Clara se rendit à la rivière. Cela faisait des jours qu’elle rêvait de se baigner. La canicule frappait la région et seul le torrent du fond de la vallée qui descendait des glaciers de la montagne irriguait encore les vastes prés et les cultures des paysans.

Elle arriva au bord de l’eau, jeta un regard aux alentours pour s’assurer que personne ne l’épiait et se déshabilla. Laissant ses vêtements sous un arbre, elle se jeta dans l’eau glacée. Du haut de ses dix-huit printemps, ses formes étaient devenues celles d’une femme et elle ne pouvait plus s’exhiber comme elle l’aurait fait étant enfant.

Le courant était calme à cet endroit de la rivière et un renfoncement dans la berge formait une baignoire naturelle. L’eau sortait d’une caverne sombre dans laquelle elle avait déjà été s’amuser avec ses amis d’enfance, mais son attirance pour celle-ci s’était envolée lorsqu’un de ses camarades s’était brisé la nuque en jouant sur les rochers. Depuis, elle revenait, comme en pèlerinage, devant cette grotte dont elle avait maintenant si peur.

Alors qu’elle se détendait dans l’eau claire, un grondement sourd lui parvint du bosquet tout proche. Elle se redressa, plaquant ses mains croisées sur ses petits seins nus. Les fourrés se mirent à bouger et l’angoisse s’empara d’elle. Elle n’était pas censée se trouver là, son père lui avait interdit. Elle s’accroupit dans l’eau et se dirigea vers l’entrée du tunnel en se cachant derrière la paroi de l'entrée.

Il fallait souligner que Clara n'était pas une fille peureuse. Plutôt du genre à dire ce qu'elle pensait sans se soucier de ce qu'on pouvait penser d'elle. Le caractère bien trempé, elle n'avait pas froid aux yeux et sa crainte de cet endroit ne l'accablait pas jusqu'à la phobie.

Elle regarda en direction des bruits lorsque soudain une tête immense sortit des bois. C'était une bête à la gueule de loup, mais beaucoup plus grande, sa mâchoire devait avoir la taille de l'avant-bras d'un adulte, ses crocs aussi grands et effilés que des couteaux de chasse. Son regard luisait d'un rouge brillant comme si le sang de ses victimes s'accumulait dans ses yeux de fauve.

Elle retint un cri d’effroi et se dissimula entièrement derrière une grande pierre au milieu de la grotte, les pieds dans l'eau. Des galets glissèrent sous ses pieds et le bruit d'éclaboussure fut amplifié par la forme de la voûte de calcaire. La bête tourna brusquement la tête dans la direction du son et se mit à renifler le sol.

La créature avançait à pas feutrés alors que Clara tentait de contrôler sa respiration haletante et ses battements de cœur puissant qui secouaient sa cage thoracique. Il arriva près des vêtements de Clara et les huma avec application. Il suivit la piste jusque dans l'eau avant de lever son museau gigantesque dans l'air afin de capter toutes les particules en suspension.

Il braqua soudain ses yeux rubis en direction de l'antre où se dissimulait la jeune femme. Il longea la berge jusqu'à l'entrée et tendit l'oreille.

Clara était tétanisée, elle devait sentir la peur à des dizaines de mètres. Elle était certaine qu'il l'avait repéré, elle se sentait coincée. Dans un élan de courage, elle sauta sans bruit sur une berge de pierre. Elle se réceptionna sur une arête tranchante et son pied se mit à saigner. La douleur était intense, mais elle n'émit aucun son afin de ne pas se faire repérer. Elle avança prudemment remarquant que la bête ne semblait pas l'avoir perçue. Elle se dirigea vers le fond de la grotte.

De son côté la bête, tout en continuant à renifler, avança dans le cours d'eau. Les gouttes de sang du pied de Clara passèrent dans l'eau près de la créature et celle-ci s'engagea dans le tunnel sombre.

La jeune femme, en s'éloignant, marchait de plus en plus vite bien que la douleur provoquée par l'irrégularité des rochers la fit extrêmement souffrir. Aucun son ne sortait de sa bouche. Une fois arrivé dans le fond de la caverne, elle remarqua que le sol se transformait en une terre damée par le temps, plus agréable à fouler. Elle se mit à courir à grandes enjambées, complètement nue, la détente procurée par son bain déjà oubliée.

Soudain, le bout de la caverne était là. Une lumière perçait à travers une petite ouverture à peine assez grande pour un enfant. L'espoir aux tripes, elle se précipita et escalada les roches jusqu'à atteindre le trou.

Un grognement de tonnerre retentit juste derrière elle. Des yeux écarlates la fixaient. Ce monstre, les dents baveuses, le regard carnassier, les poils hirsutes et la posture menaçante se préparait à bondir sur sa proie acculée. Qu'allait-elle devenir ? Allait-elle finir en repas pour ce monstre de mythologie ? Allait-elle se laisser faire alors que la sortie était à portée de main ? Elle avait encore tant de choses à vivre, tant de choses à faire et à donner. Elle ne pouvait pas arrêter là son histoire.

Elle prit une grande inspiration, contracta ses muscles et sauta en direction de l'ouverture dans la paroi de calcaire comme s'il s'agissait d'un plongeons dans la rivière. Voyant sa victime tenter de fuir, la bête bondit d'instinct à la suite de la fille.

Alors qu'elle allait passer l'orifice, elle sentit le souffle chaud du loup géant lui frôler la cheville. Une montée d'adrénaline la submergea. Elle sentit un grand choc et ce fut le noir total.