Triste Guerrier
Je l’ai tué. Il y a bien longtemps maintenant, je l’ai tué.
Aujourd’hui, je lui rend visite. Arrivé au cimetière, le vide et le silence m’accueillent, puis me montrent le chemin vers l’endroit où on l’a enterré. Le bruit de mes pas écrasant les feuilles mortes brise le silence. Arrivé à proximité, je croise du regard le nom inscrit sur la pierre tombale, un frisson me traverse le corps. Cette personne me manque terriblement. Malheureusement, je n’ai même pas pensé à apporter de fleurs, que des regrets. Je ferme les yeux pour empêcher les larmes de couler, mais en vain. Et puis de toute façon, peut-être que mes larmes sont destinées à faire pousser des fleurs sur la terre ? Cette idée me réconforte et m’amène à imaginer celui qui est maintenant six pieds sous terre, juste là, dormant paisiblement, seul dans le noir. L’obscurité m’empêche de voir son visage, or ce n’est pas un problème, je le connais jusqu’au moindre détail. Un teint pâle, un air glacial et des yeux dévoués d’espoir accompagnés de cernes que seule une profonde fatigue peut creuser. Ce visage, je le vois chaque matin dans la glace. Je suis le tueur, mais aussi celui qu’on a tué.
Il est souvent question du deuil d’un proche, mais on n’aborde jamais le deuil de soi. La tragédie de devoir prétendre qu’on veut être là. Prétendre qu’on est heureux. Mentir qu’on souhaite continuer. On croit à tort que l’inverse de la dépression est le bonheur, mais en réalité c’est la vitalité. Mon existence est lourde, car je porte en permanence ma pierre tombale sur mon dos. Je m’efforce de vivre, alors que je suis déjà mort.
Vous l’aurez compris, mon quotidien est pénible et épuisant. Une bonne nuit de sommeil et l’idée d’un lendemain prometteur ne suffit pas à empêcher la fatigue. Le problème est la vie. Parfois seul le repos éternel semble être une solution. Mon cerveau l’a bien compris, cependant mon cœur refuse de céder à cette idée. Alors, mon cerveau a décidé d’administrer un poison dans mes veines et maintenant tout mon corps est affecté, hormis mon cœur qui continue de se battre et de battre. C’est ça la dépression, un homme qui se tue mais qui cherche tout de même, paradoxalement, à vivre. Cette maladie fait de vous un guerrier, mais quel Triste Guerrier, condamné à se battre face à lui-même.
Phase 1 :
Les gens tristes, on le voit dans leurs yeux. C’est comme ça qu’on les cerne. Une intense fatigue s’installe, c’est maintenant inscrit sur mon visage. Sortir de mon lit suite à mon réveil me demande un effort herculéen. Dès l’aube, l’énergie est au plus bas et elle ne compte pas monter contrairement au soleil. Le problème réside dans le fait que je veux vivre durant mon sommeil, car il m’est impossible en d’autre cas. Mes pensées destructrices m’empêchent de vivre normalement. Alors qu’endormi, je peux enfin rêver vivre. Ce doux moment devient alors une échappatoire, un court instant où les pensées destructrices n’ont pas d’emprise sur moi, les chaines tombent, je suis libre. Mon imagination et ma créativité laissent place à un monde où tout semble possible. Je peux courir aux côtés du bonheur sans jamais me fatiguer. Mais, lorsque j’arrive à la ligne d’arriver, le réveil est compliqué et le bonheur m’a quitté.
Phase 2 :
Mon alarme sonne. Je reconnu le bonheur au bruit qu’il fit en partant. On oublie que le bonheur laisse des cicatrices lui aussi. Ce serait plus simple d’être triste, si on avait eu la chance de ne jamais être heureux. Chaque matin me rappelle que j’ai tout perdu. Tout a commencé par l’amour pour les autres. Je me demande si notre vision de l’amour n’est pas erronée ? Peux-être qu’on n’aime pas forcément une personne pour ce qu’elle est, mais plutôt pour la façon dont elle nous fait ressentir. Comme personne ne peut m’aider à me sentir mieux, je hais tout le monde. On ne fait que me voler ma solitude en me l’échangeant par une fausse compagnie. Ce n’est pas tout, il y aussi la perte de passions. Je n’éprouve plus de plaisir, je l’ai perdu lui aussi. Je ne me souviens même plus les sensations qu’elles me procuraient. Car oui, il y aussi la perte de mémoire. Le cerveau infecté a supprimé les plus beaux souvenirs pour ne pas se remémorer l’époque où il était heureux. Il ne veut plus s’accrocher à rien afin de partir seul, en paix. Au final, j’ai perdu l’Amour, et vivre sans aimer est un enfer.
Phase 3 :
Je marche depuis si longtemps en enfer que je me suis habitué à la température. L’enfer est vide, un grand désert vide et je ne supporte plus le vide. Je dois fuir cet endroit. Mais lorsque je pense avoir trouver une étendue d’eau ou une personne pouvant m’aider, il ne s’agissait en réalité que d’un mirage. Alors comme la réalité n’est que déception, je crois en ses mirages en espérant qu’ils me distraient le plus longtemps possible et que j’oublie la chaleur intense. Sur mon oasis, je bois pour noyer mes pensées, mais elles ont appris à nager. Souvent des nomades se joignent à moi, on chante ensemble un air joyeux espérant chasser les mauvais esprits et lorsque que l’extase redescend, je me rends compte que j’étais seul à chantonner un air faux. Une fois, j’ai trouvé un chameau pouvant m’aider à quitter cette endroit, mais je n’ai fait que tourner en rond ne sachant où aller. L'espoir est le pire des maux, car il prolonge le tourment de l’âme. Pris au piège dans ma propre solitude et douleur, cherchant désespérément une issue, un sentiment d’errance et de désorientation s’empare de moi. J’essaye de fuir le vide, alors que le vide est en moi. L’accepter est un premier pas sur le chemin de la liberté.
Phase 4 :
Parfois tard la nuit, je sors prendre une marche. La musique dans mes oreilles, j’invente des histoires. Un soir d’automne, j’aperçus cette feuille d’arbre délicatement tomber au sol. Cela faisait très longtemps que je n’avais accorder autant d’importance à la beauté. Par contre en observant cette feuille se détacher de son arbre pour se laisser bercer par la brise d’automne, je ne pouvais qu’admirer ce moment si beau et si majestueux. Elle avait quitté son nid pour prendre son envol. Elle est sortie de sa zone de confort, alors qu’elle avait passé toute sa vie sur cette branche. Pendant un cours moment, elle était libre, figée dans les airs, avant de finir son voyage au sol. Elle a brillé tout le printemps et l’été, puis quand le temps est venu, elle s’est laissée emporter. Elle avait trouver un sens à sa vie et avait une totale confiance en son destin. Une petite part de bonheur sortie de mon œil et coula sur ma joue.
Phase 5 :
Le cri inouï de sens : vous ne trouverez guère de référence à ce qui est la préoccupation la plus basique et la plus fondamentale d'un humain : ni le plaisir, ni le pouvoir, ni le prestige, mais à l'origine un désir, un souhait de trouver et de donner un sens à sa vie. Et s'il y a un sens, alors il est prêt à souffrir, à sacrifier, il est prêt à subir des tensions, du stress et plus encore. Mais s'il n'existe pas de sens à ses yeux, alors il met fin à ses jours. Le sens est la lumière qui nous aide à continuer de marcher malgré l’obscurité. Pour ma part, je trouve du sens dans l’écriture. De manière générale, l’art a cette faculté de consoler ceux qui ont été brisés par la vie. J’ai cessé de me battre contre le froid de l’hiver et j’ai choisi de m’envoler vers la guérison. Guérir les maux par les mots. L’art d’écrire, c’est transformer le sang en encre, transformer une plaie en une ouverture vers la lumière, où chaque mot devient un pont entre la douleur et la guérison. Ceux dotés d’une profondeur particulière se doivent d’écrire, leur chair ne suffit pas à tout contenir. Lorsque j’écris, les pages défilent, des histoires sont nées et le bonheur pointe son nez. Je peux enfin affirmer que je me sens vivant. Car j’ai fait d’un dangereux poison un tonique surpuissant et que mon cerveau s’est réconcilié avec mon cœur. En écrivant, ma feuille se laisse bercer par ma créativité et elle fait confiance à son destin. Lorsque le temps arrivera, j’espère que la mort sera ravie de me trouver vivant.
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