12. Amoureux et poète
Alken
Et j’entends siffler le train, et j’entends siffler le train. Que c’est triste un train qui siffle dans le soir.
Bon, OK, le TGV n’a pas sifflé et le départ s’est passé sans tout le tralala de la chanson, mais je l’ai quand même en tête alors que le chef de quai siffle et que le train s’éloigne lentement du quai de la Gare Lille Flandres, où je reste jusqu’à ce qu’il disparaisse de ma vue. Me voilà seul, à Lille, sous la pluie, alors que tous ceux qui sont importants dans ma vie sont partis vaquer à leurs occupations. Joy est chez ses parents, et nous sommes en contact quasi permanent, mais le virtuel ne remplacera jamais la douceur de ses lèvres, les visios ne seront jamais à la hauteur de la chaleur de son corps, et lire ses messages n’est qu’un fade placebo à la lecture que je peux faire de ses courbes quand elle est à mes côtés.
Je rentre chez moi où je vais passer cette journée de Noël seul, maintenant que Kenzo est parti dans le Vercors pour retrouver Théo et passer la semaine jusqu’au Nouvel An à faire du ski et à profiter de son petit ami. Heureusement qu’il était là hier soir pour le Réveillon. On a passé une bonne soirée à écouter de la musique et à danser. On s’est fait une petite “battle”, un jeu dans lequel nous nous opposons et faisons travailler notre mémoire. L’un de nous fait un enchaînement et l’autre doit le reproduire sans se tromper dans les pas et en essayant de les réaliser de la façon la plus fluide possible. Et à ce petit jeu, Kenzo s’améliore. J’ai remporté la soirée, mais c’est la première fois qu’il m’a fallu autant de temps pour l’épuiser et prendre l’avantage. Il a une vraie fougue, une vraie énergie et les cours à l’ESD commencent à payer. Il ne lui faudra plus longtemps pour approcher mon niveau et je suis fier de lui.
Je souris en montant dans ma voiture car j’ai accroché au rétroviseur la petite peluche que m’a envoyée Joy. Une voiture cubaine en peluche, je n’avais jamais vu ça, mais ma jolie brune l’a trouvée et je me suis empressé de l’accrocher afin de pouvoir penser à elle et à notre voyage à chaque fois que je conduis. Et comme ça, quand j’irai la chercher à la gare à son retour de Paris, elle verra que j’ai mis un de ses cadeaux à la place d’honneur dans ma voiture, comme elle me l’a suggéré dans son petit mot d’amour. J’espère qu’elle a apprécié le mien et surtout le petit poème que je me suis efforcé de lui écrire, vu comment elle a apprécié les vers de mon ami Rafael. J’ai beaucoup travaillé dessus et je peux encore le réciter dans ma tête en conduisant.
Joy, ton nom évoque cette joie que je ressens depuis que tu es entrée dans ma vie
Oubliés tous mes soucis, mes peurs, mes craintes, tout ça est fini
“Y’a d’la joie” chantait le poète, et je ne peux que me joindre à lui et à ses jolis mots
Exquise sensation que celle de t’aimer et d’être aimé par toi, un vrai cadeau
Uni à la plus jolie femme qui puisse sur cette Terre exister
Xérès, Porto, Champagne, non rien ne peut comme toi m’envoûter
Ne cesse jamais de m’aimer, je ne pourrais le supporter, j’en mourrais
Osons vivre notre passion à deux car elle existera à jamais
Envisageons l’avenir avec bonheur, confiance et adoration
Laissons-nous porter par la magie des fêtes, je t’aime en toute déraison
Arrivé chez moi, je m’installe dans le canapé et n’allume même pas la télé. Je reste dans le silence et j’essaie de ne penser qu’à Joy, à mes retrouvailles avec elle, mais mon cerveau n’arrête pas, comme il le fait ces derniers temps, de revenir à Charline, à ses mensonges, à cette suspension qu’elle m’impose. L’ESD a dit qu’ils continuaient à me payer et qu’ils peuvent ainsi me maintenir écarté le temps que les choses se clarifient quant au problème qu’ils rencontrent. Cela ne veut pas dire grand-chose, mais je prends mon mal en patience. Mon remplaçant n’est, paraît-il, pas à la hauteur. J’ai suggéré à Joy et à Kenzo de faire comme dans Harry Potter. Organiser des cours en sous-marin, pour ne pas qu’ils perdent le bénéfice de mes apprentissages, avec tous les volontaires. Joy a trouvé l’idée excellente et réfléchit à la salle où on pourrait le faire. Elle et mon fils démarchent déjà les autres élèves pour voir qui serait intéressé et il semblerait que la grande majorité le soit. Cela me fait plaisir et me redonne un peu espoir. Sauf que là, tout seul devant l’écran noir de ma télé, dans le silence de ma pièce, j’ai du mal à retrouver cet enthousiasme et cette envie d’aller de l’avant. J’envoie un petit message à Joy pour voir comment elle va.
— Coucou ma Chérie. Joyeux Noël encore. Tu es levée ? Tu as ouvert tes cadeaux ? Merci pour tout ce que tu m’as envoyé ! Cela m’a fait très plaisir. Fais-moi signe quand tu te réveilles ! Je t’aime !
Vu l’heure, ce n’est pas pour tout de suite, le réveil. Surtout si elle s’est couchée tard après le réveillon familial de la veille. Je tourne un peu en rond chez moi et passe le temps en réfléchissant au prochain cours que je pourrais donner si mon idée de séances clandestines aboutit. Rien n’est moins sûr, mais au moins, cela me permet d’éviter de penser à la solitude de cette journée. Marie m’a envoyé un petit message gentil, tout comme Rafael et Charlotte. D’autres connaissances aussi, j’ai même eu quelques invitations polies pour ne pas passer la journée seul, mais la seule avec qui j’ai envie de fêter cette journée est loin et pas disponible. C’est difficile à vivre, mais je me dis qu’on est déjà presque à la fin de l’année scolaire, que le plus dur a été fait et que, dans quelques mois, nous pourrons nous afficher sans crainte de violer un règlement intérieur ou de mettre en danger la carrière de Joy. Quand on voit son talent et sa grâce, ce serait dommage qu’elle se fasse renvoyer et finisse loin des scènes de spectacle !
Enfin, mon téléphone vibre et je pars à sa recherche frénétiquement. Je ne sais pas où je l’ai abandonné et je me maudis d’avoir une si piètre mémoire… Ou une si mauvaise organisation. Quand enfin je le retrouve sous un coussin, je suis ravi de voir que ma belle danseuse est sortie des bras de Morphée.
— Joyeux Noël, danseur de ma vie ! Je suis encore dans mon lit, froid, et bien vide sans ma moitié… Mon frère est déjà venu frapper à la porte pour que je descende ouvrir les cadeaux, mais je préfère traîner au lit en pensant à toi… Tu me manques, et je t’aime ! Kenzo est parti ? Tu vas bien ?
Je souris en lisant ses quelques mots. J’ai l’impression d’être à ses côtés quand je la lis. Mais si j’étais vraiment à ses côtés, elle serait déjà nue et n’aurait pas froid, c’est sûr. Rien que d’imaginer ces quelques détails, mon corps tout entier se réveille et des pensées folles s’insinuent doucement mais sûrement dans mon cerveau jusqu’à ce que la triste réalité rejaillisse soudainement. Aujourd’hui, pas de risque que je m’unisse à elle. Je l’appelle néanmoins en visio pour briser un peu le silence de mon appartement et ma solitude.
— Coucou ma Chérie, tu vas bien ? Je t’aime ! Joyeux Noël ! m’exclamé-je, plein d’énergie.
Elle ne me répond pas tout de suite même si elle a répondu à mon appel. Sa caméra n’est pas non plus allumée et je me demande s’il y a un problème technique quand enfin, j’entends sa voix.
— Salut beau gosse ! Joyeux Noël, je t’aime, et j’ai oublié le reste, rit-elle. Que me vaut cet appel très agréable bien que matinal ?
— Je t’ai imaginée nue dans ton lit, et j’ai envie de toi, maintenant. Et puis, pour être honnête, je me sens un peu seul, ici. Je me suis dit que tu m’aiderais à ne pas ruminer tout seul dans mon coin. Je ne te dérange pas au moins ?
— Tu ne me déranges jamais, mon Cœur. Tu devrais m’envoyer des photos coquines quand tu commences à ruminer. Ça t’occuperait, et moi j’adore tes photos. Enfin, tu peux m’appeler aussi, j’aime ça.
Elle allume enfin sa caméra et je vois son sourire qui illumine l’écran. Elle a zoomé sur son visage et je ne peux voir le reste de son corps mais je sais qu’elle est nue et qu’elle est sûrement en train de se caresser au vu de la rougeur de ses joues.
— Tu me manques trop, Joy. C’est horrible d’être loin de toi et surtout dans l’incapacité de te retrouver. Et puis, plutôt qu’une photo coquine, tu ne préfères pas admirer le mouvement ?
Je baisse mon téléphone vers mon entrejambe et sors mon sexe que je caresse lentement pour l’exciter encore davantage.
— Est-ce que je suis égoïste si je te dis que je préférerais que ta main soit juste là ? me demande-t-elle en descendant quelques secondes son téléphone entre ses cuisses. Enfin, ta main… Ou autre, d’ailleurs.
— Non, du tout. Parce que c’est de ça que j’ai envie. J’aimerais tellement m’enfoncer en toi, te sentir m’aspirer au fond de toi jusqu’à ne plus pouvoir en partir. Tu m’excites trop, Joy. Tu vas me faire jouir si tu continues comme ça.
— Et ? Ça pose un problème, Chéri ? sourit-elle.
— Oui, ça me donne encore plus envie de toi en vrai, dis-je en positionnant mon téléphone pour lui donner une vue sur mon sexe bandé que je caresse de plus en plus vite.
Je constate qu’elle fait de même de son côté et qu’elle aussi a accéléré ses mouvements, poussant de petits gémissements qu’elle essaie de retenir le plus possible. Mais elle reste expressive même dans ces conditions virtuelles et cela finit par provoquer mon orgasme auquel elle assiste en direct.
— J’aime tellement te voir jouir, Alken, tu n’as pas idée, me dit Joy avant de fermer les yeux en se mordant la lèvre.
Moi aussi, j’adore la voir jouir, son corps secoué de spasmes alors qu’elle pousse de petits gémissements. Mais aujourd’hui, il me manque quelque chose. Je suis trop seul chez moi.
— Joy, je t’aime trop. Tu me manques. J’ai envie de jouir en toi et je ne peux pas attendre la fin des vacances. Comment on peut faire ? J’ai envie de te retrouver et de ne plus être seul ici dans mon appartement…
— J’espère que tu as envie de me voir pour autre chose que seulement pour tremper ta saucisse, rit-elle.
— Oui, Joy, j’ai envie de te voir pour être avec toi, pour ton sourire, pour passer du temps avec toi. Pour nous créer des souvenirs à deux. La vie est trop courte pour vivre séparés, mon Amour. Tu n’es pas d’accord ?
— Eh bien, je te laisse expliquer à mes parents pourquoi je sors avec mon prof, et les convaincre de ne rien dire à l’ESD ? soupire-t-elle. Sinon, je te propose de t’accueillir en secret dans ma chambre… Ou tu trouves une chambre d’hôtel et je fais le mur tous les soirs. Je serais ravie d’échapper à ma mère dans la journée pour aller voir de vieux amis… Ou plutôt retrouver mon danseur obsédé.
— J’arrive Joy. Ce soir, on fête Noël à deux ! lancé-je sans plus réfléchir aux conséquences. Soyons fous, comme le dit mon petit poème. Je t’aime en toute déraison. Ce soir, rendez-vous à seize heures ?
— C’est envisageable, je pense, charmant poète de Noël. Prie pour que le repas ne traîne pas jusqu’à pas d’heure. J’ai hâte de vous voir, Monsieur O’Brien.
— Je prie tous les dieux du monde pour que vous vous arrêtiez à l’entrée, Mademoiselle Santorini. Ce soir, vous êtes convoquée par votre Prof et je vous assure qu’il n’a pas l’intention de rigoler. J’arrive, ma Chérie. Merci de vivre mes folies avec moi !
— Je ne pourrais plus m’en passer, rit-elle. Mais j’espère quand même croiser mon petit ami. J’adore le prof, seulement je suis conquise par l’homme qui partage ma vie.
— Je t’aime, Joy. A un point que même la folie ne peut pas comprendre. A tout à l’heure, ma Chérie. Je serai là ce soir pour te tenir dans mes bras et te réciter le poème en face à face.
— Vivement ce soir alors ! Je t’aime, Alken, et je suis contente que tu viennes, tu sais. A ce soir, Chéri.
Je raccroche et fonce me préparer pour cette fin de journée qui s’annonce beaucoup moins ennuyante que je ne le pensais. Je pense qu’on ne pourra pas se voir forcément beaucoup, mais ce petit peu va me faire énormément de bien. Paris, me voilà !
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