Le tueur à gages

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Il faisait terriblement chaud, mais ce n'était pas le genre de chaleur agréable où l'on se promène joyeusement. Non, c'était une chaleur écrasante, lourde, qui s'insinuait dans vos vêtements jusqu'à que votre peau se colle aux tissus. Une chaleur qui vous coupait l'appétit, vous obligeait à vous hydrater régulièrement pour ne pas choper de migraine, rendait impossible toute tentative de sport ou d'activité.

Tessa Grins en était à sa troisième bouteille d'eau de la journée. Installée à son bureau, une longue robe recouvrant ses courbes et des traits durs et concentrés, la femme d'une trentaine d'années achevait le compte-rendu de réunion à laquelle elle avait assisté quelques heures plus tôt. Plongée dans la pénombre, elle avait fermé sa fenêtre, espérant garder une fraîcheur feinte. Elle savait très bien que son ordinateur avait déjà réchauffé sa chambre, mais elle préférait laisser le bénéfice du doute. Résultat, seul son écran d'ordinateur éclairait son teint mat et ses cheveux noirs.

Alors qu'elle ouvrait l'application Gmail pour le partager avec son patron, elle entendit la porte s'ouvrir. Sans même se tourner vers la source du bruit, elle lança :

- Vous êtes pile à l'heure.

Alors que la silhouette allait dégainer son pistolet pour le pointer sur la tempe de Tessa, sa phrase le fit hésiter.

- Je vous demande pardon ? Comment avez-vous su... ?

Elle commença à rédiger le contenu de son e-mail sans répondre. Elle n'en avait pas besoin ; elle savait qu'il était en train de comprendre.

- C'est vous, Gunome.

Gunome, son pseudo sur le Dark web. Elle avait cherché un tueur à gages qui accepterait de tuer Tessa Grins, 32 ans, secrétaire dans une petite entreprise. La description de celui-ci lui avait plu, elle l'avait donc choisi.

- En effet.

- Pourquoi ?

Tessa effaça un mot, réfléchit quelques secondes, puis le réécrit. L'inconnu s'impatienta.

- Oh, je te parle !

- Une seconde. Je veux juste terminer ce mail, après je serai à vous.

- À moi ? Tu te prends pour qui ? Tu m'engages pour te tuer et après tu te permets de me demander d'attendre que madame termine son boulot à la con ? Va te faire foutre ! Je me casse.

Tessa mit enfin le fichier PDF en pièce jointe et envoya le mail. Quand elle arriva dans le salon, le tueur à gages avait ouvert la porte de l'appartement. De dos, elle put constater qu'il était blond.

- Si vous restez, je vous offre cent euros supplémentaires.

Il lâcha un ricanement mais se retourna tout de même. Il devait avoir la quarantaine.

- Tu m'as déjà payé.

- Je sais. J'ai les cent euros en liquide sur moi.

Le tueur sembla hésiter. Visiblement, la perspective de recevoir davantage d'argent le décida.

- Pourquoi tu veux que je te tue ? marmonna l'homme pendant que Tessa fouillait dans son sac à main.

- Je vous l'ai déjà dit.

- Faux. Tu m'as expliqué que Tessa Gri... que tu as tué ton fils de quinze ans et que tu voulais te venger.

- Oui, et ça semblait vous convaincre de me tuer. Alors pourquoi vous hésitez maintenant ?

- Je ne suis pas là pour aider quelqu'un à se suicider.

- Quelle différence il peut bien y avoir ?

- Pourquoi tu veux mourir ?

Les deux adultes se jugèrent du regard. Lentement, la femme lui tendit plusieurs billets de 20 que l'homme empocha.

- Un café ?

- Tu te fous de ma gueule ?

- Je veux juste apprendre à vous connaître avant. Je vous ai payé pour ce job.

- Qu'est-ce que tu comprends pas dans "je ne suis pas là pour aider quelqu'un à se suicider" ?

- Vous savez comme moi qu'il me suffira d'engager un autre tueur à gages. Que ça soit vous ou un autre, ça n'a pas vraiment d'importance.

L'homme aurait pu s'en aller tout de suite, il avait l'argent. Pourtant, il voulait comprendre.

- Un café noir, sans sucre.

Tessa hocha la tête et partit dans la cuisine. Tout en écoutant les bruits de tasses qui s'entrechoquaient, il laissa son regard parcourir la pièce. Le salon ressemblait à n'importe quel salon des années 2000. Un ou deux meubles en bois sombres et quelques cadres avec des fleurs servaient de décoration.

Quand la femme arriva avec son café, il lâcha :

- Tu n'as aucune photo.

- À quoi bon ? Je vis seule et je sais à quoi je ressemble.

Elle s'assit en face de lui, distraite.

- Tu vas vraiment engager un autre tueur à gages ? Et le fric que tu m'as passé ?

- Une fois morte, il ne me servira pas à grand chose. Et je préfère le savoir à quelqu'un qu'à l'État.

- Je suis un tueur.

- Vous êtes avant tout un être humain. Quel est votre véritable nom ?

- Pourquoi, t'as des micros sur toi et tu collabores avec des flics ?

- Vous pouvez fouiller autant que vous voulez, vous ne trouverez rien. J'ai tué mon fils, je suis sûr que vous avez vu l'affaire tourner.

- Sauf que ce n'est pas dit que vous l'avez tué.

- Exact. Je l'ai déguisé en suicide. Tout comme vous allez le faire pour moi.

Il secoua la tête, renifla le breuvage avec méfiance avant d'y tremper les lèvres. Ce ne fut que là que Tessa aperçut ses gants.

- Quand je suis tombée enceinte, je n'ai pas su qui était le père. J'étais la plupart du temps torchée et je couchais à droite et à gauche. Pour autant, je refusais d'avorter. Billy est né en juillet, et ce n'était pas le petit garçon auquel je pensais.

Il l'écouta, tout en songeant à son envie de rentrer chez lui.

- Billy était atteint du trouble de personnalité antisociale. Autrement dit, c'était un psychopathe. Dés tout petit, il se montrait violent envers les autres, n'écoutait rien de ce qu'on lui disait, insultait et menaçait même de mort ceux qu'il croisait. À quinze ans, alors que j'étais entré dans sa chambre pour ranger ses vêtements, j'ai découvert tout un tas d'armes qu'il cachait, et j'ai compris que ses menaces de mort étaient réelles. J'aurais pu appeler la police, mais Billy n'aurait pris que quelques années avant de ressortir, et je savais que je serai sa première victime. Je n'ai pas eu le choix. Je n'ai jamais prétendu que c'était simple ou que je ne l'aimais pas, parce que ce n'était pas le cas. Malgré tout ce qu'il a dit ou fait, il restait mon fils. La police ne voulait pas s'étendre ni même ouvrir une enquête. Après un ou deux témoignages où il était décrit comme étant violent, ils en ont conclu qu'il était fragile psychologiquement. Surtout que Billy n'a jamais vu de psy, donc ils ne pouvaient avoir confirmation.

- Et donc tu t'en veux et tu me demandes de mettre fin à ta souffrance.

- Non. Ça n'a rien à voir. Disons simplement que je ne trouve rien de satisfaisant dans ma vie, pas de sens, d'envie, de motivation, mais ça n'a rien à voir avec Billy. J'ai accepté cette culpabilité depuis longtemps, je l'ai fait et c'est tout. J'ai 32 ans, je suis seule, je hais mon job et je n'ai pas envie de poursuivre cette comédie. Allez-vous m'aider, oui ou non ?

Le tueur à gages but une nouvelle gorgée sans se presser.

- Je m'appelle Matt Riordan. En dehors de tout ça, je suis éboueur. J'ai un gamin de huit ans et une femme merveilleuse.

- Ils ne sont pas au courant... ?

- Bien sûr que non ! Mais ma femme s'en doute. Je n'ai pas vraiment le choix, sinon on croulerait sous les dettes.

- Et ça ne vous fait rien... de tuer ?

- Je m'éloigne de mes émotions. La personne en face n'est pas humaine. Je choisis qui je décide de tuer, si la personne mérite de mourir. Pour autant, je ne suis pas un justicier, ni un juge. Mais au moins, je peux me coucher le soir en me convainquant que la personne que j'ai tuée ne fera plus de mal à d'autres.

- Et maintenant que vous connaissez la vérité à mon sujet, ça ne vous dérange pas ?

Matt se passa la langue sur sa lèvre. Un tic quand quelque chose le contrariait.

- À force de faire ce métier, j'ai appris que personne n'est totalement innocent ou totalement coupable.

- Je ne comprends pas ce revirement de situation. Pourquoi, tout à coup, vous me dites votre nom ?

Matt Riordan sourit, pour la première fois depuis qu'il a pénétré dans l'appartement.

- Parce que je vais vous tuer, comme prévu initialement.

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