Obscure ennemie
Le jeune dieu avala le bouillon, se leva sans échanger ne serait-ce qu’un mot à l’Amazonide, s’avança où les écuelles furent posées sur l’herbe. Il se pencha, se redressa et s’approcha de l’échelle où il s’arrêta. Il leva les yeux, s’élança vers la première barre de bois qu’il agrippa en serrant sa prise de ses jointures . Contractant ses muscles, il commença son ascension puis lorsqu’il mit les semelles de ses sandales sur les barres, il sentit que ses bras devenaient de moins en moins douloureux par l’effort et s’aperçut alors qu’il arrivait proche de sa chambrée. Il prit appui de la paume de ses mains en se hissant sur la plateforme sans difficulté, s’accroupit avant de se relever. Il franchit le seuil de la pièce, soupira un instant en voyant le lit qu’il venait de laisser. Il fit quelques pas vers le mobilier, entra dans la couverture en ne ressentant à présent le moindre épuisement. Il pensait à cette journée raccourcie par ce repos vivifiant et à ce dialogue étrange dont il avait été présent en compagnie d’Hippolyte. Alfirin avait un discours semblable au sien au moment où Hémon lui demandait quelle était la raison de leur passage. Pourtant l’Amazone étant de cette lignée maudite de l’Olympe, elle aurait pu lui expliquer la situation au village et ce qui les attendait.
Ce qui perturbait Argos, était la proximité de l’àlfar en sachant que son apparence physique était celui d’une mortelle. Il se disait sans aucun doute que celui ou celle qu’il avait renseigné était bien évidemment dans la demeure. Elles avaient également conversé à propos d’un incendie qui avait détruit une partie de la forêt et d’avoir pu échapper à ce dernier assaut. Ayant cependant décidé de la suivre, il préféra lui demander quand l’écart avec le camp des Amazones lui permettrait d’échanger. Il soupira, entendit brusquement le bruissement de feuillages à proximité de son logis. Il voulut se redresser sur son lit mais préféra que le sommeil l’emporte, n’entendit que la brise qui se leva, craquant les branchages. Ses paupières devinrent de plus en plus lourdes au fur et à mesure de ses battements de cils.
Le son d’un brasier lui parvint soudainement à son ouïe, le réveillant soudainement. Il se releva vivement de son mobilier, posa les pieds sur ses sandales qu’il mit à la hâte. Il prit sa ceinture qu’il attacha, se pencha vers la fenêtre taillée dans l’écorce. Il aperçut les Amazones se battre contre des hommes portant un masque couvrant leur visage et une étrange armure qu’il n’avait rencontré auparavant. Ne pouvant rester dans la chambre, il sortit de la pièce de quelques pas, se dirigea vers l’escalier que son compagnon de voyage avait emprunté précédemment. Il descendit les marches en colimaçon puis lorsqu’il fut sur la dernière plateforme inférieure, il remarqua tout à coup un archer qui décocha ses flèches. Voyant les pointes des projectiles approcher de sa cible, il entendit le bruit sourd d'un bouclier puis une ombre portant une chevelure flamboyante fit son apparition. Il cligna plusieurs fois des yeux afin de dissiper la fumée qui s’éleva vers la cime des arbres, reconnut la seconde d’Hippolyte qui lui demanda de s’échapper du camp.
Argos regarda vivement les alentours, ne trouvant d’autres alternatives que de sauter de l’endroit où il était. Sans prendre un temps pour réfléchir par crainte de se sentir figé par l’altitude, il s’éloigna de quelque pas puis se laissa tomber dans le vide. Il ferma les paupières, pliant ses jambes tout en ressentant un instant le vent froid pénétrer sa peau. Il sentit le contact de ses doigts effleurant la terre, perçut l’atterrissage léger de ses semelles sur le sol. Sa vision s’éclaircissant par la nature verdoyante, il se releva, s’aperçut d’un flot de sang s’écouler vers lui. Il leva le regard, vit une arme ressemblant à une courte lance rouge entouré de fils d’une couleur semblable agrémentée d’arceau en fer de grande taille transpercer le corps de leur hôte. Hippolyte le regardait tout en expirant d’une voix rauque son nom. Elle leva le bras mais baissa aussitôt sur le liquide. À ce moment, la gorge du jeune dieu se noua si brusquement qu’il ne put retenir les larmes qui coulèrent. Il porta sa main contre ses lèvres, voulant retenir un sanglot mais il fut emporté par Alfirin qui l’emmena à l’extérieur du camp détruit des Amazones. Il voulut se défaire de la prise de son compagnon de voyage mais elle resserra ses doigts sur son bras.
Dans cette course effrénée, il n’arrivait à garder l’allure, fût bientôt épuisé par la poursuite que les assaillants avaient décidé d’entreprendre. Il remarqua alors des objets de forme ovale et entourés de bandages lancés par leurs adversaires au dessus de leur tête puis tomber au sol en laissant échapper une fumée opaque qui les empêchèrent de voir le chemin. Il entendit brusquement des craquements provenant de la terre, des brisures qui séparaient la forêt à plusieurs endroits. En vu de la situation il pensa qu’il serait préférable de se rendre aux ennemis des Amazones que de faire une chute dans les profondeurs terrestres. Il sentit tout à coup son cœur manquer un battement lorsque la silhouette fine de l’àlfar se transforma soudainement en un lynx de plusieurs mètres. Étant sur le dos du félin, il sut que l’animal avait sauté du gouffre et avait atterrit dans un endroit où le paysage était tout autre.
Il regarda autour de lui, ne voyant qu’une terre herbeuse séparée par un pont, sans aucun arbre ni feuillages, seulement une brume qui les entourait.
- Où somme-nous ? demande alors Argos.
- Nous sommes proches de l’entrée du village, dit Alfirin qui se tourna vers la passerelle.
Le jeune dieu s’avança du bord du précipice, entendit peu à peu le bruissement d’une eau courante. Il s’arrêta devant le passage, remarqua une rivière qui s’écoulait dans les profondeurs de la terre, paraissant opaque par la température du liquide. Il se retourna en direction de l’Amazonide qui s’approcha puis s’immobilisa à son tour.
- Il y a un volcan souterrain qui amène cette brume jusqu’ici, dit-elle. Je pense que l’eau du port est plus accessible.
Sans l’attendre, elle traversa le pont puis marcha à l’intérieur du village aux grandes portes sombres d'arbre de pin ouvertes, son apparence originelle retrouvée.
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