Organisation nocturne

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Fabio

Je fixe la bouteille d’eau dans ma main, sans savoir quoi en faire. À mon côté, Liam continue de parler. Son babillage ne fait qu’augmenter mon stress. Surtout si jamais j’ai un cancer un jour, il ne faudra pas que je lui dise. Sinon je me suiciderai avant même la chimio. Il est certain que l’eau est empoisonnée. Le simple fait de m’en être servi pour laver ma peau va me contaminer. Par chance, le sang a totalement disparu. Rien que le savoir me soulage.

– La bouteille était fermée, il n’y a pas de poison !

Aussitôt, mon ami me l’arrache des mains.

– Avec une seringue, c’est possible qu’on ait injecté du produit à l’intérieur.

Il fixe le bouchon comme si la solution se trouvait dans le plastique. Des fois, il me fatigue.

– Je sens que ça me brûle les doigts.

Mes yeux se lèvent vers le ciel. S’il s’agissait d’acide, j’en saurais quelque chose. Aucune sensation désagréable ne vient me titiller.

– Arrête, tu vires hypocondriaque !

Pour l’oublier, je jette un coup d’œil autour de moi. Le vent me ramène l’odeur du feu et pour peu, je pourrais me croire près d’une cheminée. Dommage que ça ne soit pas le cas. Les deux gros bras font des batailles de regards. Chacun campe sur ses positions. Je me désintéresse d’eux pour chercher la jeune femme qui est venue nous parler il y a peu.

Je l’aperçois qui s’est avancée vers les bâtiments. Son corps n’est éclairé que par la lueur de la lune. Elle discute avec une autre personne. Je ne me rappelle pas l’avoir déjà aperçu. Mes sourcils se froncent. Il voudrait peut-être mieux que j’aille voir, histoire de pouvoir la soutenir. Ainsi j’échapperais à Liam et ses délires.

Sans plus écouter mon ami, je suis le chemin pour rejoindre les deux femmes. Alors que j’arrive au niveau de la rousse, elle se retourne pour m’observer. Je m’attends presque à ce qu’elle me demande de partir. Mais non ! Elle ne dit pas un mot. Son interlocutrice, une femme d’une quarantaine d’années mince à la peau sombre semble inquiète.

– Ma fille Cacilie n’est pas rentrée… Elle… En plus, avec la panne… D’habitude, ça ne dure pas… Juste quelques secondes…

Son discours décousu ne m’aide pas à comprendre ce qui se passe. Peut-être que Myrtha aura plus de chance. Je ne saurais dire pourquoi, mais je me sens mal à l’aise en sa compagnie. Est-ce que ça vient du fait qu’elle sort avec le gros bras avec sa tête de bandit de grand chemin ?

D’une voix douce, elle prend la direction de la conversation.

– Reprenons calmement, je m’appelle Myrtha. Vous dites que votre fille a disparu ? Est-ce que vous pouvez nous préciser dans quelles circonstances ? Peut-être s’est-elle juste perdue dans le noir ?

La femme secoue la tête.

– Non, elle a l’habitude. Je… Je suis désolée de vous avoir dérangé.

Son regard s’est posé sur les deux hommes. J’ai l’impression que cela n’a fait qu’accentuer son malaise.

– Attendez ! On peut vous aider !

J’ignore pourquoi ces mots sont sortis de ma bouche. Je manque de crédibilité, j’en ai peur. Mais je ne pouvais rester insensible à la détresse de cette femme.

Myrtha lui a pris le bras comme pour la rassurer. Un moyen de lui montrer qu’elle n’est pas seule.

– Est-ce que vous travaillez ici ? Ou alors êtes-vous aussi une cliente ? Et votre fille, comment est-elle ?

J’admire sa façon de poser des questions pertinentes. Comme elle n’obtient aucune réponse, elle continue.

– Comment vous appelez-vous ?

Le sourire de la rousse a raison des résistances de son interlocutrice.

– Neslie, murmure-t-elle.

Alors que j’observe son visage, je crois voir de l’humidité dans ses yeux. A-t-elle pleuré ?

– Enchantée, Neslie. Vous pouvez m’en dire un peu plus sur ce qui est arrivé ?

À nouveau, le regard de la femme se tourne vers notre feu de camp improvisé. Il est vrai que tout cela doit lui paraître étrange. Moi-même, je n’ai pas trop compris pourquoi le barbu a fait ça. Cependant, je me garde bien de poser des questions.

Le corps mince de la nouvelle venue frissonne. La température a beaucoup baissé par rapport à la journée. En plus, un petit vent frais s’engouffre entre les bâtiments. Cela dit, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse de la seule raison. J’aimerais dire ou faire quelque chose de rassurant pour cette inconnue. Sauf que j’ignore quoi. Je reste donc les bras ballants à attendre que Myrtha fasse tout le travail. Ce qui n’a pas l’air de la déranger. C’est un peu comme si elle n’avait pas pris en compte ma présence.

– Est-ce que vous voulez aller discuter sous la lumière ?

Nouveau moment d’hésitation.

– Nous sommes tous des clients. Moi, je voyage avec mon petit-ami. Le garçon à côté de moi visite les environs avec son meilleur ami. Quant au motard, nous venons de faire sa connaissance.

– Je… Pourquoi êtes-vous tous là-bas ?

Je conçois que la scène est étrange.

– On se sent plus en sécurité à la lumière.

En vérité, je suis anxieux même sous l’ampoule. La situation m’échappe, je me sens impuissant. Tous ces inconnus avec tous leurs avis sur la question ne m’aident pas. J’aurais dû rester chez moi. Sauf que si je l’avais fait, Liam aurait pu se retrouver en panne dans le désert sans eau.

– Disons que depuis que le cri a résonné, nous nous posons des questions, explique Myrtha. Nous sommes tous sortis de nos chambres pour tenter d’en savoir plus. Ensuite, la lumière s’est éteinte. Ce n’était pas pour nous rassurer. Mais comme cette ampoule est toujours alimentée, nous pensons qu’il ne s’agit pas d’une simple coupure.

Pendant que la jeune femme fait le résumé de la situation, je me remémore le hurlement. Est-ce qu’il serait possible qu’il s’agisse de celui de sa fille ? D’ailleurs, est-ce que ce ne serait pas la femme de ménage, sa fille ? Comment poser la question qui me brûle les lèvres ?

– Le cri…

Neslie frissonne à cette évocation. Elle en est arrivée à la même conclusion que moi.

– Dès que je l’ai entendu, je me suis mise à sa recherche. Cacilie est ma fille unique. Je fais mon possible pour elle. Si jamais il lui arrivait malheur…

La détresse dans sa voix est perceptible. Elle me fend le cœur.

– Vous aussi, vous êtes cliente de ce motel ?

– Oui. Enfin, je suis une résidente permanente. Je… J’habite ici, à l’année. Avec ma fille…

L’occasion de vérifier ma théorie se présente, et j’en profite pour prendre la parole.

– Est-ce qu’elle travaille ici ?

Les yeux bruns de Neslie ne fixent.

– De temps en temps, oui…

– Elle fait le ménage ?

Myrtha m’observe en silence. Elle ne perd pas une miette de ce qui se dit.

– Cela lui arrive. Parfois, quand Larry a besoin de quelqu’un…

Le regard de la mère se pose sur nous puis sur ceux qui sont baignés par la lumière de l’ampoule.

– Il y a beaucoup de clients ce soir… C’est possible qu’il lui ait demandé de faire le ménage.

J’ignore qui est Larry, mais je pense tout de suite au type de l’accueil.

– Venez, nous allons en parler avec mon petit-ami. Il vous écoutera.

Ma main de la rousse tient toujours le bras de Neslie. Avec un large sourire, elle l’incite à le suivre. J’admire sa façon de faire, même si je vois pas trop ce que le barbu pourrait faire.

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