27. Ménage à trois

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Joy

Six jours ont passé depuis ce fameux dimanche d’angoisse et j’ai accueilli avec une rare joie mes règles. Enfin, tout ça est assez confus finalement. Parce que je ne mentais pas, je crois que j’étais en train d’accepter cette possible grossesse et peut-être même de l’apprécier. L’idée de sceller notre amour avec un petit être qui nous ressemblerait ne m’a pas paru si insurmontable. Moi qui n’ai jamais vraiment imaginé devenir mère, cela me fait bizarre d’envisager les choses à l’avenir. Peut-être n’est-ce qu’une passe dûe au fait que notre couple n’a rien de légitime, qu’hormis une poignée de personnes, nous ne sommes qu’un prof et son élève aux yeux de tous. Toujours est-il que voir ce test négatif a provoqué en moi tout un tas d’émotions contradictoires.

Après un rapide passage par la salle de bain, je rejoins Alken à la cuisine et m’installe près de lui pour petit déjeuner. Kenzo est parti à Paris pour passer le weekend avec Théo et nous avons la maison rien que pour nous. Nous nous sommes endormis dans le canapé hier soir et n’avons gagné le lit qu’au petit matin. Il est déjà dix heures et nous avons traîné sous les draps.

— Dis-moi, lui demandé-je en prenant une clémentine dans la coupelle de fruits, tu as déjà eu des animaux ?

— Oui, j'avais un lapin quand j'étais gamin. Mais depuis que je suis adulte, je n'en ai pas eu, trop difficile d'avoir un chien par exemple quand tu voyages tout le temps.

— J’avais une chatte, quand j’étais enfant. Toute blanche, superbe, je l’avais appelée Duchesse, comme dans les Aristochats, souris-je. Mes parents ne voulaient pas qu’elle dorme avec moi, la nuit, mais j’allais lui ouvrir la porte quand elle grattait une fois qu’ils étaient couchés. Je me disais, je ne sais pas… Tu n’aurais pas envie d’adopter ?

— Je ne sais pas, ma Belle. Ton petit minou me satisfait déjà beaucoup, pouffe-t-il. Tu aimerais qu'on se prenne un animal tous les deux ?

Je lève les yeux au ciel en souriant et récupère mon téléphone sur le plan de travail pour le déposer devant lui, déverrouillé sur la page de la SPA près de Lille.

— Jeudi soir, j’étais toute seule ici pendant ta réunion à l’ESD. Je me disais qu’un petit chat ce serait sympa. Un petit animal à nous, un truc qui nous lie davantage, quoi… Enfin, je ne sais pas…

— C'est drôle ce que tu dis. Depuis l'histoire dimanche dernier, je pensais aussi à ce genre de choses. On n’est pas prêts pour un bébé, mais on devrait l'être pour un animal, non ? Tu voudrais quoi ?

— C’est vrai ? ris-je, soulagée de ne pas passer pour une folle. J’adore les chats, tu sais. Enfin, c’est moins contraignant qu’un chien. Bien que mon minou te suffise, moi j’aimerais bien en avoir un autre. Si ça te tente. A moins que tu préfères un autre animal ?

— Non, un chat, ça me va. Tu veux qu'on passe à la SPA cet après-midi ?

— Ouf, j’ai eu peur que tu veuilles un serpent ou une mygale, ris-je. Tu es sûr de toi ? Parce que si c’est le cas, pourquoi pas, oui.

— Je t'ai dit que je ferai tout pour te rendre heureuse, alors, oui, je suis sûr.

Je ne sais pas quoi lui répondre. Ça me touche qu’il puisse dire ce genre de choses, évidemment, mais du coup je me demande s’il a vraiment envie d’avoir un animal, de son côté, ou si c’est surtout pour me faire plaisir.

— Oui, enfin, il faut que ça te rende heureux toi aussi, quand même, pas que ce soit au détriment de ton bonheur à toi non plus, dis-je en lui faisant un clin d'œil.

— Tu es sûre qu’à la SPA, ils auront des portées ? Tu es sur leur page Facebook, là, il y a un petit chaton qui t’attire ?

— Le problème, c’est que j’ai tous envie de les adopter et de les couver d’amour et d’attention, ces pauvres petites bêtes, soupiré-je en cherchant la petite femelle qui m’a tapé dans l'œil. Regarde celle-là, elle est trop mignonne, non ? Elle a déjà presque un an, mais regarde-moi cette bouille !

Je lui tends mon téléphone après avoir encore une fois regardé la photo de la petite boule de poils et de son pelage angora noir et blanc.

— Ah oui, elle est trop mimi, cette petite chatte. On dirait la version chat de Minnie Mouse ! Et en plus, tu as vu son petit nom ? Tu penses qu’il faut la réserver en ligne ? Ou alors, on finit de manger et on y va tout de suite ? s’enthousiasme-t-il.

Je le regarde sourire et mon petit cœur fond d’amour pour cet homme. J’ai la pensée fugace de l’imaginer découvrir un petit nous, de voir son regard s’embuer et la fierté marquer ses traits, mais je repousse cette idée dans un coin de ma tête et lui saute au cou pour le gratifier d’un baiser passionné.

— On peut y aller maintenant et ne pas trop s’avancer, qui sait, une fois sur place… Peut-être qu’on craquera sur un autre chat, mais, entre nous, une petite minette qui s’appelle Salsa, je crois qu’on ne peut pas faire plus idéal, non ?

— Je crois qu’elle va bientôt partager notre vie, cette petite chatte. Prête pour des plans à trois ? se marre-t-il en continuant sa mauvaise blague sur les minous.

— Tu es fou, ris-je en débarrassant la table. Allez, on se dépêche, je n’ai pas envie de la rater. Et puis, il faudra qu’on passe lui acheter tout ce qu’il faut, je crois qu’elle a bien besoin de prendre du poids, petite mère.

Je le laisse filer à la salle de bain en premier pendant que je finis de débarrasser, et vais préparer mes affaires en l’attendant. Lorsqu’il débarque dans la chambre, totalement nu après sa douche, je contemple le spectacle qu’il m’offre jusqu’à ce qu’il me réprimande, le sourire aux lèvres, bien conscient de l’effet qu’il me fait.

— Eh bien, Miss Santorini. On a déjà oublié sa chatte au profit de l’autre ?

— Tu comptes faire ce genre de blagues tous les jours ? Parce que tu es tout de suite beaucoup moins sexy quand tu compares mon vagin à un chat, ris-je.

— C’est juste le temps que je m’habitue, s’esclaffe-t-il. Je crois que j’ai envie de vérifier la différence, tu crois qu’on a un peu le temps ?

— Non, on n’a pas le temps, et puis je suis indisposée. Dommage pour vous, Monsieur O’Brien ! J’espère que tu vas vite t’habituer quand même. Et… Il va dire quoi, Kenzo, en rentrant ? Il n’a rien contre les chats, j’espère ?

— Tu parles, il va être jaloux. Il a demandé à avoir un chien ou un chat depuis qu’il est tout petit et on a toujours refusé. Il va halluciner de voir que je t’ai dit oui, à toi.

Mon homme, toujours nu, s’est quand même approché de moi et me serre contre lui. Nous nous embrassons à nouveau, comme si c’était encore et toujours la première fois. Ou la dernière fois, vu toute la passion que nous y mettons.

— Le pauvre, quand même, ris-je. Un petit chat, c’est tout mignon, pourquoi vous ne vouliez pas ?

— Elizabeth était allergique, répond-il en s’habillant enfin.

Tout s’explique, alors. Je file à la salle de bain me doucher en vitesse et m’habille avant d’en sortir. Je suis toute contente qu’il ait accepté, et j’espère vraiment que la jolie Salsa sera encore disponible, même si je ne doute pas que je craquerais sur d’autres petites boules de poils sans problème.

J’ai l’impression d’être une enfant qui va au parc d’attractions lorsque nous prenons la route, et mon taux d’excitation grimpe encore en flèche lorsqu’Alken se gare sur le parking de la SPA. Nous nous dirigeons main dans la main vers l’accueil, où se trouve une petite dame pas toute jeune qui nous sourit.

— Bonjour, qu’est-ce que je peux faire pour vous ? Ne me dites pas que vous venez déposer un animal ici, sinon mon sourire va disparaître.

— Non, à vrai dire on vient pour le contraire, dis-je doucement. Nous voudrions adopter un chat. Enfin, une femelle, plus précisément, si elle veut bien de nous. Nous l’avons vue sur votre site internet et, outre sa petite bouille adorable, son nom nous a tapé dans l'œil. Est-ce qu’il serait possible de la voir ?

— Oh là, sur le site Internet, les animaux partent vite… Laquelle de nos protégées vous intéresse ?

— Salsa, dis-je après avoir bêtement croisé les doigts dans mon dos. C’est bien qu’ils partent vite, mais égoïstement, j’espère qu’elle est encore là.

— Ah oui, la petite chatte Angora. Trop vieille pour l’adoption, les gens cherchent des bébés, souvent. Alors, oui, elle est encore là, elle. Suivez-moi.

Je serre la main d’Alken, un sourire jusqu’aux oreilles, alors que nous suivons docilement Annie, si j’en crois le badge qu’elle porte sur la poitrine, jusqu’à une pièce où se trouvent des dizaines de cages avec des petites bêtes plus ou moins en mauvais état. Nous la traversons pour en gagner une autre, plus grande, plus lumineuse, avec plein de gamelles et de jeux. Mais, le plus impressionnant, c’est le nombre de chats qui s’y trouvent. Certains dorment paisiblement, d’autres se sont carapatés dans un coin en nous voyant entrer.

— Oh, regarde, elle est là ! dis-je en pointant du doigt la minette, dans un arbre à chat, qui nous observe.

— Ah oui, c’est elle ! Elle nous sourit, je crois ! s’exclame mon beau danseur. On peut aller la chercher nous-mêmes ?

— Allez-y, mais elle est du genre craintive au premier abord, alors ne soyez pas trop brusques, nous répond Annie alors qu’Alken m’entraîne déjà dans la pièce.

J’essaie de ne pas trop regarder les autres chats, parce que j’ai bien peur de vouloir tous les ramener à l’appartement si je croise leurs regards. Salsa, elle, se recroqueville au fond de son petit box alors que nous nous plantons devant elle. Mon amoureux tend doucement la main et se montre tout doux en lui parlant pour la mettre en confiance, et je ne peux qu’admirer sa façon de faire alors que Salsa approche doucement. Elle est toute chétive, c’est encore plus frappant face à elle que sur la photo, mais ses petits yeux verts me donnent envie de la câliner jusqu’à ce qu’elle en fasse une overdose.

Alken finit par réussir à la prendre dans ses bras et, même si elle semble tendue et aux aguets, elle se laisse faire et accepte nos petites caresses. Son poil est un peu terne, et son regard malheureux, ça me fend le cœur et me conforte dans mon choix. Surtout qu’Alken semble l’avoir déjà adoptée. Il lui gratouille le dessus de la tête avec les yeux du gosse qui obtient son premier animal de compagnie.

— Alors, t’en penses quoi ? lui demandé-je finalement.

— Eh bien, ta chatte a désormais de la concurrence, pouffe-t-il en me faisant un clin d'œil. Je l’aime déjà, cette Salsa !

Je lève les yeux au ciel en souriant avant de me tourner vers l’employée du refuge.

— Je crois bien qu’on la ramène avec nous à la maison. Enfin, vous croyez qu’elle nous aime bien ? lui demandé-je.

— Elle sera toujours mieux chez vous que chez nous. En plus, à son âge, on n’allait plus la garder longtemps. On va aller faire les papiers, si vous voulez bien. C’est une petite chatte qui a de la chance, en tous cas, avec une maîtresse comme vous. Vous pourrez dire merci à votre père du cadeau, ajoute-t-elle en montrant Alken d’un signe de tête.

Je jette un œil à Alken, hésitant entre rire et rougir. Sa tirade me met un peu mal à l’aise, mais je choisis finalement d’en rire.

— Mon père déteste les chats alors heureusement qu’il s’agit de mon compagnon, souris-je en caressant Salsa.

— Et je suis plus jeune qu’il n’y paraît, ajoute-t-il, un peu vexé. Heureusement que je ne suis pas susceptible.

Il sourit en caressant toujours la jolie chatte dans ses bras et je pouffe alors qu’Annie se confond en excuses et rougit comme une tomate. Il va falloir qu’on s’habitue à ce genre de remarques. Aussi en forme soit mon amoureux, il est difficile de ne pas remarquer notre différence d’âge. Ses tempes se parsèment de plus en plus de gris et sa barbe commence à blanchir également. Il n’en est que plus charmant, d’ailleurs.

Nous accompagnons tous les deux Annie dans la pièce pleine de cages et je grimace lorsqu’elle prend Salsa des bras d’Alken pour la déposer dans l’une d’elle. Elle justifie que ce sera plus pratique pour la paperasse, mais tout ce que je vois, c’est cette petite boule de poils derrière les barreaux et ça me fend le cœur. D’autant plus qu’il nous faut une bonne demi-heure pour remplir les papiers et recevoir nombre de conseils et avertissements. Lorsque nous regagnons la voiture, Alken a récupéré Salsa dans ses bras et s’installe à l’arrière avec elle.

— Tu m’abandonnes déjà pour ta nouvelle chatte, c’est fou, ça, ris-je en démarrant, ce qui fait paniquer la pépette qui se recroqueville contre lui.

— Tu ne veux quand même pas conduire avec Salsa dans tes bras ? Et puis, tu sais, je suis très doué avec les chattes. Salsa est d’accord, hein que tu es d’accord jolie minette ? ajoute-t-il en la papouillant.

Je pouffe et l’observe à la dérobée sur le trajet qui nous mène à l’animalerie. Alken reste dans la voiture avec sa nouvelle protégée alors que je me presse d’acheter tout le nécessaire pour qu’elle soit bien à la maison et se sente choyée et chez elle. Je sens que je vais avoir du mal à les séparer, tous les deux, pour pouvoir moi aussi profiter des câlins de la boule de poils et du barbu. Nous voici dans un ménage à trois, et ça promet !

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