Mardi soir
Dans cette position si peu confortable, semblable à son émotion actuelle, une tempête d'image, de souvenirs et de sentiments reviennent à la surface. Un groupe d'enfants, innocents, le sourire aux lèvres, tous très mal habillés. Aucun n'y porte attention. Elle les voit courir dans le village, jouer sur la place centrale où se dresse l'église, faire du vélo, se retrouver chez l'un ou chez l'autre et passer des après-midi à jouer.
Inconscience enfantine, une qualité qu'elle regrette. Même ses souvenirs joyeux lui apportent une certaine tristesse, mélancolie et même regrets. Et si... Et si... Trop de doute, trop de gorge nouée, de choix niés et de décisions questionnées.
Elle se revoit tous les mardis soirs chez sa meilleure amie, Maële. Soirée qui l'ont construite où elle s'évadait, vivait une autre vie que celle réelle. Une petite bulle de bonheur, son chateau fort, son rêve éveillé, elle en a profité au maximum. Pendant quelques années, elle attendait ce jour avec impatience. Retrouver enfin sa deuxième famille, ses deux frères Milo et Matteo et sa soeur Maële, comme une fuite dans un monde parallèle, un univers de jouet et de rigolade. Elle avait trouvé son usine à chocolat de Willy Wonka dans cette batisse, dans ce petit village ; ici elle avait sa liberté d'être une enfant, comme les autres. Une simple invitation a commencé cette tradition. Elle se voit encore courir à travers la maison, jouer à cache-cache, au loup, au chat.
C'est sur le carrelage du rez-de chaussée qu'ils ont tous appris à faire du roller. C'est dans ce grand salon qu'ils improvisaient des parties de volley. C'est aussi sur ce canapé, face à la télé que son gout télévisuel s'est forgé à coup d'"Hélène et les garçons", de "Next" et clips vidéos. Elle se rappelle chanter à tue-tête "Comme des Connards", plaisanter devant du Garou, ou encore envier Britney Spears, Rihanna, Shakira et leurs mouvements sensuels, maitrisés. Les parties de luttes, la tirolienne, la balançoire et la piscine, un jardin spacieux, ombragé dont ils ont largement profité. Son courage, son caractère, son imagination, elle l'a développé entre ses murs, à raconter des histoires de prince charmand aux deux plus jeunes, à emprunter des strings pour se donner en spectacle devant la famille. Elle s'imagine avoir amené du bonheur et de la joie, peut-être n'est qu'une illusion.
Chaque mardi soir, elle était accueillie à bras ouvert, les repas étaient réfléchis pour elle, tellement difficile. Les petits pois et carottes, elle acceptait mais seulement en boite. Pas de légumes autrement, ni de fruits d'ailleurs. Chaque mardi soir, on lui demandait ce qu'elle voulait, sans jugement, ni l'avoir jamais rejettée pour ses désirs compliqués.
La question ne se posait pas, chaque deuxième soir de la semaine, elle n'était pas vers ses parents. Elle ne se rappelle pas qu'ils lui aient jamais reprochés. Ils devaient comprendre qu'elle en avait besoin pour se construire, apprendre à se connaitre, à se déconnecter d'une réalité, qui certaines fois, souvent, pouvait l'étouffer. Elle rentrait seulement le mercredi après-midi. Sa mère préparait des gâteaux, tartes, croque-monsieur et autres délices que les enfants mangeaient avant même d'avoir parcouru les quelques 400m qui séparent les deux maisons.
Naïa a toujours cru au destin, si les événements arrivent c'est que cela devait se faire. La mélancolie vit en elle mais elle refuse de la transformer en regrêt.
Une image brisa sa rétrospective : Elle-même, recroquevillée sur le canapé, dans l'angle. Les larmes coulant sur ses joues, le nez humide. Elle n'a pas oublié le sujet de sa tristesse, certainement l'autisme de son petit frère. Il a toujours été sa priorité, son numéro 1 ; mais ces soirées, c'était à elle, pour elle alors, de temps en temps quand ça devenait trop dur, elle trouvait du réconfort auprès de sa famille de substitution.
Cette image lui noircit son si beau tableau lumineux. La tâche s'élargit. La revoici entourée de champs, sur ce chemin où les cailloux sont trop pointus, même pour ses fesses rebondies. Elle respire. Petite séance de méditation. Les yeux fermés, elle se concentre sur ce qu'elle ressent, le soleil, les insectes, la douleur, son coeur, ses poumons compressés. Quelques minutes pour se situer de nouveau dans ce lieu si particulier à ses yeux.
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