23. Fin de l'histoire

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Joy

Je jette un œil à mon téléphone resté vide de toute notification de la part d’Alken et soupire lourdement. D’un autre côté, je lui ai dit que je n’avais plus de batterie ce matin, donc c’est logique.

— Tu es vraiment sûre d’avoir vu Alken au bâtiment administratif ? demandé-je à Jasmine en me séchant rapidement après la douche.

— Ben oui, puisque je te le dis. J’ai des lentilles, mais je ne suis pas aveugle non plus.

J’acquiesce et envoie un texto à Kenzo pour savoir s’il a des nouvelles de son père avant de m’habiller. Il fait froid, il pleut, et le prof qui le remplace est un con. Voilà un résumé simple et concis de mon après-midi. Je n’ai qu’une hâte, rentrer. Mais j’aimerais savoir si Elise a fait quelque chose. Et étant donné que Jasmine affirme avoir vu mon amoureux en début d’après-midi à l’ESD, j’ai l’impression que oui.

Je ne me sèche même pas les cheveux et les attache avant d’enfiler mon manteau et ma capuche. Je suis pressée de savoir, et j’ai bien l’impression qu’il n’y a qu’en voyant Alken que j’en saurai plus.

— Bonne soirée les filles, à demain !

Je prends mon sac et sors, manquant de m’emplafonner contre notre chère Directrice.

— Oh, pardon, excusez-moi.

Elle s’excuse également en me regardant à peine et frappe à la porte de la salle où je me trouvais il y a encore quelques minutes. Elle vient voir le remplaçant. Bonne nouvelle, non ? Ne rien savoir me stresse, et Kenzo me fait non de la tête en me rejoignant, m’arrêtant silencieusement alors que j’allais interpeller la dirlo.

— Elise vient d’entrer dans la salle de danse. Tu crois qu’on peut espionner ?

— Je crois qu’on peut surtout rentrer rapidement pour voir mon père, murmure-t-il alors qu’un groupe de gars sort du vestiaire.

— Allons-y, oui. Les filles de première année disent que Charline n’était pas en cours cet après-midi. Je le sens bien, Kenzo. Je suis sûre que tout ça est de bon augure.

Le fils d’Alken hausse les épaules et nous sortons rejoindre le parking. Je suis sur les nerfs, ma jambe sautille toute seule tandis que nous roulons en direction de l’appartement, et je monte le volume de la musique pour essayer de me vider la tête. Je pourrais lui envoyer un message, mais une partie de moi veut voir sa tête lorsqu’il m’annoncera ce qu’il en est. En tous cas, Elise semble avoir réagi rapidement. C’est bien, il était grand temps.

— J’espère vraiment que Charline a craqué, je te jure que la croiser dans les couloirs me donne des boutons. J’ai envie de l’étriper quotidiennement, marmonné-je alors qu’il entre dans le parking souterrain.

— Ouais, sinon c’est parti pour les procès et la justice. Mon père ne va plus s’arrêter, là. Il est déterminé. Tu lui as redonné cette énergie, c’est cool, mais tu as oublié le frein à main.

— J’ai rien fait de particulier… Enfin, le soutenir, c’est le minimum, non ? C’est ça être un couple.

— Ouais, vous êtes beaux tous les deux. Et je dis pas ça parce que t’es mon amie, hein ? Mon père aurait pu tomber sur pire !

— Je suis contente que tu ne vives pas tout ça mal, tu sais. Je l’aime vraiment, ton père, sinon je n’aurais pas pris tous ces risques, tant pour ma carrière que pour notre amitié.

— Allez, on arrête de parler bisounours, on rentre à la maison, il faut qu’on sache !

Je souris en sortant de la voiture et nous gagnons rapidement l’ascenseur puis l’appartement. Alken n’est pas dans la pièce de vie lorsque nous nous y engouffrons, mais j’entends l’eau de la douche couler. Je soupire en enlevant mon manteau et mes chaussures avant de taper à la porte de la salle de bain.

— On est rentré ! crié-je à travers la porte.

— Moi aussi ! répond-il sans rien ajouter de plus.

Je jette un œil à Kenzo et soupire avant d’aller me changer. J’ai peur qu’Alken nous en veuille d’avoir agi dans son dos. Techniquement, nous ne sommes pas allés contre sa volonté, puisque je ne me suis pas mouillée, mais nous avons fait les choses sans lui en parler en amont, et j’imagine que le coup de fil qu’il a dû recevoir d’Elise l’a surpris.

— Respire, t’es toute tendue, se moque Kenzo alors que je m’installe sur le canapé.

— Evidemment que je le suis. Pas toi ?

Il n’a pas le temps de répondre que mon amoureux sort de la salle de bain. Il s’arrête à l’entrée du salon et nous regarde tour à tour en plissant légèrement les yeux. Il a d’abord l’air un peu en colère, mais rapidement il nous sourit et m’adresse à moi un regard toujours aussi amoureux qui me rassure.

— Bonsoir les jeunes. Ou plutôt, les comploteurs, je devrais dire. Vous vous rendez compte des risques que vous avez pris ?

— On n’a pris aucun risque, Alken, tout était calculé. Alors ? lui demandé-je, impatiente.

— Alors, j’ai besoin d’un gros bisou et je vais vous en faire un. A tous les deux. Charline a avoué qu’elle avait menti.

Il sourit et a l’air soulagé, mais je pensais qu’il aurait été plus enthousiaste. Kenzo et moi nous regardons, satisfaits, et nous nous levons comme un seul homme pour aller enlacer notre professeur de danse contemporaine avec plaisir. Chacun de nous pose ses lèvres sur l’une de ses joues et nous l’embrassons bruyamment.

— Calculés, les risques, c’est ça ? reprend-il. Vous êtes fous, quand même. Quand j’ai reçu la convocation et qu’ils ont dit qu’ils avaient vu le téléphone de ma petite amie, j’ai eu la peur de ma vie. J’ai cru qu’ils allaient me virer et toi aussi, Joy… Ne me refaites plus jamais ça !

— Ne discute pas. Nous attendons nos bisous ! Et on refera tout ce qui est nécessaire, si c’est nécessaire. C’est comme ça, nous sommes fous, souris-je en tendant la joue.

Il dépose d’abord un bisou sur la joue de Kenzo avant de me serrer contre lui et de m’embrasser comme il le fait toujours, plein de fougue et de passion, d’amour et d’intensité.

— Vous auriez pu m’en parler avant, quand même… En tous cas, ça a été compliqué, mais a priori, dès lundi, je reprends les cours. Et demain matin, il y a une réunion avec tous les élèves où je suis invité.

— Tu es content ? lui demandé-je en voyant son manque d’enthousiasme, même s’il a le sourire.

— Je suis content que ce calvaire s’achève. Pas forcément de la manière. Jusqu’au bout, le Président du CA a soutenu Charline contre moi. Jusqu’au bout, il ne m’a pas cru. Et même encore maintenant, je ne suis pas sûr qu’il soit convaincu à cent pour cent. Alors, oui, je suis content de pouvoir reprendre ma place de prof. Mais j’ai aussi l’impression qu’un truc s’est rompu avec l’ESD. Je n’arrive pas à ne pas leur en vouloir.

— Elise te croit. Tes élèves te croient, Alken. Lui, c’est juste un gros con qui a dû être trop charmé par le décolleté de la mytho et sa petite bouille innocente. Bon sang, j’ai tellement hâte que tu nous fasses galérer en cours à nouveau, ris-je.

— Pauvre Charline… Malgré tout ce qu’elle m’a fait subir, je suis triste pour elle aussi. Mais c’est vrai que j’ai hâte de vous retrouver et de vous faire bosser un peu. Il y a eu du relâchement ces derniers temps. Ça va tirer sur les articulations, je vous préviens !

— Super, ricane Kenzo. Et tu veux pas aller consoler Charline tant que tu y es ?

— Tout le monde fait des erreurs dans sa vie, Kenzo. Et elle en a fait une énorme. Mais elle a du talent, la petite. Ce serait malheureux qu’elle finisse femme au foyer ou caissière en supermarché vu son niveau, non ? Elise ne m’a pas dit quelle sanction elle va avoir, mais j’espère qu’ils seront un peu indulgents. C’était horrible de la voir craquer tout en étant soulagé qu’elle le fasse. Je ne souhaite ça à personne.

Je le regarde, dubitative. Après tout ce qu’il a vécu, l’impact que cela a eu sur nous, il est triste pour elle ? J’ai presque envie de lui secouer les puces et de l’engueuler, tout à coup.

— Le talent ne fait pas tout, marmonné-je. A ce prix-là, on excuse un violeur parce qu’il est talentueux ? Je suis désolée, mais je ne partage pas du tout ton point de vue, là. Talent ou pas, ce qu’elle a fait aurait pu très mal finir, elle mérite une sanction, et pas plus d’indulgence qu’ils n’en ont eue pour toi.

— Oui, c’est sûr. Je reste un peu sous le choc de l’entretien de cet après-midi. Surtout que malgré la preuve, elle a continué à nier. Mais cet épisode va laisser des traces… J’espère que ça va la faire mûrir. Et encore merci à vous deux d’avoir débloqué la situation. Il va me falloir un peu de temps pour pardonner à l’ESD, mais au moins, on va pouvoir reprendre notre vie normale.

Une vie normale. En nous cachant encore durant quelques mois. La voilà, notre vie ordinaire depuis plus d’un an. Et c’est évidemment séparés que nous gagnons l’ESD le lendemain matin, Kenzo et Alken dans une voiture, moi dans la mienne. Nous avons fêté cette victoire hier soir en nous commandant des sushis tous les trois, puis en tête à tête, au lit, de la plus belle des manières. Et le retour à la réalité est plutôt brutal. Dans le théâtre, où a lieu le rassemblement, l’ambiance est plutôt pesante et les murmures s’élèvent dans la salle lorsque mon amoureux entre à son tour et monte sur la scène en compagnie d’Elise.

Elle tapote sur le micro et nous intime le silence d’un signe de main. Alken semble plutôt tendu, même si je doute que quelqu’un qui ne le connaît pas comme Kenzo ou moi le remarquerait.

— Bonjour à toutes et à tous. Je vais être très brève, mais il était important que cette réunion ait lieu pour mettre les choses au clair. Tout le monde est au courant de l’histoire, je n’en doute pas. Pour résumer brièvement, l’une de nos élèves est venue me voir pour m’informer que, selon elle, votre professeur de danse contemporaine aurait eu des gestes déplacés à son égard. Évidemment, notre objectif ici étant de vous protéger, le Conseil d’Administration a pris la décision de suspendre Alken sans attendre.

Oui, et le CA n’est évidemment pas présent ce matin, d’ailleurs. Ils ont dû perdre leurs bijoux de famille en passant.

— Vous vous doutez bien que la situation est très complexe, que pouvoir déterminer qui ment et qui ne ment pas l’est tout autant. J’ai bien pris note de vos interventions. Plusieurs d’entre vous sont venus me voir personnellement pour défendre Alken, et je dois avouer que j’apprécie particulièrement que vous ayez souhaité défendre votre professeur.

Kenzo et moi nous regardons, indécis. Alors, d’autres sont allés voir Elise pour demander la réintégration d’Alken ? Pourquoi est-ce que nous ne sommes pas au courant ?

— Après plusieurs entretiens avec l’élève en question, et des preuves qui me semblaient irréfutables, cette dernière a finalement avoué avoir menti, mettant hors de cause votre professeur.

Les murmures s’élèvent à nouveau dans la salle et les élèves commencent à se lever pour applaudir. J’en ai les larmes aux yeux, et je vois qu’Alken est touché par ce qu’il se passe ici. Elise laisse tout le monde s’emballer une petite minute avant de nous faire signe de nous rasseoir.

— Bien, votre professeur sera donc de retour dès lundi. Concernant cette étudiante que je ne nommerai pas, même si je ne doute pas que vous êtes au courant, elle a été suspendue pour quinze jours.

Quinze jours, c’est tout ? Bon sang, tranquille, la fille. C’est abusé. Alken est resté à la maison pendant une éternité alors qu’il n’était même pas coupable !

— Maintenant, j’aimerais que vous m’écoutiez attentivement. J’ai eu vent de certains faits de votre part à son égard. J’ai conscience que, pour celles et ceux qui ne la croyaient pas, votre objectif était tout simplement de lui faire avouer la vérité. Cependant, j’aimerais qu’à son retour, tout ceci s’arrête. Personne n’est parfait, l’erreur est humaine, et je suis certaine qu’elle paie déjà suffisamment. J’aimerais que tout redevienne comme avant dans cette école, et je n’accepterai aucun harcèlement. J’espère que c’est clair pour vous. Alken, tu veux dire quelque chose ?

Il se lève lentement et vient rejoindre Elise sur le devant de la scène pour prendre le micro. Je me demande ce qu’il va dire et ne peux m’empêcher de serrer les accoudoirs de mon fauteuil.

— Je voulais juste dire merci à ceux d’entre vous qui n’ont pas perdu confiance en moi et rappeler aux autres que j’ai toujours été respectueux de tous ici. J’ai mal vécu cet éloignement, je ne vais pas dire le contraire, mais ma situation personnelle n’est pas l’essentiel. Vous êtes pour certains d’entre vous à quelques mois de la fin de votre apprentissage au sein de cet établissement et il faut vous concentrer sur la seule chose importante et qui nous réunit tous : la danse. Je peux vous assurer que, contrairement à mon remplaçant, je vais être très exigeant avec vous pour faire de vous les talents de demain. Alors, on arrête les histoires et on se met tous au boulot pour que, demain, vous puissiez tous vivre de votre passion. Dansons, sous la pluie ou pas, dans le bonheur et le malheur, seul ou en groupe, dansons.

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