Chapitre 4 - Connexion nocturne

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  Éliot avait entendu la voix. Il avait eu des frissons sur le coup, mais quelque chose lui disait de ne pas avoir peur. Il percevait de la douceur dans le ton employé par la jeune femme. Une voix un peu chaude, bienveillante. Elle ne lui voulait aucun mal. Du moins, c'est ce qu'il ressentait, et espérait ne pas se tromper. Il attendit quelques secondes, et finalement décida d'en avoir le cœur net.

  Relevant prudemment la couverture sous laquelle il s'était réfugié, il regarda en direction du miroir et découvrit la petite lumière émise par la bougie qui s'agitait derrière le tissu. Celle-ci semblait longer chaque côté et chaque angle, et avec un peu d'imagination, on aurait pu penser que la luciole qui essayait de trouver une brèche pour entrer. Les mouvements dessinaient des ombres chinoises sur les murs sombres de la chambre. Le garçon n'en tint pas compte et persista dans son déplacement. Il enfila rapidement son t-shirt bleu et rouge de l'équipe de football du PSG, qui lui donna tout de suite un air un peu plus présentable que le torse-nu, et se saisit de sa Maglite qu'il alluma. Un énorme halo de lumière s'écrasa contre le drap blanc étendu sur le miroir. Il l'abaissa rapidement pour ne plus éclairer que le chemin à parcourir.

  Au plus près, le cœur battant à tout rompre, il entrouvrit légèrement le côté droit du linge et glissa les yeux dans l'interstice. La petite lumière s'approcha de lui. Il était repéré. Éliot éteignit sa lampe. En contre-jour, il distinguait assez mal, mais il devinait les formes de la jeune femme. Elle était habillée d'une robe blanche. La peur le gagna aussitôt, il avait en face de lui un fantôme. Il en était maintenant certain. Il s'affola un peu, tenta néanmoins de parler, mais il ne put que bafouiller.

  Il l'avait déjà croisée dans les toiles de maître qui garnissent le couloir - il s'en souvenait enfin - en haut des escaliers qui mènent aux chambres. Il l'aurait reconnue entre mille, c'était certain, tellement le tableau dans lequel elle posait seule était beau. D'ailleurs, il l'avait trouvée jolie cette jeune femme dans sa robe bleu ciel. Il se garda de le lui dire. Il était timide, et était-ce réellement le moment ? La date inscrite sur l'une d'elles l'avait cependant un peu marqué : 1828. C'était il y a presque deux cents ans. Il était encore persuadé qu'elle était une apparition du passé.

  Il entendit alors sa voix de nouveau. Toujours très calme, réfléchie, de laquelle émanait de la gentillesse. Éliot se calma et tenta de communiquer encore une fois, sans bégayer cette fois-ci.

***

  Les secondes et les minutes passant, dialoguant désormais sans aucune réserve, le garçon avait fait évoluer la jeune fille de fantôme à femme vivante du passé. Ouvrant un peu plus grand le drap posé sur la psyché du XIXe siècle transformée en écran, ils comprirent ensemble qu'ils vivaient un moment unique au monde.

  Éliot expliqua à Bérénice que son prénom était marqué sur la toile avec mention de l'année 1828. Sur un second tableau où il avait cru la reconnaître, un peu plus âgée lui semblait-il, était indiquées, l'une à côté de l'autre, son année de naissance, 1810, et celle de son décès. La jeune femme sursauta et ses yeux restèrent dans le vide lorsqu'elle comprit que le garçon, ce lien incroyable vers le futur, était celui qui avait toutes les réponses. Celles de l'évolution du monde, mais aussi de sa propre vie. Ne sachant quoi faire, et pour ne pas la choquer davantage, il s'était gardé, par bienveillance - précaution étonnante pour un garçon de son âge - de l'informer sur sa mort.

  De mutiples tableaux, selon Éliot, étaient appliqués contre les murs du couloir, mais aussi dans ceux des autres étages de la demeure. La jeune femme trouva cela étonnant, car cela coûtait cher de se faire ainsi immortaliser - verbe qu'elle trouva lourd de sens et dont elle savait déjà qu'il prenait aujourd'hui toute sa valeur étant donné qu'elle apparaissait bien vivante deux siècles plus tard - et que ses parents, bien que disposant de ce manoir depuis la mort de ses aïeux, n'avaient jamais fait peindre des paysages ou des portraits. S'agissait-il des occupants « futurs » immortalisés eux aussi ?

  Avec pour seule lumière la modeste bougie qu'elle avait allumée, elle ne pouvait voir l'étendue de la chambre du garçon qui, autrefois, avait été la sienne. Éliot lui expliqua combien le monde avait évolué pendant tout ce temps. Il ne connaissait pas beaucoup d'éléments de l'histoire lui même - bien trop jeune pour avoir toute la connaissance du monde - mais il lui certifia qu'on pouvait tout savoir, tout connaître, et apprendre sur les deux derniers siècles rien qu'en étant dans cette pièce, connecté sur un grand réseau de communication dont elle ne retint pas le nom sur le coup et qu'elle ne comprenait pas le moins du monde.

  Elle qui aimait les sciences, la nature, la mécanique, ou encore la médecine, pensa décidément qu'il y avait beaucoup de choses intéressantes à apprendre. Mais combien de temps aurait-elle avant que cette vue privilégiée vers le futur ne s'altère, voire ne disparaisse, aussi étrangement qu'elle était apparue ?

  Le garçon et la jeune femme discutaient maintenant plus librement. Éliot tenta de pousser le miroir jusqu'à son bureau, mais au premier crissement d'un des pieds du lourd meuble contre le bois du parquet, il arrêta pour ne pas alerter ses parents avec ses agitations et déambulations nocturnes.

  La fatigue se faisant, le temps était passé très vite lors de cette seconde rencontre de la journée, ils décidèrent tous deux de se donner rendez-vous le lendemain matin. Éliot indiqua à Bérénice qu'il n'irait pas à l'école. Celle-ci fut très étonnée de la remarque. « S'ils peuvent tout apprendre sur la vie et le monde sans quitter l'endroit où ils dorment, c'est vraiment chose incroyable... » pensa t-elle. Les choses avaient vraiment changé drastiquement, se dit-elle encore, si les enfants pouvaient s'absenter des cours à la demande comme il lui avait semblé comprendre la chose.

  Les draps furent remis sur chaque version temporelle de la psyché. La jeune femme ne souhaitant pas, elle non plus, partager sa découverte avec quiconque entrerait par mégarde ou sans prévenir dans sa chambre. Les bavards du temps - surnom pas très joli mais qui leur seyait bien - se couchèrent, chacun dans son époque, heureux d'avoir vaincu les craintes, et espérant au plus profond d'eux qu'ils pourraient le lendemain discuter encore.

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