33. La mégère sans pitié

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Joy

— Attends… Répète un peu ? Tu veux dire que… Elizabeth est au courant pour nous ?

Je le regarde, totalement ahurie alors qu’un sentiment de panique me gagne. Voilà qui signe la fin de ma scolarité à l’ESD, et la fin de carrière d’Alken à l’école. Une phrase toute simple qui signe la fin de tout, sauf de nous, je l’espère. C’est fou comme notre situation ne tient qu’à un fil, et j’ai l’impression que je viens de le voir se rompre sous mes yeux.

Alken ne répète même pas sa phrase, comme s’il me laissait encaisser la nouvelle, et je sors de la douche et m’enroule dans une serviette sans ajouter un mot de mon côté non plus. Il a l’air à la fois totalement blasé et dépité, et je crois que nous sommes tous les deux plutôt désabusés. Je pense que ni lui ni moi n’envisagions de nous faire griller, au final. Nous faisons tout ce qu’il faut pour que ça ne soit pas le cas, et il aura fallu que les deux cathos se pointent pour tout foutre en l’air. Notre vie va être chamboulée par deux coincés qui n’ont même pas conscience d’avoir fait une boulette. Foutu Karma.

Je dépose un baiser sur sa joue et sors de la salle de bain pour aller dans notre chambre. Trouvant Salsa installée sur le lit, je m’allonge à ses côtés et la caresse alors qu’elle se met sur le dos pour m’offrir son ventre tout poilu et bien rebondi. Madame a bien mangé aujourd’hui apparemment. Elle ronronne et s’étend de tout son long, me faisant sourire.

— Pourquoi tu ne l’as pas empêchée de partir ? Je veux dire… Merde, je ne suis même pas sûre que tu aurais pu la convaincre de ne rien dire, en fait, dis-je à Alken, planté à la porte de la chambre.

— Oui, je n’ai rien pu faire. J’étais sous le choc… Tu crois qu’elle va vouloir se venger de nous et nous faire exclure tous les deux ?

— Je n’en sais rien, moi, soupiré-je. C’est ton ex-femme, tu la connais mieux que moi logiquement. Nous ne respectons pas le règlement, elle risquerait d’en parler à Elise, non ?

— J’ai essayé de l’appeler plusieurs fois, mais elle m’a bloqué, je crois. Elle n’a pas répondu et n’a pas rappelé. Je ne sais pas du tout ce qu’elle peut faire, mais, si elle nous dénonce, je vais juste quitter l’ESD. Comme ça, toi, tu pourras finir ta scolarité et avoir ton diplôme sans risque, énonce-t-il, résigné.

— Et tu vas faire quoi, après l’ESD ? Déménager pour enseigner ailleurs ? Magnifique, marmonné-je, dépitée.

— Non, mais prendre le temps de réfléchir à ce que je veux faire. Tu sais, l’ESD, après ce qu’il s’est passé, ce n’est plus comme avant. Je commence déjà à réfléchir à un après. Et je ne risque pas de déménager loin de toi, ça, tu peux en être sûre !

Je soupire alors qu’il vient s’allonger face à moi. Salsa tourne sur elle-même pour aller se coller contre lui et réclamer ses caresses, ce qu’il fait sans hésitation.

— On va se retrouver à la coloc d’ici la fin de l’année scolaire si tu ne bosses pas, ce n’est pas avec mon salaire du bar que je vais pouvoir assumer, surtout que j’ai dit à Roan qu’après les vacances je voulais diminuer mes heures pour être en forme pour les examens… Enfin, tu fais ce que tu veux hein, peu importe où on vit, mais je ne suis pas Crésus, tu sais…

— L’appartement ici est à moi, Joy, on n’aura pas besoin de partir. Ça laisse un peu de temps pour trouver une solution. Et je serai peut-être sur un nouveau spectacle prochainement, qui sait ? Arrêtons de nous casser la tête là-dessus, on ne peut rien faire de toute façon.

— Tu ne peux pas aller la voir chez elle ? En parler à Kenzo ? Non, pas Kenzo, soupiré-je, mieux vaut ne pas le mêler à tout ça…

— Si je débarque chez elle, ça fait un peu désespéré, non ?

Je pousse gentiment Salsa et viens me caler contre lui, nichant mon nez dans son cou alors qu’il me serre dans ses bras.

— Je suis désolée de te dire ça, mais je déteste ton oncle et ta tante maintenant, ris-je doucement.

— Oui, je te comprends. Quels cons. Non seulement, ils ont rendu notre vie impossible pendant leur séjour, mais en plus, ils gâchent notre existence même après leur départ. Tu crois que si on leur envoie un petit message qui dit qu’on est convertis, les choses vont s’améliorer ?

— J’en doute, tu restes le divorcé, mon Chéri, ça ne pardonne pas, ris-je alors que la sonnette de l’entrée retentit.

Alken soupire et se lève pour aller ouvrir pendant que je m’habille. La porte a beau être fermée, je peux clairement distinguer une voix féminine que je reconnais. Si Alken cherchait à joindre Elizabeth, elle s’est chargée de le trouver elle-même. J’hésite à sortir de la chambre, mais nous sommes tous les deux concernés et je finis par le rejoindre, récoltant un regard tueur de ma prof de danse classique au passage.

— Ah, tiens, voilà l’objet du crime, lance-t-elle en me regardant méchamment. C’est le seul moyen que tu as trouvé pour réussir ? Tu sais que coucher avec ton prof ne t’aidera pas à trouver un boulot ?

— Heu… Bonsoir Elizabeth. Ravie de te voir également. Et je ne couche pas avec mon Prof, en fait. Enfin, aux dernières nouvelles, il n’est prof qu’à l’ESD…

— Elizabeth, pourquoi tu l’attaques comme ça ? Est-ce que moi, je te reproche de coucher avec un collègue ? Ce qu’il y a entre Joy et moi n’a rien à voir avec l’ESD. Ça fait des mois que ça dure et personne n’a rien vu, c’est donc que ça n’a aucune importance.
— Des mois que la petite traînée couche avec toi ? Des mois que vous bafouez le règlement sans vergogne ? Tu sais que ce n’est pas déontologique au-delà du règlement, Alken…

— Heu, pardon, mais la petite traînée aimerait être respectée, en fait. Je ne me permets pas de te manquer de respect, si tu pouvais être correcte avec moi, ce serait cool, marmonné-je, mal à l’aise.

— Oui, Elizabeth, si tu es venue pour nous insulter et nous crier dessus, tu peux rentrer chez toi, annonce Alken, froidement, en lui rouvrant la porte d’entrée.

Mon danseur m’impressionne car en faisant ça, il va juste l’énerver encore davantage et ça signifie que ça précipite notre perte. Mais en même temps, il n’a pas tort. Si on veut garder un peu de respect pour nous-mêmes, il ne faut pas qu’on laisse passer ce genre de propos.

— Ah, c’est facile d’éviter la discussion, comme ça. Tu crois que tu vas pouvoir continuer longtemps à te cacher de tout le monde ? Que personne ne va s’en rendre compte ? Et Kenzo, il en pense quoi de tout ça ? Que sa copine se tape son père ? Il vit ça bien, peut-être ?

— Kenzo n’a rien contre notre relation, il est même content pour nous en fait, souris-je. Et nous gardons ça pour nous, jusqu’à la fin de mon année à l’ESD… Jusqu’à présent personne ne s’est douté de quoi que ce soit.

— Et il n’y a pas de raison que ça change, ajoute Alken en la regardant. Sauf si quelqu’un qui nous veut du mal nous dénonce. Ce n’est pas ton cas, si ?

— Ce n’est pas une question de vous vouloir du mal, c’est une question déontologique. Ma loyauté va à l’école, Alken, plus à toi. Depuis le divorce, je ne te dois plus rien. Franchement, tu me dégoutes de me remplacer par une petite jeune. Tu fais ta crise de la quarantaine ? Et quand tu vas la larguer pour une plus jeune ou une autre nana, elle va être dans quel état, tu crois ? Tu te rends compte de la situation dans laquelle tu la mets, cette pauvre Joy ?

— Mais je ne vais pas la larguer ! Tu penses bien que je ne prendrais pas autant de risques si ce n’était pas sérieux ! Elizabeth, je sais que ce que je te demande, c’est compliqué. Mais s’il te plaît, n’en parle pas à Elise ou à l’ESD. Laisse-nous une chance… Et si tu ne le fais pas pour moi, fais-le au moins pour Joy qui mérite de faire une belle carrière au vu de son talent, tu ne crois pas ?

J’ai un peu l’impression d’être spectatrice d’une dispute qui m’inclut sans vraiment le faire, là. Alken et Elizabeth se toisent et s’observent, et j’ai le sentiment qu’au final, ils règlent plus que cette histoire, m’excluant totalement de leur chamaillerie. Cela devrait me réjouir au final, mais entendre l’ex-femme d’Alken énoncer une possibilité à laquelle j’ai moi-même pensé plusieurs fois ne me rassure pas des masses, même si j’entends le discours de mon amoureux.

— Je suis désolée, Elizabeth, lui dis-je sincèrement. Tu n’aurais pas dû l’apprendre comme ça, et… Je peux comprendre que ça ne te plaise pas. Et, crois-moi, je ne me risquerais pas à foutre en l’air le rêve de ma vie d’être diplômée de l’ESD si tout cela n’était pas des plus sérieux. Tout ça est bien compliqué, et… J’imagine que ça te place dans une sacrée position par rapport à l’école et à Elise. Vraiment, j’en suis désolée.

Alken tient toujours la porte ouverte et Elizabeth hésite clairement sur la conduite à tenir. Elle nous regarde l’un après l’autre, dans un silence qui se fait de plus en plus pesant.

— Ferme cette porte, parce que si tu me mets dehors, c’est sûr que je vous dénonce. Mais j’entends ce que vous me dites tous les deux. Il y a peut-être une autre solution… indique-t-elle finalement.

Alken obtempère et vient se coller à moi, passant son bras au-dessus de mes épaules dans un geste à la fois protecteur et rassurant.

— C’est quoi l’autre solution, Elizabeth ? Je te connais, je sais que tu ne donnes jamais rien sans être sûre d’obtenir quelque chose en retour. Parle donc, nous t’écoutons.

Je les observe tour à tour sans comprendre ce qui se joue vraiment ici. C’est fou que je puisse éprouver un élan de jalousie, à cet instant précis, alors qu’ils semblent presque n’avoir besoin d’aucun mot pour se comprendre. Bon, il y a un jeu de regards et il n’est pas du tout séducteur. J’ai l’impression qu’Alken pourrait tuer rien qu’avec ses yeux, et son ex-femme, elle, a une petite lueur qui ne me dit rien qui vaille.

— Oui, tu me connais, Alken, comme moi, je te connais. Quand tu es amoureux, tu es prêt à tout et j’ai bien envie d’en profiter. Tu sais que je n’ai jamais fait une croix sur toi ? Tu as beau t’amuser avec cette petite jeune, ça m’étonnerait qu’elle sache te combler et te satisfaire comme moi je savais si bien le faire. Tu te souviens de toutes ces fois où tu as joui juste sous l’effet de ma langue ? Tu te rappelles de tous ces orgasmes que j’ai pu te procurer alors que tu me faisais connaître l’extase ? Tu ne peux pas avoir déjà oublié, Alken. Mon petit Kenou. En tous cas, moi, j’ai toujours ça très présent en tête. Il m’arrive même de t’imaginer alors que c’est Enrico qui est en train de me faire l’amour. Tu vois à quel point je suis toujours accro à toi ?

— Je vois que tu es complètement folle, Elizabeth. Tu veux quoi ? aboie-t-il en sa direction.

— Alken, c’est ta Lizie qui te parle là. Ce que je veux comme prix de mon silence, c’est simple. Une dernière nuit d’amour avec moi, me laisser l’occasion de te prouver que tu m’aimes encore. Et si tu fais ça, promis, je me tairai. Par contre, si tu ne veux pas honorer ton ex-femme, je te jure que vous allez connaître l’enfer, tous les deux. Le deal est clair ? J’ai été assez respectueuse dans mes propos, jeune fille ? me demande-t-elle dans un ton si plein de mépris que j’ai du mal à ne pas lui rétorquer que je préférais les insultes claires à ces terribles menaces.

— Le deal est très clair. Laisse Joy en dehors de tout ça, je t’en prie. Toi et moi, on sait bien qu’elle n’y est pour rien dans cette histoire. Je t’ai quittée bien avant de la rencontrer. Alors, on va réfléchir, et on te dit ce qu’il en est rapidement.

— Je vous laisse jusqu’à demain soir. Joy, tu sais ce qu’il te reste à faire pour obtenir mon silence.

Je ne lui réponds pas et vais moi-même ouvrir la porte de l’appartement. Je n’arrive pas à croire qu’elle demande à coucher avec Alken pour garder ce secret pour elle. C’est juste totalement surréaliste. J’ai l’impression d’être dans une mauvaise série télé, alors qu’il s’agit là de notre réalité.

— Bonne soirée, Elizabeth, lui dis-je froidement en lui faisant signe de sortir. Et tu me vois désolée d’apprendre qu’Enrico n’est pas capable de te satisfaire, si bien que tu as besoin d’Alken pour compenser. C’est dommage.

Je n’attends pas sa réponse et vais me réfugier dans la chambre. Ma réaction doit lui faire plaisir, mais je m’en fous. Je déteste ce regard satisfait qu’elle arbore, tout autant que l’idée de la savoir faire l’amour à nouveau avec Alken. Hors de question de répondre positivement à sa demande, rien que d’y penser, j’ai envie de vomir mes tripes. Comment pourrais-je accepter ça ? D’autant plus qu’il pourrait bien apprécier l’expérience de son ex et se rappeler comme baiser avec elle était agréable, non ? Mais si nous ne lui accordons pas ce qu’elle demande, je ne doute pas qu’Elise nous renverra tous les deux. Surtout après le scandale avec Charline et mon implication pour le faire réintégrer. Elle va clairement penser que je me suis foutue d’elle, et elle n’aurait sans doute pas vraiment tort. Bon sang, c’est un sacré merdier, tout ça. Merci Tim et Suze, je me souviendrai toute ma vie de votre passage à Lille, croyez-moi !

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