Dispute avec son oncle

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Bernie

Cacilie m’a emboîté le pas. Ce matin encore, elle a l’air soucieuse. Si seulement, je pouvais faire quelque chose pour l’aider. J’aimerais la voir plus heureuse. Elle le mérite. En plus, son sourire est magnifique.

C’est pour cette raison que j’ai décidé de lui faire une surprise. Lorsque nous arrivons en vue du local de stockage, je m’arrête.

– Qu’est-ce qu’il se passe ?

– Ne fais pas trop de bruit. J’ai quelque chose à te montrer.

Ses sourcils se froncent pourtant elle ne fait aucune remarque. J’ouvre délicatement la porte, puis actionne l’interrupteur. La lumière inonde la pièce. En silence, j’entre suivi par ma compagne.

– Regarde, il est là !

Je me penche vers elle pour murmurer ses mots. Son visage s’éclaire instantanément.

Dans le coin du local où je l’ai installé, m’attend toujours un chat tigré. Pour qu’il puisse dormir, je lui ai donné un carton qui contenait des produits de nettoyage. En plus, je lui ai mis de l’eau et offert un peu de steak haché la veille.

– Mais Bernie, comment est-ce possible ? D’où vient-il ?

J’avoue mon ignorance d’un haussement des épaules.

– Je l’ai trouvé dehors. Il miaulait alors je l’ai rentré pour la nuit. Malheureusement, je vais devoir le sortir. Si mon oncle le voit, il va piquer une crise.

Le front de Cacilie se barre d’un pli soucieux. Je sais très bien qu’elle déteste Larry. Pour tout avouer, je ne l’apprécie pas tant que cela non plus. Mais c’est ici que je vis et c’est pour lui que je travaille alors je fais de mon mieux.

Avec des gestes lents, mon amie dépose son ordinateur sur la table avant de s’approcher du félin. Celui-ci ne s’enfuit pas et la laisse venir à lui. Ce pauvre petit est sociable. Il devait sûrement appartenir à quelqu’un. À présent, il ronronne tel un moteur, tant il est heureux que quelqu’un s’intéresse à lui.

– Pauvre bête ! J’aimerais tant pouvoir le prendre dans ma chambre…

Nous nous regardons. C’est impossible et nous en avons conscience.

– Qu’est-ce qu’on peut faire pour l’aider ?

– Je n’en sais rien…

À mon tour, je m’approche pour le caresser. Proches l’un de l’autre, nous échangeons des sourires complices. J’aime ces instants où nous n’avons pas besoin de nous parler pour nous comprendre. C’est un peu comme si un lien existait entre nous.

Malheureusement pour nous, ce moment est de courte durée. Un cri me ramène au présent.

– Bernie ! T’es où fainéant ?

Je me redresse à la hâte pour sortir, mais Larry me barre la route. Je me retrouve coincé dans l’encadrement de la porte.

– Qu’est-ce que tu foutais ? J’ai besoin de toi. Y a un problème de plomberie dans la chambre deux ! Je veux que tu me répares ça avant ce soir !

– Pas de souci, j’y vais. Je dois m’en occuper avant ou après la fenêtre de la chambre cinq ?

– Joue pas au con avec moi, Bernie !

C’est toujours pareil avec lui, il pense que tout est une moquerie à son encontre.

– Déjà que je te retrouve à ne rien foutre alors qu’il y a des tas de réparations à faire…

Mon oncle s’arrête au milieu de sa phrase. Je retiens mon souffle.

– Qu’est-ce que tu faisais dans le local ?

– Rien. Je…

Sans doute ai-je répondu trop vite, parce qu’il me pousse un grand coup pour entrer dans la pièce. Son regard se pose sur Cacilie puis sur le chat. Mon amie se fige. J’en fais de même.

– Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Qu’est-ce que tu glandes encore avec elle ? C’est quoi cette saloperie de bestiole ?

Son ton de voix change et on passe à des hurlements.

– C’est juste un chat, murmure Cacilie, en le prenant dans ses bras.

– Ça n’a rien à foutre dans mon motel. Je te donne cinq minutes pour le virer dehors. Sinon, c’est moi qui vais le faire et crois-moi, t’aimeras pas ça ! D’ailleurs, si je le revois traîner dans le coin, je le crible de balles !

Je lève les mains en signe d’apaisement.

– C’est bon, je vais m’en occuper.

Mais il continue.

– Non, c’est pas bon ! Ici, tu es chez moi ! Tu te plies à mes règles ! À moins que tu veuilles retourner chez ta mère ? C’est ce qui te pend au nez. Tu étais tellement bien avec cette alcoolique !

Mal à l’aise, je baisse la tête.

– Qui t’as sorti du foyer pourri où tu avais atterri ? Qui t’as inscrit à l’école pour que tu puisses apprendre un vrai travail ? Qui te nourrit et te loge ? C’est comme ça que tu me remercies ? Sale petit ingrat !

Mon cœur bat la chamade alors que Larry ne s’arrête pas une seconde pour reprendre son souffle.

– Je suis désolé. Je vais m’occuper des chambres. Je mettrais aussi le chat, dehors.

Même si cette décision me pèse, je sais que dans les circonstances actuelles, c’est la meilleure des solutions. Je ne veux pas prendre le moindre risque.

– J’espère bien !

Son regard se pose sur Cacilie.

– Tu ferais bien d’arrêter de traîner avec cette bonne à rien.

À ces mots, mon amie serre les poings. Elle non plus ne peut rien dire. Sa mère a besoin de la chambre pour se loger. Ce n’est pas comme s’il y avait des dizaines d’autres choix. Le prix de la nuit est accessible chez nous. Seule raison pour laquelle on arrive à survivre dans un coin aussi paumé. Les touristes n’hésitent pas à s’arrêter pour prendre du repos, tout comme les amants louent un lit pour quelques heures, même si cela veut dire faire plusieurs dizaines de kilomètres pour venir se perdre ici.

– De toute façon, elle ne voudra jamais de toi.

Mon visage prend une teinte écrevisse à cette remarque. Je ne veux pas que Cacilie comprenne mon intérêt pour elle. Surtout pas de cette façon abrupte.

– Fais-toi à l’idée que tu n’as pas la bonne couleur de peau pour elle !

Cet argument des plus ridicules ne fait que me convaincre que mon oncle ne comprend rien. Il souhaite mettre des barrières là où il ne devrait y en avoir aucune. Cacilie est métisse, trop blanche pour certain et trop noir pour d’autre si l’on va par là. Mais pour moi, elle est juste mon amie. Même si j’avoue rêver de plus. Ce n’est pas le moment de l’embêter avec mes sentiments, elle a tellement plus à penser.

– Maintenant, direction la chambre deux. Je veux que tu finisses de réparer ça dans la journée, peu importe le temps que tu y passes.

Il se tourne vers Cacilie.

– Toi, tu me mets cette maudite bestiole dehors.

Tête baissée, je récupère ma caisse à outils.

– Oui, oncle Larry.

Je jette un regard à mon amie et lui fais un petit signe de la tête pour la soutenir. Dans notre situation, nous ne pouvons pas faire grand-chose. Elle le sait aussi bien que moi.

Le visage sombre, elle sort avec le chat blotti dans ses bras. J’aurais aimé avoir le temps de lui dire au revoir, mais mes pieds prennent le chemin de la chambre numéro deux, afin de m’occuper de la plomberie. J’aimerais autant éviter toute dispute supplémentaire. Plus vite, j’aurais terminé. Plus vite, je pourrais revoir Cacilie.

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