Louis Cretenet,

Chez Clémence Eriksen

33 rue des Olivettes

44000 NANTES

Mon pauvre Louis,

La réception de ta lettre m'a, je dois le dire, laissé quelque peu stupéfait. Tu me connais, tu sais que mon esprit chasse les mauvais souvenirs avec une efficacité qu'Israël lui jalouse. Mais l'heure n'est pas à la géopolitique.

S'il y a bien une chose qui m'a choqué dans ton écrit, c'est à quel point rien qu'à travers quelques lignes, on peut remarquer que quelqu'un n'a pas changé.

Le même style. La même complainte. Le même égocentrisme autour de ton petit malheur.

Mais tout cela, je le savais bien avant de te lire. Cela fait quelques semaines que chez moi, on ne parle plus que de toi. J'en serai presque jaloux. Mais pour te faire comprendre la réelle ambiance de mon foyer, je me dois de te donner quelques nouvelles, bien que ton autocentrisme t'ait empêché de m'en demander.

Giuseppina va bien. Sa nouvelle pièce "I maschi del giorno" a été acheté par le Teatro Massimo de Palerme, et devrait se jouer pour la saison 2051/2052. Lucrécia vient d'avoir seize ans, et devient une petite femme. Elle est encore plus belle que l'était sa mère, et aimerait que je la forme au métier de scénariste. A jamais, elle reste et restera mon plus grand chef-d'oeuvre. Pecorino, notre chien, est mort. Cela nous a pris trois jours avant de réaliser qu'il ne dormait pas. Je sais que tu l'aimais beaucoup, toutes mes condoléances.

Mais à défaut de cette perte, une nouvelle personne compose notre foyer. Pas un chien, ni un autre enfant, bien qu'elle semble encore plus perdue que les deux êtres.

Auriane. Elle s'est présenté chez moi une semaine avant que je reçoive ta lettre. Elle partage aujourd'hui la chambre de Lucrécia.

Je sais tout ce qu'il s'est passé. Il n'y a pas un seul détail de votre rupture qu'elle ait ommis de me raconter, et de tous ces savoirs je n'ai pu tirer qu'une chose : autant d'aversion que de pitié envers l'être misérable que tu es.

Qu'il est cocasse quand même d'héberger mon ex-copine chez mon actuelle femme, le temps qu'elle se remette de sa rupture avec son ex-mari, qui n'est autre qu'un ex-ami. Qu'il est étrange de sentir le temps nous rappeler qu'il a tant passé.

Le poète maudit Louis Cretenet, a donc brisé sa relation avec la grande Auriane Devaux, tout ça pour se taper un plan-cul de ses jeunes années... On dirait le pitch d'un mauvais vaudeville.

En tout cas Louis, ne viens pas chercher du réconfort auprès de moi, ta femme l'a fait en premier. Ses petites vacances ont l'air de lui plaire, et Giuseppina a proposé qu'on lui fasse faire un tour de la Sicile. L'idée semble l'enchanter, nous partirons sûrement au printemps. A cause de toi, Auriane ne peut plus faire confiance à de nouvelles personnes, alors ne la blâme pas de venir chercher, elle aussi, du réconfort chez un ancien ami ; et amant.

Sachant que tes pulsions jalousives doivent déjà te donner des envies de violence à mon égard, inutile de venir jusqu'à Palerme, je ne toucherai pas Auriane. Giuseppina me comble amplement, et je ne ferai qu'aider Auriane en l'honneur du bonheur que nous avons vécu ensemble, que je lui souhaite et qu'elle mérite.

Excuse-moi d'avoir mis du temps à répondre, le tome 2 de "La Sororité" me prend beaucoup de temps. J'espère que ton séjour à Nantes te satisfait, et que la compagnie de Clémence te soit aussi agréable que ta fidèle amie la solitude, suivi de son cousin l'alcool.

Je te demanderai de ne plus m'écrire. Accepte-donc cette lettre comme un deuxième adieu, par écrit cette fois, comme deux auteurs dignes de ce nom se devaient de le faire.

Adieu donc, Louis.

Lucas Baranski.

PS : J'ai envoyé cette lettre à l'adresse de Clémence, car Auriane me garantissait que Louis s'y trouvait. Sache, Clémence, si tu lis ces lignes, que le courrier est censé être privé, et que ce que je dis à Louis ne te regarde nullement. Vieille grognasse.