Joy

J’ai encore les nerfs en pelote quand je frappe chez Léon après ma longue promenade dans les rues lilloises. J’ai voulu rentrer dix fois chez Alken, mais il est allé trop loin et j’ai fini par me dire qu’il valait mieux que je mette à exécution ma menace. Même une fois en bas de chez lui, alors que je venais récupérer ma voiture, j’ai failli changer d’avis et m’engouffrer dans l’immeuble, mais j’ai tenu bon.

Une partie de moi n’arrive pas à lui en vouloir. Je sais qu’il est mal, qu’il vit cette suspension difficilement et que les journées sont longues, mais je ne peux pas m’arrêter de vivre pour être avec lui le plus possible. Je ne suis pas restée à l’ESD de gaieté de cœur, mais il le fallait. Si je ne parle jamais ou presque de mes cours de contemporain avec Alken pour éviter de le froisser, j’ai tout de même un diplôme à décrocher. Et ce n’est pas en fuyant les lieux dès que la cloche a retenti que je vais y arriver. Surtout quand le prof me pense peu investie. Alors, effectivement, c’était calculé, mais certainement pas pour fricoter avec lui, bien qu’Alken ait raison sur un point : je suis sûre que si j’allais frapper chez Maxime, ce soir, il m’accueillerait à bras ouverts. C’est un petit jeune qui n’a pas les yeux dans sa poche, même s’il n’a pas non plus de gestes déplacés.

— Joy ! Eh bien, quelle surprise ! Qu’est-ce que tu fais là, jeune demoiselle ?

— Bonsoir, Léon. Désolée de te déranger, dis-je en voyant la voisine installée à table. Je viens… Enfin, je cherche un refuge pour la nuit. Disons que j’ai besoin d’air.

— Oulah, entre donc, tu as trouvé ton refuge. Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Je ne vais pas t’embêter avec ça, voyons. Je monte et je vous laisse tranquilles.

— Mais non, enfin ! Viens t’asseoir avec nous, tu ne nous déranges pas. Ça me fait plaisir de te voir, même si j’aurais préféré que ce soit pour une autre raison. Qu’est-ce qu’il y a, ma P’tite ?

Je serre les dents pour ne pas me précipiter dans ses bras et me mettre à pleurer comme une enfant. Ou une gamine ? Puisqu’apparemment, c’est ce que je suis. Comment cette conversation a-t-elle pu vriller aussi rapidement ? Comment a-t-on pu en arriver là ? Après nos vacances au ski, le retour à la réalité est plutôt brutal. J’ai bien vu que c’était compliqué pour Alken, mais je ne suis pas responsable de tout ça et il ne peut pas se reposer sur moi à ce point, je n’ai pas les épaules pour deux. Autant, gérer ses coups de déprime, ça passe, mais ses coups de sang, c’est trop compliqué. C’est parti de rien et cela a pris des proportions démesurées.

— Je me suis disputée avec Alken, mais ça va aller, Léon, vraiment. Je vais aller bosser mes cours et ensuite me coucher, je suis crevée. Merci de m’accueillir.

— Ah, ma pauvre. Repose-toi bien. Tu es ici chez toi mais, si je peux me permettre un conseil de vieux, ce n’est jamais bon de s'endormir sur une dispute. Envoie-lui donc un petit message pour lui montrer que tu penses à lui et dire que vous discuterez de tout ça demain matin. Ça te soulagera et ça lui fera du bien aussi. Crois-en mon expérience !

J’acquiesce et dépose une bise appuyée sur sa joue avant de monter rapidement retrouver la colocation. Je lui enverrais bien un message, mais je n’ai plus de batterie, et Kenzo était censé lui dire, d’ailleurs. Je ne sais pas si je l’aurais fait, de toute façon. J’ai envie de marquer le coup, même si une part de moi préférerais y retourner pour, effectivement, ne pas m’endormir sur une dispute. Si tant est que j’arrive à dormir. Parce que bosser est déjà compliqué. Je n’arrive pas à me sortir de la tête les mots qu’il a pu prononcer. J’ai bien conscience qu’il flippe, et plus je me repasse ses mots, plus je me dis qu’il avait simplement besoin d’être rassuré. Je n’ai pas assuré, moi, je crois. J’aurais dû être plus à l’écoute. Mais aller me dire que je suis une gamine, que je ne suis avec lui que pour mon diplôme, quand même !

Je finis par ranger mes affaires rageusement et file prendre une douche en me disant que j’aurais bien aimé que Théo soit là. Kenzo devrait venir dans la soirée, mais le programme a peut-être changé avec son paternel en mode hystérique. Quand je débarque dans la chambre de Théo pour lui piquer des fringues, je me mets à chercher un chargeur de téléphone, dans l’espoir de pouvoir recharger le mien et voir si Alken a essayé de me contacter. Je me sens totalement coupée du monde sans batterie, et j’aimerais bien qu’il s’en veuille un minimum et cherche à ce qu’on discute. Manque de chance, je ne trouve rien et vais me mettre au lit déprimée et encore en colère.

Est-ce utile de dire que je tourne et retourne en rond sans trouver le sommeil ? Que je m’en veux d’être partie plutôt que d’avoir cherché à apaiser les choses ? Je suis peut-être finalement immature, comme il l’a souligné, parce que ce n’était pas très malin de partir comme ça, quand bien même il m’a blessée.

Il est minuit passé lorsque je prends la décision de retourner à l’appartement. J’ai entendu Théo rentrer et passer par ma chambre il y a une bonne heure. Il est venu vérifier si je dormais, et je n’ai pas bougé d’un poil. Finalement, je n’avais pas tant envie de parler que cela. Il m’aurait sans doute fallu Bridget Jones ce soir, mais je ne voulais pas enquiquiner mon ami d’enfance avec mes histoires. Je ne pense pas que Kenzo soit là, je ne l’ai pas entendu, lui, et je m’en veux déjà suffisamment de les priver de cette soirée.

Je me change et récupère mes affaires en me demandant si je ne vais pas aller le réveiller pour lui permettre de venir avec moi. Après quelques hésitations, je passe finalement dans sa chambre et le trouve endormi, à poil, la couette tombée au sol.

— Théo… Théo, dis-je en le secouant jusqu’à ce qu’il marmonne. Je rentre à l’appartement… Tu veux venir pour aller dormir avec Kenzo ?

— Si c’est pour vous entendre vous engueuler avec Alken, non merci.

— Je ne rentre pas pour ça, soupiré-je.

— Très bien, j’arrive, laisse-moi deux minutes et cache tes yeux, sinon tu risques de ne plus avoir envie de retourner voir Alken, pouffe-t-il.

— Je te signale que je l’ai déjà vue, que tu es à poil, là, et qu’aussi agréable fut notre expérience commune, j’ai tout ce qu’il me faut là-bas. Allez, dépêche-toi.

Je descends et écris un petit mot à Léon pour l’avertir que je suis partie, avant d’aller attendre Théo dans la voiture. Nous passons le trajet à papoter, mais j’évite soigneusement de lui parler de ma dispute avec Alken au risque de changer d’avis. Lorsque nous arrivons à l’appartement, il me prend dans ses bras et me serre contre lui suffisamment longtemps pour que j’en aie les larmes aux yeux, avant de monter à l’étage retrouver son amoureux. Pour ma part, j’hésite devant la porte de notre chambre, et finis par y entrer doucement.

Alken est endormi de son côté du lit, sur le ventre, encore habillé, la lumière allumée. Je me déshabille en silence et éteins la lumière avant de m’allonger à ses côtés. J’hésite encore, me sentant déjà plus apaisée, couchée près de lui, mais Léon a raison, s’endormir fâchés, je déteste ça. Je m’approche donc doucement et viens caresser son dos jusqu’à ce qu’il bouge et se retourne pour me prendre dans ses bras et me serrer avec force.

— Je t’aime, murmuré-je en nichant mon nez dans son cou.

— Moi aussi, je t’aime, Joy. Plus que tout au monde. Et je suis désolé d’avoir été odieux avec toi. En plus, je t’ai cherchée partout autour de l’appart et je ne te trouvais pas, j’ai eu trop peur de te perdre à tout jamais…

Il me serre fort contre lui et j’entends quelques trémolos dans sa voix qui me déchirent le cœur.

— Je suis désolée d’être partie, mais… Enfin, tu m’as blessée, Alken, je ne voulais pas devenir blessante également. Je ne sais pas si c’était la solution idéale, mais c’était la plus appropriée à l’instant T. Je n’aurais pas dû réagir comme ça, pardon.

— Tu as eu raison de partir, ma Puce. J’ai dit plein de trucs que je ne pensais même pas. J’étais juste au bord du gouffre, et j’ai plongé… A ta place, j’aurais fait pareil. Quel con je fais… Merci d’être revenue, Joy. Je ne veux plus jamais me disputer avec toi. Et je vais réagir sur ma situation personnelle, il faut que j’arrête de la laisser me détruire à petit feu. Sans compter que ça nous détruit aussi.

— Dis-leur qu’on est ensemble, Alken. Peut-être qu’ils nous vireront, mais au moins, tu pourras tourner la page et trouver du boulot ailleurs. Tu ne peux pas continuer à attendre indéfiniment qu’Elise se décide, ou que cette petite dinde se rétracte. Je déteste te voir dans cet état, soupiré-je avant de l’embrasser tendrement.

— Non, tu as déjà assez souffert comme ça à cause de moi, Joy. Je vais mettre un ultimatum à Elise. Et comme tu dis, il faut peut-être que je tourne la page et que j’aille chercher ailleurs. Mais toi, tu dois terminer ta scolarité et obtenir ton diplôme. C’est ton sésame pour ta carrière et je ne veux pas t’en priver. Par contre, il faut que cette situation s’arrête. Bientôt deux mois qu’on y est et toujours pas de nouveau, là, ça ne peut plus durer. Et plus jamais je ne serai dans cet état. J’ai eu une idée en te cherchant. Une idée de spectacle. Pourquoi je ne ferais pas comme Mohamed et monter un spectacle autour de toi en star principale ?

— Personne ne viendra voir ça, Alken, ris-je. Je ne suis pas connue, ce n’est pas très vendeur.

— Mais si, voyons ! Déjà pour découvrir la plus talentueuse des danseuses de son âge ! Et puis, on fait du marketing, genre : “Mohamed Benkali présente la première création d’Alken O’Brien.” Avec toi et moi en danseurs principaux, ça pourrait faire un carton ! Et imagine, on serait libres de faire tous les pas qu’on veut ! Franchement, ça me tente bien. Quelle que soit la décision d’Elise.

— Ça mérite réflexion, et je préfère cent fois te voir comme ça que bougon et malheureux. Je t’aime trop pour te voir souffrir, moi !

— Et moi, je préfère t’avoir dans mes bras, nue comme ça, que de ne pas savoir où tu es. Tu es si belle ma Chérie. Et j’ai peut-être d’autres envies avant le spectacle…

— J’étais à la coloc, et je n’ai plus de batterie sur mon téléphone depuis ce midi, pour info. Et, au fait, si je ne t’ai pas prévenu pour mes heures supp’ à l’ESD, c’est parce que je ne le pouvais pas. Et Kenzo devait te le dire, Alken.

Je le repousse gentiment et m’installe sur ses cuisses avant d’allumer la lampe de chevet pour mieux le voir. Alken a les traits tirés, mais le sourire sur ses lèvres fait plaisir à voir.

— Vous êtes bien trop vêtu, Monsieur O’Brien, dis-je en lui faisant signe de se redresser.

Je lui ôte son tee-shirt et pose mes mains sur ses épaules, caressant sa peau en descendant lentement jusqu’à son ventre. Ses mains sont fermement campées sur mes cuisses nues, et son regard est porté sur ma poitrine qui monte et qui descend au rythme de ma respiration. Je le repousse doucement pour le faire se rallonger et glisse entre ses jambes pour le dévêtir entièrement.

Alken retient sa respiration lorsque je pose mes lèvres sur son bas-ventre, et son sexe tressaute près de ma bouche lorsque j’approche encore. Je fais courir ma langue sur sa verge qui durcit sous mes caresses, et m’attarde sur son frein tout en caressant ses testicules. J’adore le sentir totalement à ma merci, jouer avec son plaisir et lui prodiguer les caresses qu’il préfère. J’ai l’impression d’avoir le pouvoir suprême à cet instant. Celui de le faire jouir ou de le frustrer. Et, évidemment, j’en joue jusqu’à ce qu’il grogne tel un homme des cavernes et se redresse pour reprendre la main. Il m’attire à lui et m’embrasse avec passion tout en m’allongeant sur le dos pour, lui aussi, s’amuser. Je sens sa main glisser entre mes cuisses et venir se poser sur mon sexe alors que sa bouche dévore déjà ma poitrine. Je suis trempée, toute excitée, impatiente, et ne tarde pas à lui faire savoir.

— Alken, je t’en prie, fini de jouer, je veux te sentir en moi.

Ma voix est basse, plus grave, et le ton est presque une supplique, ce qui le fait sourire alors qu’il s’allonge à mes côtés et me plaque contre lui. Sur le côté, face à face, j’adore cette position des plus sensuelles et je ne tarde pas à relever ma jambe sur sa hanche et l’embrasse alors qu’il me pénètre d’une lente et agréable poussée. Nos corps sont imbriqués l’un dans l’autre et pressés l’un contre l’autre. Nos bouches se cherchent, nos yeux se trouvent et communiquent sans que les mots ne soient nécessaires, nos mains se caressent, c’est à la fois doux et intense, et toujours aussi passionné. Plus aucun mot n’est nécessaire quand nos corps fusionnent.

Le plaisir monte en moi avec force alors que nous ondulons l’un contre l’autre, et Alken finit par me renverser pour me surplomber de toute sa hauteur, sans jamais cesser ses mouvements au creux de mon corps. Sa bouche vient se promener sur mes seins sensibles et tendus et j’agrippe ses fesses en accompagnant ses mouvements. Je tente de contenir mes gémissements, d’autant plus que Théo et Kenzo sont au premier, mais comme chaque fois que nous faisons l’amour, les sensations sont si fortes, si intenses, qu’il m’est difficile de ne pas être expressive.

Alken étouffe le son de ma jouissance en pressant ses lèvres contre les miennes alors que tout mon corps se contracte sous le sien, et je le sens se déverser en moi tandis que les brumes de l’orgasme peinent à se dissiper tout autour de moi. Je peux sentir son corps se crisper au-dessus de moi avant qu’il me recouvre entièrement et m’enlace pour nous remettre en position initiale.

J’ai un rire stupide en me disant qu’il est totalement fou de pouvoir m’imaginer avec un autre. Je suis trop bien, là, entourée de ses bras, son corps imbriqué dans le mien, ses yeux plongés dans les miens. Qui aurait cru qu’une drague dans un bar finirait par entrelacer nos chemins de vie à ce point ? Je suis prête à me battre pour ce que nous avons : la chance de s’aimer et cette complicité, cette fusion l’un avec l’autre. Et hors de question que cette mytho gâche cet amour.