15. Les danseurs vont au ski
Joy
Mes parents faisaient déjà la tête quand je suis rentrée. Oser découcher un vingt-cinq décembre au soir, une honte, Joy ! Pourtant, malgré leurs têtes contrariées, impossible de regretter. Je n’y peux rien, j’aime trop m’endormir dans les bras d’Alken. J’aime trop dîner avec lui et voir ses yeux se fermer et son sourire se dessiner sur ses lèvres lorsqu’il apprécie ce qu’il goûte. J’aime trop voir ses petites pattes d’oie se marquer lorsqu’il me sourit, l’observer lisser sa barbe lorsqu’il réfléchit, surprendre son regard sur moi lorsque j’ai le dos tourné. Sans même parler de nos moments intimes, je savoure trop cela et apprécie tellement que j’ai du mal à m’en passer. Alors autant dire que quand j’ai avoué à mes parents qu’on m’avait proposé quelques jours au ski, la température déjà fraîche, et pas uniquement à cause de ce mois de décembre, a encore baissé d’un cran. Ma mère, déjà grincheuse, m’a traitée de fille indigne, et mon père a clairement montré sa déception. J’ai dû leur promettre d’être là le trente-et-un pour que la pilule passe à peu près, et j’ai fini par avouer que j’avais un petit ami. Disons que je me suis dit que cela passerait mieux auprès de la matriarche, qui ne peut pas encadrer Théo, soit disant fautif de mon choix professionnel. Finalement, je crois que ce n’était pas mieux. Me voilà trop frivole et pas assez concentrée sur ma carrière, à présent. Et le ski, grand dieu, quelle folie ! Je “risque de foutre en l’air ma carrière”, ce sont ses mots exacts. Ma mère, si coincée, si polie, qui devient à moitié vulgaire, cela n’arrive qu’en ma présence ou à mon sujet. Autant dire que je ne fais jamais les choses comme il faut, de toute façon.
Mais, encore une fois, ma décision était prise, et me voici dans le train direction Gresse-en-Vercors aux côtés de mon bel Apollon tout sourire. Kenzo et Théo sont contents de nous accueillir dans leur chalet, mais nous devrons nous contenter du canapé. Honnêtement, je m’en fiche, tant que je peux voir ce sourire et sentir cette main sur ma cuisse le plus possible.
Je pose ma tête contre son épaule alors que débute une nouvelle chanson dans les écouteurs que nous partageons. How would you feel, d’Ed Sheeran, et les paroles ne peuvent que me faire penser à lui.
How would you feel (Comment te sentirais-tu)
If I told you I loved you (Si je te disais que je t'aimais)
It's just something that I want to do (C’est simplement quelque chose que je veux faire)
I'll be taking my time (Je vais prendre mon temps)
Spending my life (Passer ma vie)
Falling deeper in love with you (À tomber encore plus amoureux de toi)
So tell me that you love me too (Alors dis-moi que tu m'aimes aussi)
Nous passons le trajet à écouter de la musique, à nous toucher, nous câliner, nous embrasser, et à parler de tout et de rien avec une légèreté vraiment bienvenue. Après ces dernières semaines et le scandale de la mytho, nous éloigner de Lille semble être une excellente idée.
— On va quand même leur pourrir leur semaine en amoureux, on abuse, non ? finis-je par lui dire.
— Ouais, un peu, mais bon, tu sais qui paye pour Kenzo ? me demande mon amoureux. C’est moi, alors tu vois, je ne suis qu’à moitié gêné de faire ça.
— Vu comme ça, ris-je. Mais Théo n’y est pour rien, lui. Enfin, j’espère qu’il sera aussi content que moi de le voir, il me manque, quand même.
— On va bien s’amuser, et d’après Kenzo, c’est un peu comme si on aura deux chambres, même si pour nous, c’est le canapé. On pourra quand même en profiter, tu sais, sourit-il avec un air coquin. Ce n’est pas comme s’ils ne t’avaient jamais entendue !
— Tu ne penses vraiment qu’à ça, c’est fou, me moqué-je. J’espère pour toi que l’air de la montagne ne va pas me couper toute envie.
— Je nous connais, c’est tout, ma Chérie. Tu n’aimes pas la montagne ?
— Si, mais c’est fatiguant, l’air de la montagne, si ça se trouve je vais tomber comme une masse et tu n’auras plus qu’à dormir sur la béquille, murmuré-je à son oreille.
— Je préfèrerais que tu dormes dessus, ce serait plus agréable. Et puis, si tu es fatiguée, je saurai me tenir, va. Là, on y va aussi pour faire du ski, non ? C’est trop beau la montagne sous la neige.
— Je ne sais pas si je vais skier… Je n’en ai pas fait depuis des années, et puis ce serait risqué.
— On fera du ski de fond alors. Ou des randonnées en raquettes. Tu ne comptes quand même passer tout le séjour dans le canapé, petite coquine !
— Bien sûr que non. J’adore faire des batailles de boules de neige, pour ton information. Et ensuite me lover devant la cheminée avec un chocolat chaud et deux bras forts. Tu crois que tu peux remplir ce rôle ? lui demandé-je en palpant son biceps, le sourire aux lèvres.
— Alors, pas de ski, juste des batailles de boules de neiges et des câlins. Ça me va aussi, même si j’irai surement me faire une petite descente avec Kenzo et Théo. Cela te permettra de m’admirer alors que je descends la piste, tel un aigle fendant l’air.
Je lui souris, masquant ma frustration. Ma mère m’a un peu trop conditionnée à faire attention à ce genre de choses, comme ne pas monter sur un scooter ou une moto, éviter les sports extrêmes ou à risques, y compris le ski. Il va falloir que je me mette un coup de pied aux fesses si je veux vraiment profiter, parce que j’ai bien envie de skier un peu, moi aussi.
— Je passe déjà mon temps à t’admirer, beau danseur, il t’en faut encore davantage ?
— Oui, toujours plus avec toi. Et là, j’ai besoin de plus de bisous ! renchérit-il. C’est possible, tu crois ?
— Je ne sais pas, Prof, on est quand même… Entourés de monde, dans un lieu public, voyons, souris-je en agrippant sa nuque pour l’embrasser tendrement. C’est mieux ?
— Oui, j’ai failli faire une crise de manque. C’était moins une !
Je pouffe alors que le contrôleur annonce notre arrivée à la gare et nous nous préparons à descendre. Si mes camarades de promo savaient ce que je vis avec Alken, elles seraient plus que jalouses, et pas seulement pour sa belle gueule et son charisme qui fait fantasmer toutes les filles que je connais ou presque. Ce côté tactile, ces petites phrases de lover, ces attentions qu’il me porte constamment, difficile de rester de marbre. Et je n’en ai aucune envie, d’ailleurs, il y a bien longtemps que j’ai arrêté de lutter.
Il est quasiment dix-huit heures lorsque nous retrouvons Kenzo et Théo devant la gare de Grenoble, et les retrouvailles sont chaleureuses. Revoir mon ami d’enfance me fait un bien fou, lui qui était en tournée dans les théâtres de France depuis un mois n’a pas eu l’occasion de remonter à Lille entre deux représentations. Je profite donc de sa longue étreinte, même si nous sommes séparés par une grosse doudoune et mon épais manteau.
— Pas aussi confortable qu’Alken, ris-je, mais tu m’as manqué quand même !
— Ah Joy, que ça fait plaisir de te voir en vrai. J’avais oublié comme tu étais grosse avec les visios ! Tu as mis cinquante couches de vêtements, non ?
— Hé ! Va te faire voir ! grimacé-je, je n’ai qu’un gros pull sous mon manteau, commence le séjour en me vexant et je vais te pourrir tes vacances !
— Je rigole, Joy. Je suis sûr qu’Alken est toujours capable de faire un porter avec toi qui rendrait jaloux même les eunuques chinois ! Allez, en route, avec la neige qui est tombée, il va nous falloir un peu de temps pour retrouver la station.
Je noue mes doigts déjà froids à ceux d’Alken et nous rejoignons rapidement la voiture. Je suis contente de trouver la chaleur de l’habitacle et souris en entendant Alken demander si Kenzo veut qu’il conduise. Il s’installe finalement à mes côtés et grimace discrètement dans ma direction.
— Je suis pressée d’être au chalet, il fait trop froid. Un feu de cheminée, un canapé et vous trois, si ça c’est pas le pied !
— J’espère que tu ne vas pas prendre ton pied toute la nuit, Joy, je veux dormir un peu, moi ! s’exclame le chauffeur en riant.
— Oh ça va... T’as qu’à quitter le nid aussi. A ton âge, je vivais déjà bien loin de mes parents, moi, plutôt que de squatter et de me plaindre, ris-je. Surtout que tu es sacrément bordélique, en prime, pas un cadeau pour la belle-mère, je te le garantis.
— Ah, ça m’avait manqué vos chamailleries, s’esclaffe Théo. Je sens qu’on va bien rigoler dans le chalet !
— Ouais, en tous cas, ne comptez pas sur nous pour jouer au papa et à la maman et tout gérer, je vous préviens. Je ne touche pas une casserole de la semaine, moi. Sauf si c’est pour faire du chocolat chaud.
— Et ne comptez pas sur nous pour ne pas nous moquer de vous quand vous ferez trop de bruit ! Peut-être que l’on fera même un concours du plus fort gémissement, sourit Théo en mettant sa main sur la cuisse de Kenzo. Cela pourrait être drôle !
Ils vont finir par me couper toute envie à parler de ça. Non, je ne suis pas silencieuse, effectivement. Mais je n’y peux rien, je ne vais pas me bâillonner à chaque fois qu’on fait l’amour, non plus ! Et je doute qu’Alken ait très envie d’entendre son fils gémir.
Je soupire et sors mon téléphone pour envoyer un message à mon frère et lui dire que nous sommes arrivés à Grenoble, au moins je n’alimente plus la conversation qui dévie sur un sujet qui ne me met pas très à l’aise. Enfin, une partie de moi s’en fiche qu’ils m’entendent, mais l’autre est gênée qu’ils me le fassent remarquer assez fréquemment.
Kenzo conduit prudemment et nous grimpons vers la station de ski sur un lacet qui me paraît infini, me donnant à moitié la nausée alors que Théo nous raconte leurs premiers jours de vacances et les gamelles qu’il a prises avec le tire-fesses. Voilà qui ne me rassure pas vraiment pour la suite de la semaine.
Lorsque nous arrivons au chalet, un sourire se dessine sur mes lèvres. On est sur une bonne vieille bâtisse, mi-pierres, mi-bois, typique de la montagne. Nous récupérons nos valises dans le coffre et montons les quelques marches qui nous séparent de l’entrée en prenant garde à ne pas glisser, et je pousse un petit cri d’excitation en entrant à l’intérieur. C’est hyper rustique, totalement dans l’esprit montagnard, et la cheminée en pierre dans un coin de la pièce qui réchauffe l’atmosphère me fait déjà de l'œil.
J’enlève mes bottes, mon manteau et mon bonnet et attrape un coussin sur le canapé avant d’aller m’allonger à même le sol devant le foyer.
— Alken, tu as eu l’idée du siècle, c’est vraiment le pied, là, souris-je.
— L’idée du siècle pour la femme de ma vie, c’est ça qui est vraiment le pied, répond-il, toujours aussi amoureux.
Je lui envoie un baiser et lui fais signe de me rejoindre, ce qu’il ne tarde pas à faire. Je m’installe entre ses jambes alors que ses bras se referment sur moi, et nous savourons le calme du lieu. Kenzo et Théo se posent sur le petit canapé et je me dis que j’ai vraiment une chance folle, même si je me retrouve entourée de trois hommes. Ces trois-là font partie de ma vie et je ne les échangerais pour rien au monde, même s’ils peuvent être insupportables et agaçants. Passer mes vacances de Noël avec eux, avec la famille que j’ai choisie, dans ce lieu fabuleux, c’est plus que je ne l’avais espéré. Et puis, c’est aussi un doux rappel de notre voyage à Cuba, même si la météo est totalement différente. On en a vécu, des choses, tous les quatre, et j’espère en vivre encore beaucoup.
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