II - Voyage retour
Quand Eliot arrive enfin son regard me fait froid dans le dos. Lui si avenant avec moi habituellement, pourrais m’étrangler rien qu’avec ses yeux. Je suis allée trop loin cette fois, et je crois qu’il va avoir des ennuis, à cause de moi.
Je fais la moue et bafouille quelques excuses, ce qui est une première entre lui et moi. Mais même ce petit miracle ne suffit pas à briser la ligne droite qui lui sert de lèvres. Ma culpabilité assumée parvient tout juste à lui faire baisser les yeux. D’un signe de tête et du pouce il me propose de le suivre à la voiture.
J’ai certainement oublié mon enthousiasme dans les vagues. Je me sens stupide et puérile de jouer encore à semer mon garde du corps à vingt-cinq ans. Et même si je m’en plains beaucoup. Tout ce que je veux dans l’instant c’est rentrer à la villa.
Un horrible nœud me brûle dans le ventre. Si Eliot sait, papa sait. Je n’ai pas envie de me retrouver face à lui en rentrant, je suis sûre qu’il sera d’une humeur massacrante et que cette humeur ne s’améliorera pas tant que toute cette affaire ne sera pas réglée. Et le seul rôle qu’il m’est possible de tenir c’est celui de celle qui a tout provoqué.
Je jette un regard dans la direction d’Eliot. Il se tient droit, ses larges épaules parfaitement alignées dans le siège de la BMW noire qu’il conduit avec une concentration sans faille. Des mèches blond foncé lui retombent sur le visage, rehaussant les stigmates de la fatigue qui marque ses traits. Je ne me souviens plus m’être déjà sentie si coupable. Peut-être parce qu’habituellement ceux qui m’entourent, à l’exception de mes sœurs ; font des pieds et des mains pour me plaire et ne pas me contrarier.
Mais à cet instant, Eliot se fiche éperdument de me contrarier, il est assez contrarié lui-même pour ne pas se préoccuper de moi et l’affiche avec une limpidité déstabilisante. Il n’a pas mis de musique et n’a pas décroché un mot. Même si papa est d’une humeur similaire, j’espère qu’il sera plus loquace ou je vais devenir folle.
Le voyage me semble sans fin, une demie heure qui me parait en être une entière. Et pourtant, en passant les grilles de la résidence j’ai la sensation que la tension devient encore plus palpable. Comme une rigidité perceptible dans tous ceux dont nous croisons la route. Quelqu’un a pénétré leur territoire, et la personne qui a créé la faille c’est moi. Personne ne m’accusera ou ne me fera de reproche, personne n’osera. Cependant ne rien dire n’empêche pas de le penser très fort.
La voiture se gare dans l’allée. Eliot ne descend pas, étonnée je regarde dans sa direction, il serre fort le volant entre ses doigts. Je m’apprête à lui demander s’il va bien lorsque la portière passager s’ouvre. Je vois un homme debout, la main sur la poignée, maintenant la portière grande ouverte. Je comprends alors que mon père furieux compte bien me traiter comme une enfant, publiquement.
Je ne peux pas voir le visage de l’homme qui incite ma descente du véhicule. Je lance un dernier regard à Eliot, qui ne me le rend pas. « Aurevoir » murmurais-je sincèrement peinée de la tournure des évènements. Seul un petit tic sous son œil droit a trahi son émotion.
Quand je suis descendue, j’ai vu le visage de l’homme. C’était le grand brun ténébreux de la plage. Morte de honte, j’ai piqué un fard et ai baissé les yeux. Qu’est-ce qu’il fait là.
Je compris si soudainement que j’étais en face de mon voleur de sac que j’en eu le tournis. Il me saisit par le bras pour assurer ma stabilité et maintint sa prise. J’ai relevé les yeux, il me fixait intensément. Se mêla alors en moi un maelstrom d’émotions contraires, de la honte, de la colère, de la peur. C’était un intrus, il m’avait dépouillée, s’était jouée de moi, que faisait-il ici, sur mon territoire, dans ma maison.
Sans me laisse le moindre instant pour choisir quelle émotion laisser exploser il m’attira par le bras vers le perron. J’entendis Eliot démarrer sans demander son reste.
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