialise vraiment notre relation, même si elle doit rester secrète. Honnêtement, quand Alken m’a parlé d’aller dîner avec eux, j’ai un peu paniqué et lui ai dit que je ne pensais pas que ce soit une bonne idée. Mais, après réflexion, l’envie de vivre de façon normale, de sortir un peu de l’appartement, mais aussi de rencontrer l’homme qui donne un coup de main à mon amoureux dans cette situation galère, m’ont convaincue. Ça, et le fait qu’Alken semblait vraiment heureux à l’idée de partager cette soirée avec ses amis.

Tous deux sont vraiment magnifiques et vont bien ensemble, c’est la première pensée que j’ai en les voyant se lever pour nous saluer. Charlotte m’accueille chaleureusement et me fait la bise, suivie de son compagnon Rafael qui me décoche un sourire charmeur qui ne doit laisser personne de marbre.

J’enlève mon manteau et m’installe en face de Charlotte alors qu’Alken et Rafael se gratifient d’une chaleureuse étreinte, et je souris en le voyant poser son bras sur le dossier de ma chaise une fois qu’il est installé.

— Je suis contente de vous rencontrer. Alken m’a beaucoup parlé de vous, dis-je en jetant un œil à mon danseur.

— Eh bien, nous aussi ! lance un Rafael, visiblement content de me rencontrer. C’est un plaisir de découvrir celle qui fait faire des folies à notre ami !

— Des folies, hein ? Qu’est-ce que tu as bien peur leur raconter ? ris-je. Vous savez, vu le contexte, on ne fait pas grand-chose de fou, pour être honnête.

— J’ai dû lui dire pour ce qui a amené Charline à débarquer dans la salle de bain, intervient Alken, tout gêné et rougissant.

— Ah… Ça ? Et ? Ça te met mal à l’aise ? Ça doit être une question de génération, mon Lapin, souris-je en posant ma main sur sa cuisse. C’est pas grand-chose voyons !

Je dis ça, mais j’avoue que je ne fais pas trop la maligne, pour le coup. Rafael a dû en parler à Charlotte, et je me demande ce qu’ils peuvent penser de moi après ça. C’est fou comme on peut s’inquiéter du regard des autres. Je ne crois pas qu’un peu de sexe au téléphone soit si terrible que ça.

— Eh détendez-vous, les amoureux ! Si vous saviez ce que Charlotte m’a fait faire ! rit Rafael en enlevant toutes les miettes de pain qui sont tombées sur la nappe quand sa compagne a pris un morceau. Vous prenez l’apéritif ?

— Pas d’alcool pour moi, mais je ne dis pas non à un petit cocktail. C’est diète pour moi, j’ai la chance d’avoir un examen de danse classique avec l’ex Madame O’Brien demain matin, il faut que je sois en forme, dis-je avant de grimacer.

— Il faut que vous me racontiez comment vous vous êtes rencontrés, nous lance Charlotte, toute joyeuse. De ce que j’ai compris, vous étiez tous les deux dans un rôle différent de l’actuel, c’est ça ? Je trouve ça follement romantique !

— Oui, non, heu… Romantique, pas tant que ça, pouffé-je. Enfin, il m’a suivie dans le bar où je travaille, m’a menti sur son métier et ne m’a même pas donné son prénom. On repassera pour le romantisme, mais… Tout est bien qui finit bien. Il se rattrape, dirons-nous.

— J’espère que tu ne mens pas comme ça à ton avocat, s’amuse à le titiller Rafael, alors que mon brun ne sait plus où se mettre.

— Je ne pensais pas que j’allais tomber follement amoureux de cette magnifique brune, c’est tout. C’est vraiment pas mon truc de mentir comme ça. Mais elle ne m’a pas dit non plus qu’elle était danseuse, même si, pour marcher avec une telle grâce, j’aurais dû me douter que ça cachait quelque chose !

— Tombé amoureux d’une danseuse, il essaie désormais de la rendre heureuse, il est amoureux comme jamais, il veut rester avec elle pour l’éternité, énonce Rafael en vers, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.

— Eh bien, j’allais confirmer qu’Alken se rattrapait, mais je n’ai pas droit à ce genre de choses, je suis jalouse, Charlotte, souris-je.

— Ne le sois donc pas Joy, ton danseur, au moins, n’est pas toqué de chez toqué ! Je suis sûre qu’il a plein d’autres qualités car ce n’est pas donné à tout le monde d’être poète.

— Je suis sûr que je danse mieux que Rafael, ma Chérie. Je suis prêt à parier un bisou là-dessus, rit Alken qui semble enfin se détendre.

Je n'en doute pas, mais mon danseur ne danse plus vraiment depuis cette histoire. Il ne s'est pas cantonné à arrêter de donner des cours. Il ne se joint plus à moi lorsque je me déhanche dans la cuisine en préparant le repas. Ou alors il ondule gentiment dans mon dos. Mais depuis sa suspension, je n'ai pas vraiment partagé de moment de danse avec lui. Ce qui me donnerait presque envie de demander la preuve, là, maintenant, au beau milieu de ce restaurant.

Le serveur arrive pour prendre nos commandes et j'avoue n'avoir même pas jeté un œil à la carte. Je me penche dessus rapidement pendant qu'Alken hésite sur l'apéritif, et observe un peu Charlotte et Rafael à l'arrachée. Est-ce que nous avons, nous aussi, l'air aussi amoureux ? Est-ce que ça semble aussi naturel, aussi évident entre mon danseur et moi ? Toujours est-il que je ne peux que regarder Charlotte avec admiration quand je pense à ce qu'elle a pu vivre avant de rencontrer son avocat, et me demande comment Rafael a pu garder les idées claires pour défendre sa belle, quand je vois comme je perds toute retenue ou discernement quand il s'agit d'Alken.

— Oh, au fait… Je sais qu'on avait dit qu'on évitait le sujet, mais il paraît que Celle-Dont-Je-Déteste-Prononcer-Le-Nom, sous peine de devenir vulgaire, a été convoquée dans le bureau de la Directrice et en est ressortie en pleurs ce matin. Je crois qu'Elise cherche à la faire flancher, vraiment. Quand on y est allé avec Kenzo, elle semblait vraiment de ton côté, tu sais. Un peu paumée et dépassée par les événements, surtout.

— Je te croirai quand j’aurai réintégré mon poste et que mon honneur aura été rétabli, ma Chérie, mais c’est une bonne nouvelle, n’est-ce pas Rafael ?

— Je ne sais pas, Alken. Je n’ai pas tous les éléments, mais si un jour, tu vas au procès, ce genre d’attitude peut être mal vu, tu sais ?

— Oui, c’est vrai, mais il faut que la petite flanche, sinon, jamais je ne retrouverai une vie normale.

— Eh bien, au pire, on s'envole direction Cuba. Je crois qu'on a des pistes de boulot là-bas, souris-je.

— Oh Cuba, Chadamour, tu entends ? nous interrompt Rafael. Il faut qu’on y aille, c’est le rêve de Chavoyageuse d’y aller un jour !

— C'est un joli rêve, ça vaut la peine de faire le voyage. J'y serais bien restée quelques semaines de plus, et pas seulement pour les beaux yeux de mon danseur.

— En tous cas, pour revenir à Elise et à celle dont Joy-Ne-Peut-Pas-Dire-Le-Nom, reprend l’avocat comme si de rien n’était, il faut lui mettre la pression, mais de manière un peu plus intelligente et subtile. Tu leur annonces que tu as pris un avocat et qu’il va bientôt les contacter. Et tu laisses mijoter. Et si ça ne les fait pas bouger, là, il faudra sortir l’artillerie lourde. Cela signifie aussi parler de toi et Joy, conclut Rafael tout en serrant la main de Charlotte amoureusement, comme est en train de le faire Alken avec moi.

— C'est une option qu'on envisage, oui, dis-je alors que je sais que mon danseur n'est pas pour. Mais le charmant têtu à mes côtés n'est pas d'accord. Pour lui, ça ne changerait rien, ça ne vaut rien comme information.

— Et pourtant, le regard qu’il te porte convaincrait n’importe quel jury ! s’exclame Charlotte en souriant.

Je dois rougir parce que je sens mes joues chauffer et n'ose même pas jeter un œil à Alken. Je souris, incapable de faire ou dire quoi que ce soit à ce sujet. Si je suis une jalouse assumée, j'avoue que les regards de mon danseur font souvent palpiter mon petit cœur amoureux.

— Alken est très technique et faits concrets. Enfin, il n'a pas tort sur ce point, le fait que nous soyons ensemble ne prouve rien, sauf si Charline a donné des détails concrets sur l'heure et que ça coïncide avec notre appel, dis-je en me tournant vers Alken. Elise t'a fait part de ce genre de choses ? Parce que cet appel, c'est ce qui t'a mis dans la galère, mais c'est aussi ce qui pourrait tout arranger, non ?

— Je ne veux pas te mêler à cette histoire, ma Chérie. Je te l’ai déjà dit, un seul dans la galère, ça suffit, je trouve.

Je lève les yeux au ciel et lance un regard blasé à Rafael. Alken est particulièrement têtu et c'est frustrant de le voir réagir comme ça. Après tout, si moi j'ai envie de prendre ce risque, c'est mon choix, non ?

— On vit ensemble, on est ensemble et tu est important pour moi, alors je t'assure que je me sens déjà dans la galère. Mais c'est comme tu le sens, Monsieur têtu. Bref, on change de sujet avant de se fâcher ?

— Le danseur est aveugle car passionné, il faut cesser de le bousculer, un jour il en comprendra le bien-fondé, et ce jour-là, les dés seront jetés, répond Rafael qui n’a pas l’air de pouvoir s’empêcher de rimer. Et pour changer de sujet, vous savez qui a gagné son procès hier ?

Alken et moi le regardons d'un air interrogateur alors que l'avocat bombe fièrement le torse, faisant rire Charlotte, qui casse tout le suspens en nous dévoilant la réponse.

— L'ex de Marie passait devant le juge hier et Rafael a été formidable, comme d'habitude, sourit-elle en lançant un regard énamouré à son homme.

— Ah, félicitations ! réagit mon homme. C’est une excellente nouvelle ! Elle doit être soulagée. Et elle va pouvoir essayer de recommencer à nouveau à zéro, la pauvre.

Oh, elle a déjà essayé, et je masque au mieux la grimace qui pointe son nez au souvenir de ses frasques. Mais j'accueille la nouvelle autant que le changement de conversation avec soulagement. Même si parler de Marie n'est pas mon sujet préféré, j'ai bien conscience que nous avons en face de nous deux personnes totalement étrangères à la danse et que ce n'est pas le thème principal de la soirée, assurément. Bienvenue dans le monde des adultes, Joy. Celui où il faut savoir converser et varier les sujets sans passer pour une nigaude. Pas facile.

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