Nous avons rencontré Elvira LeGuennec! Vous ne croirez jamais ce qu'elle nous a confié!

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Elvira se tenait immobile près de la fenêtre embuée. Il avait neigé durant la nuit, la forêt de ce petit hameau dans le Loiret était sombre, glaciale, tranquille - l'hiver avait déposé son linceul de silence sur la nature envirronante, autrement si vibrante de vie. Elvira sirota son thé fumant tandis que le journaliste installait son matériel, un simple smartphone et un Nikon.
Elle songea qu'il y avait encore quelques années il se serait agit de dictaphones, de calepins, de doigts tâchés d'encre. Elle était nostalgique de cette époque, néanmoins, elle salua la praticité de n'avoir pour toute préoccupation que d'ouvrir l'application "enregistrer".

"Bien, tout est en place," dit l'homme plutôt fluet, vêtu d'un jean et d'un pull beige dont les manches étaient relevées sur ses avant bras, qu'il avait hâlés. De son teint bronzé se détacheait deux yeux d'un noir profonds, mis en valeur par une paire de lunettes aux montures fines. "D'abord, merci de me recevoir. C'est un honneur de pouvoir vous interviewer. Je vais vous poser tout une série de questions, dites moi simplement quand vous êtes prête."
Elvira soutin son regard, acquiessant faiblement. Elle s'avança vers le fauteuil qui faisait face au canapé sur lequel siégeait le journaliste, posa le thé sur la table basse couverte d'un vieux napperon fâné qui avait appartenu à la précédente habitante de cette maison, dont elle n'avait jamais pu se débarrasser.
"Je suis prête." Dit-elle simplement. Alors le journaliste appuya sur le bouton "record".

"Quel est votre nom?"
Elvira sembla surprise tant la question paraissait stupide, puisqu'il en connaissait la réponse.
"Je suis désolé," dit-il au bout d'un moment qui parut assez long, "je dois vous poser des questions un peu.. simples.... Notre ligne éditoriale l'exige, j'en suis navré."
"Je m'appelle Elvira LeGuennec," coupa-t-elle froidement. L'interview l'ennuyait déjà. Plus vite je répondrais à ces stupidités, plus vite en aurons-nous fini, se dit-elle.

"LeGuennec, c'est breton non?"
"En effet."
"Tu es née en bretagne?"
"Oui." J'y suis même née deux fois, s'empêcha-t-elle d'ajouter. Néanmoins le journaliste connaissait son histoire, aussi il demanda:
"C'est là que tu es devenue vampire, n'est-ce pas?
"Que j'ai cru devenir vampire. Je suis un dhampire, mon père était humain, comme le père de ma mère, et ainsi de suite jusqu'à Lilith, la vampire originelle, qui elle n'avait ni père ni mère."
"Pourtant à cette époque tu es morte?"
"De toute mon âme, oui, je suis morte cette nuit-là. Mais ça n'est pas la mort que tu te figures. Je suis morte bien plus d'une fois, tu sais... La première fois mon âme est morte, la seconde ce fut mon corps, et mon coeur. Mais les dhampires ne suivent pas les mêmes règles que les vampires, nous n'avons pas besoin de mourir pour être dhampires, nous naissons comme tels."

Le silence tomba sur ces mots, le journaliste en était profondément troublé. Cette femme avait dû vivre tellement d'horreurs, il s'en ressentait désolé, bien qu'il n'y fut pour rien. Il enchaina sur une autre question avant que le silence ne se fit trop lourd.

"Utilises-tu un pseudo? Tu peux nous en parler un peu?"
"Nathanaël m'appelle parfois Elv. Il prétend que ça sonne comme "elves" qui signifie elfs (au pluriel) en anglais. A ma connaissance c'est le seul surnom que l'on me donne. Je crois que Julia m'a appellé "ispige", une fois. Ca veut dire "fille de glace" en danois, je crois qu'en fait c'est comme cela qu'on désigne les vendeuses de glaces au Danemark."
"Quel est ta taille?"
"Dans le mètre soixante-dix, je crois. Je ne me suis pas mesurée depuis longtemps."
"Quel est ton poids?"
"Je n'en sais rien. A vue de nez je dirai 68, je ne suis pas bien épaisse. Certains hommes confondent ma corpulence fluette avec de la faiblesse. Ils sont toujours surpris quand ils me voient porter des choses imposantes à bout de bras. Je dois bien admettre que cela me fait rire parfois, ils sont toujours si prompts à sous-estimer les autres, en particulier les femmes. Ils sous-estiment leur force constament - et je ne parle pas seulement de force physique."
"De quelle origine ethnique es-tu?"
"Cela a-t-il une quelconque importance?" soupira-t-elle. Puis se souvenant de sa résolution d'en finir au plus vite, elle ne laissa pas le temps au journaliste de répondre. "Mes origines directes me situent Mésopotamie - qu'aujourd'hui l'on situe en Irak -, bien que la couleur de ma peau n'en témoigne guère... en tant que non-vivants la mélanine n'a plus d'utilité. D'autant que mon père était breton - je ne sais pas jusqu'où remontent ses origines à lui, mais je suppose qu'il y a du sang celte qui coule dans mes veines."
"Quel est ton âge?"
"Je suis née en 1347. J'ai 670 ans."
"Vous ne les faites pas."


La remarque fit sourire Elvira. Visiblement le journaliste n'était pas à son aise, malgré le fait qu'il sut pertinamment qu'il ne courait aucun danger en sa présence - Elvira avait depuis très longtemps fait le voeu de pacifisme - une terreur primale alarmait ses sens et le préparait à la fuite. Là était le bon sens du corps humain, proie parmi les proies, quoi qu'il se fut persuadé d'être prédateur. Une demi seconde suffirait à l'être millénaire pour le déchirer en pièces, le journaliste ne l'oubliait pas.
Derrière cette feinte apparence de contrôle et de détachement, il était térrifié. Et Elvira savait que quelque effort qu'elle fit, jamais elle ne saurait inspirer confiance aux humains. Même Julia - la galéanthrope - la craignait, et cela lui brisait le coeur chaque jour. Seul Nathanaël ne ressentai nulle peur envers elle - mais il était lui-même dénué de toute crainte pour quoi que ce fut, puisqu'il était vampire, et arrogant au-delà du possible.

"J'utilise une très bonne crème de jour," plaisanta-t-elle en une vaine tentative pour détendre l'atmosphère. L'homme rit plus par politesse que par amusement.
"Décris-moi tes cheveux."

"Ils sont longs, bruns, bouclés en anglaises aux extrêmité. Je crois que ce dernier point est une plaisanterie de la génétique pour me rappeller que ma mère était anglaise. Enfin, elle y a vécu tout du moins. Nathanaël était anglais également, mais originaire du sud de l'Ecosse par sa mère."
"De quelle couleur sont tes yeux? Portes-tu des lunettes ou des lentilles?"
"Je me souviens qu'ils étaient verts jadis. Tout comme ma peau était plus sombre. Lorsque la mélanine s'est enfuie de mon corps ils sont devenus bleu très clair, presque gris. Ils ont encore parfois des reflets vert clair, parfois cela leur donne une teinte légèrement turquoise. Je n'ai manifestement pas de problèmes de vue, toutefois je porte des lunettes de soleil quand je n'ai d'autre choix que de sortir quand il fait jour, j'ai les yeux très sensibles, la mélanine ne les protège plus."
"Es-tu en bonne santé? Possèdes-tu des particularités physiques, des tatouages ou cicatrices par exemple?"
"Je pète la forme. Un des avantages d'être une non-vivante, on n'est plus sujets aux petits désagréments d'un corps en vie. Et oui, j'ai quelques cicatrices. Et un tatouage sur le flanc droit."
"De quoi s'agit-il?"
"Un lys blanc."
"Il a une signification particulière?"
"Oui."
Elle n'en ajouta pas plus, pressant par son silence le journaliste à enchainer sur une autre question. L'interrogatoire se faisait long et elle préssentait qu'il lui restait beaucoup de questions à poser.
"Portes-tu des bijoux, des accessoires?"
"Ca dépend. Parfois oui, mais la plupart du temps je ne m'encombre pas du superflu."
"De quelle façon es-tu généralement habillée?"
"Tout dépends de l'époque... Si vous m'aviez posé cette question à l'époque où j'ai rencontré Nathanaël je vous aurait répondu que j'affectionait les robes taille empire que la mode antique propre à la période napoléonnienne avait popularisé. Aujourd'hui je me satisfait d'un jean et d'un tee-shirt simples."
"Vous appréciez la mode?"
"Non. Mais c'est une nécessité pour qui veut faire profil bas. J'apprécie ces deux derniers siècles par ce qu'ils permettent l'excentricité - ou du moins la variété, la différence -, mais jusqu'aux années soixante il fallait se fondre dans le décors - si vous étiez trop détonnant, les gens se mettaient à poser des questions, a fouiner, ils vous perçaient à jour. C'était à éviter."
"Quelle expression est le plus souvent affichée sur ton visage?"
"J'ai ouï dire que je n'était pas très expressive. D'aucun diront que j'ai une expression froide et sévère. Je pense que vous ne nierez pas cet état de fait."
Ne voulant pas se montrer indélicat, le journaliste ne répondit pas, se contentant de sourire et de plonger le nez dans sa fiche.
"As-tu des habitudes gestuelles, des tics?"
"Pas que je sache."
"Utilises-tu régulièrement une expression ou une citation particulière ?"
"Non. Mais je jure beaucoup. La liberté c'est un peu de pouvoir dire putain de merde quand on a passé plus de six cent ans à se contraindre à un langage extrêment polissé."
Le journaliste acquiesca.


"Bien, voilà pour la série description..." marmonna-t-il en cochant sa feuille. "Qui sont ou étaient tes parents ? Parles-nous un peu d'eux."
"Mon père était Lénaïc LeGuennec - marchand, né à Fougères en Bretagne. Ma mère était Elizabeth Lacan - née à Neymouth, dans le Dorset en Angleterre. Ma mère est officiellement morte quand j'avais cinq ans - mais elle avait en fait été emprisonnée dans une réalité alternative par le Gardien des Mondes, Zhoran. Elle fut délivrée par Nathanaël lorqu'il se rendit a Álfheim (un monde parallèle) alors qu'il était à ma recherche. Mon père est mort en 1375. De chagrin. Son corps était si faible... C'était sept ans après ma première mort. Il ne s'en est jamais pardonné - il n'a jamais su pourquoi j'avais changé, mais il m'avait perdu. Naturellement il passa le reste de sa vie à croire que c'était de sa faute... Cela, moi non plus je ne me le pardonnerais jamais. Mais je ne pouvais pas lui dire la vérité. Je l'aimait tendrement... Je pensais que lui avouer serait le plonger dans la tombe. J'ignorais que je l'avais déjà fait. Pardonnez-moi, je divague, continuez s'il vous plait."

Le journaliste se râcla la gorge, et ravala les questions que soulevaient en lui les paroles d'Elvira. Il aurait aimé qu'elle continue son récit, mais il sentait qu'en réclamer d'avantage eut été déplacé.

"As-tu des frères et sœurs ? Si oui, que peux-tu nous dire à leur sujet ?"
"Je suis fille unique, par le sang. J'ai construit un autre genre de famille au cours de ma vie, il m'aura fallu le temps d'une existence entière pour le comprendre et accepter l'amour des miens. Ils m'ont été d'un grand soutien, c'est tout ce dont je suis disposée à dire aujourd'hui, je ne pense pas qu'ils souhaitent que je m'étende à leur sujet."
"Comment décrirais-tu ton enfance ?"
"Elle fut heureuse. A la mort de ma mère quelque chose s'est brisé en moi, mais mon père a toujours su alléger mes peines et me garantir une vie faite de bonheurs, jusqu'à la nuit de ma première mort."
"Quel est l’événement qui t'a le plus marqué jusqu'ici dans ta vie ?"
"Il y eut ma première mort. Il y a eu Nathanaël. Puis Julia. Puis ma seconde mort. Et mon éveil."
"T'es-t-il possible de me raconter un peu tout ça?"
"Pas si vous souhaitez pouvoir rentrer chez vous pour diner..."
"Est-ce que l'idée d'écrire tes mémoires t'as déjà traversé l'esprit? Il me semble que tu as beaucoup de choses à raconter..."
"Mais qui cela intéressait-il? Peut-être un jour, si je m'ennuie..."

"Où vis-tu actuellement ?"
Elvira fit un geste pour désigner les alentours.
"Ici. Pour l'enregistrement: nous sommes présentement dans une maison jouxtant une forêt, non loin d'un village du Loiret."
"Que fais-tu dans la vie ?"
"Dieu que je hais cette question... Vous sous-entendez certainement par là ce que je fais comme métier? Je n'en ai pas. Je n'en ai pas besoin. Je participe à la société d'autres façons. Il fut un temps j'étais musicienne pour le roi, une autre fois j'ai été docker, j'ai été croupière, puis quelques autres emplois ne nécessitant pas de s'exposer à la lumière du jour. J'ai été physicienne également. Avoir une mémoire surnaturelle devait bien trouver quelque utilité, n'est-ce pas? Comme vous le savez aujourd'hui j'écris des romans - c'est pourquoi vous êtes là à m'honnorer d'une interview.
"Exact... Je ne voulais pas t'offenser..."
"Vous ne m'offensez pas, c'est cette question que la convention force à poser de cette façon."

"Appartiens-tu à un groupe ou à une organisation particulière (guilde, société secrète, équipe, armée, secte, etc) ? Y as-tu un rang particulier ?"

"Non. Je suis dhampire, mais ce n'est pas une organisation au sens où vous l'entendez, ce n'est pas non plus une race, ni une espèce, c'est différent. Je suis dhampire, ce qui me confère des pouvoirs que les vampires, les humains, et les autres créatures n'ont pas. Je suis au-delà du temps, de l'espace, je navigue entre les mondes. S'il était question de rangs, je ne serai non loin du sommet de la pyramide. Même Zhoran - que vous auriez tôt fait de considérer comme un dieu créateur - n'est qu'un rouage d'une machine dont vous ne sauriez comprendre toute la finesse. Le rôle de Zhoran est de garantir la cohésion des mondes, moi je suis là pour garantir sa cohésion, je maintient l'ordre des choses. Les dhampires ont créé des passages vers d'autres mondes - une fois ces passages ouverts il nous a fallu concevoir Zhoran. Dites vous qu'il est comme le pare-feu d'un ordinateur, bien que l'analogie ait ses limites. Mais nous-même - moi-même - je ne suis qu'un élément de la machine. Qui - ou quoi - nous a créé, nous - ou vous -, je ne le sais guère. Il m'arrive souvent de douter qu'il y ait un sommet à cette pyramide si ce n'est l'enthropie."

"Quel est ton but dans la vie, tes objectifs à plus ou moins court terme ?"

"Je ne puis parler de ma mission. Mais elle concerne en partie tout ce que je viens de vous exposer. Et d'autres choses qui me sont plus personnelles."

" Possèdes-tu des capacités ou des compétences particulières ? Quelle est ta spécialité ?"

"Je vous l'ai dit: j'ai du pouvoir sur le temps, sur la structure de l'univers, mais en outre je possède le pouvoir de télépathie, ma mémoire est sans limites. J'ai en outre les même pouvoirs qu'un vampire: je peux absorber de l'énergie vitale par le sang ou par absorbtion psychique, et j'ai une force supérieure à ce qu'un humain peut connaitre. Pour finir, je suis immortelle - plus que ne peut l'être un vampire. C'est un lieu commun que de croire que les vampires le sont - mais plantez leur un pieu dans le coeur, arrachez-leur la tête, privez-les de sang, et ils s'éteignent. Moi je peux revenir d'Hellheim."

"Hellheim, c'est l'enfer, c'est ça? Est-ce que Lucifer, ou Hadès, existent? Eux, ne peuvent-ils en revenir?"

"Pas exactement. Dans les faits c'est là où sont envoyées les âmes des morts, les notions d'enfer et de paradis se rejoignent dans ce monde. Oui, ces personnages existent bel et bien, mais ils ne sont pas l'image que vous vous en faites - les humains ont une nette tandence au manichéisme. Ilsne sont pas des âmes défuntes à Hellheim, ils sont bien vivants, en ce sens il n'ont pas à "en revenir". Et s'ils meurent - chose extrêment rare, il me semble qu'une fois ou deux nous avons perdu un gardien - alors leur âme est enchainée à Hellheim, ils sont déchus de tout pouvoir, et ils sont remplacés. Nous pouvons aussi décider de les ramener. J'ai ce pouvoir, mais il demande d'immenses sacrifices."

"As-tu des problèmes ou des difficultés dans certains domaines de compétences ?"

"J'éprouve certaines difficultés - ce depuis toujours - dans les questions d'ordre sociales... Je suis quelqu'un de solitaire - néanmoins il m'a bien fallu apprendre au cours des six derniers siècles. J'ai appris à faire semblant, et je suis plutôt douée pour ça, je pense. Je suis nulle en ce qui concerne les relations avec les autres. J'ai rarement laissé les autres s'approcher de moi."

"Qui est la personne la plus importante dans ta vie et pourquoi ?"

"Il y a eu plusieurs personnes d'importance, mais les deux noms qui reviennent sans cesse sur les lèvres sont Nathanaël et Julia. Parce qu'ils m'ont aimé, et parce que je les ai aimés."

"Spoilers..." répondit-elle avec un clin d'oeil.

Le journaliste rit de la référence au personnage de River Song dans Doctor Who.

"Ne peux-tu même pas nous en dévoiler un tout petit peu?"
"Non. Vous devrez attendre la publication de mes mémoires pour ça."
"Ah... Je vais me satisfaire du fait qu'il y aura des mémoires."
"Vous pouvez."

" Es-tu du genre à juger rapidement les autres ?"
"J'ai longtemps cru pouvoir répondre oui à cette question. J'avais tort."
"As-tu des rivaux ou des ennemis ? Si oui, de quelle nature ?"
"J'en ai eu, oui. Une aussi longue vie ne se fait pas sans quelques déboires."
"As-tu des amis ? Qui sont-ils ?"
"J'ai le plaisir aujourd'hui de pouvoir dire que oui - mais il m'a fallu du temps pour le savoir. Nathanaël, Julia, Ludwig, Geillis, Gefjon, comptent parmi ceux que je compte comme des amis sincères."
"Es-tu plutôt du genre à argumenter ou essayes-tu plutôt d'éviter les conflits ?"
"Si le conflit peut être évité, je les évite. Dans le cas inverse... eh bien je ne dirai pas que j'argumente nécessairement, certains cas demandent une approche un peu plus, disons, frontale."
"Aimes-tu passer du temps seule ?"
"Asolument. En avons-nous bientôt fini?"
"Presque..." Cela voulait dire non. Elvira lâcha un soupir empreint d'impatience. "Es-tu plutôt optimiste, réaliste ou pessimiste ?"
"Réaliste, je dirai."
"Aimes-tu prendre des risques ou préfères-tu jouer la sécurité ?"
"Je ne craint pas de prendre des risques lorsque c'est nécessaire. Mais quel genre de risques puis-je courir? Je ne souffrirai pas, mais si mes actions font prendre des risques à d'autres que moi, j'y réfléchirait évidemment à deux fois."
"Aimes-tu faire des blagues ou préfères-tu rester sérieuse ?"
"Les deux. Tout dépend du contexte."
"As-tu des peurs ou des phobies ? Quelle est ta plus grande peur ?"
"Ma seule peur est de perdre ceux que j'aime."
"Suis-tu un code de conduite qui guide ou régit ta vie et tes actes ?"
"Je me refuse à infliger quelque violence que ce soit si c'est évitable - en conséquence je ne bois pas de sang. Longtemps j'ai bu du sang animal faute de mieux, mais je ne savais alors pas quelle était ma vraie nature. En tant que dhampire je peux aisément me contenter de me nourrir d'énergie psychique - elle est inépuisable, a fortiori a Hellheim, où les âmes ne peuvent disparaitre, et par conséquent n'inflige aucune souffrance (au pire vous en ressentiriez une légère fatigue), si tant est qu'on sache ne pas s'en goinfrer tout d'un coup. Chaque être fabrique de l'énergie constament - ils en perdent souvent sans que dhampires ou vampires ne soient impliqués -, mais si vous buvez toute l'énergie disponible en une seule fois, le corps n'arrive pas à suivre, il meurt. Le tout est de se nourir en quantité raisonnable, ainsi le stock est indéfiniment renouvelé. En Hellheim, c'est un peu différent, comme je le disait les âmes ne disparaissent pas - appellons ça du recyclage ultime. Mais je m'éloigne un peu du sujet... Pour en revenir au code de conduite, outre le pacifisme, je m'exorte à respecter au mieux chaque être de façon égale, cela me semble évident. Je ne suis pas plus importante que vous, et vous n'êtes pas plus important qu'un autre. Mais si vous me défiez, moi ou mes amis, tenez-vous pour prévenu: le code du pacifisme pourait ne plus avoir court."
"Je tâcherai de m'en rapeller..." Sourire gêné.
"Es-tu du genre à faire des promesses ? Si oui, les tiens-tu ?"
"J'essaie de ne pas faire de promesses que je ne suis pas sure de pouvoir tenir, mais ma parole est d'or, je n'oublie jamais une promesse."
"As-tu de lourds secrets ? Est-ce que quelqu'un les connaît et si c'est le cas, comment les a-t-il découverts ?"
"J'en ai eu, fondamentalement parce que tout le monde ne pouvait pas savoir ce que j'étais. Le mensonge était inévitable. Aujourd'hui que les êtres non-humains sont connus, reconnus et acceptés, il m'est à présent inutile de mentir à ce propos. Néanmoins j'ai eu d'autres secrets, révélés non sans douleur - mon amour en était un."
"As-tu des vices quelconques ?"
"J'écoute les pensées des gens pour me divertir, parfois. J'ai aussi pour vice le whisky et le café."
"Si tu devais décrire ta personnalité en trois mots..."
"Hum... Sauvage, forte, sensible. Je crois."
"Es-tu croyante ? Si oui, de quelle religion, croyance ou dieux ?"
"Non. Pas si la question concerne un grand créateur (ou plusieurs). Je suis agnostique. Quant à ceux que vous appellez dieux... Ils existent, mais ils ne sont pas des dieux comme vous l'entendez. Pour tout le reste... Il ne s'agit pas de croyance quand les faits sont vérifiables. Ainsi je ne peux pas prétendre croire aux fées si elles existent bel et bien."
"Es-tu superstitieuse ?"
"Non."
"Quelle valeur accordes-tu à l'argent ?"
"Aucune. Ca a été d'une certaine utilité, mais quand on peut survivre à la misère, qu'on ne craint ni la faim ni la mort, on n'a pas besoin d'accorder de valeur à l'argent."
"Que penses-tu de la politique ?"
"Je pense qu'elle est fugace, en mouvement constant, mais nécessaire. On pourrait se dire que je suis au-dessus de ça, mais c'est la politique aujourd'hui qui façonne le monde de demain - quand on peut vivre jusqu'à ce lendemain ça nous impacte forcément. Sans la politique d'il y a cent ans, le monde aujourd'hui ne serait pas tel qu'il est aujourd'hui. J'ai vécu assez longtemps pour comprendre que la politique fait partie des choses qui mettent le monde en mouvement."
" Soutiens-tu une cause particulière ?"
"Je peux me permettre d'en soutenir plus d'une. Toutes celles qui luttent pour l'égalité - entre humains, entre non-humains et humains... Cela aussi fait partie, comme la politique, de ce qui façonne le monde de demain - dans lequel je vais vivre. J'ai beaucoup à faire en ma qualité de dhampire, mais j'ai le devoir moral d'apporter mon aide à chaque habitant de chaque monde. C'est aussi mon rôle - les mondes ne peuvent pas fonctionner s'ils pourrissent de l'intérieur."
"Que penses-tu du fait de voler ?"
"Ca a été souvent un mal nécessaire. Je ne condamne pas le vol commis dans le désespoir et la nécéssité. Je condamne le vol qui vise à nuire."
"Que penses-tu du fait de tuer ?"
"Cela aussi est hélas parfois inévitable. J'ai tué pour survivre. Mais je n'en tire aucune gloire."
"Considères-tu que certains groupes ou genres de personnes sont inférieurs ou supérieurs à toi ?"
"Il y a forcément des personnes qui me sont inférieures dans certains domaines, mais jamais fondamentalement. Personne ne m'est inférieur ni supérieur en termes de valeur."

Le journaliste avait très visiblement du mal à se sentir l'égal de l'être phénoménal qui se tenait en face de lui. Elvira en fut peinée, mais elle savait qu'elle n'aurait pu oter cette idée de sa tête. Les être humains avaient un don pour se dévaloriser par rapport aux autres créatures - parce qu'ils n'avaient ni force herculéenne, ni pouvoirs surhumains, ni fantastique, ils n'étaient qu'humains. Il n'était pas rare qu'une telle chose existât chez d'autres créatures - les gnomes étaient envieux des fées, les banshees étaient envieuses des elfes, et les lindorms étaient envieux des dragons. Les vampires étaient envieux des humains. Et pourtant, Elvira le voyait clairement, ils étaient uniques, beaux, et tous importants et magnifiques à leur façon.


"Il ne nous reste plus que quelques questions sur vos hobbies, maintenant."
Le soulagement sur le visage d'Elvira n'aurait pu être plus criant.
" As-tu des hobbies ? Quel est ton passe-temps favori ?"
"J'aime la musique, et écrire. C'est là deux choses que je pratique, même si je ne l'ai pas fait pendant une très longue période."
"Quelle est ta nourriture / boisson préférée ?"
"J'aime beaucoup la pizza. J'aime le whisky et le café, comme je disais plus tôt. Le thé aussi."
"Quel genre de musique aimes-tu ?"
"Tout ce qui n'est ni dissonant ni dénué d'émotion."
"Quel est ton genre de divertissement de masse préféré ? (cinéma, sport, jeux vidéos, concert, etc.)"
"J'aime le cinéma. Vous avez vu Entretient avec un Vampire?"
"Oui, il y a longtemps..."
"Vous vous souvenez de ce moment où Louis raconte qu'il a pu grace au cinéma voir un coucher de soleil pour la première fois depuis sa métamorphose?"
"Plus ou moins, ça remonte à loin."
"Eh bien il a raison. J'ai passé presque six cent ans dans l'obscurité. Voir une peinture d'un soleil, c'est un maigre réconfort, la photographie également, même si elle était plus proche de la réalité. Mais le film... c'est tout autre chose. C'est comme voir le soleil se lever, à travers une fenêtre, c'est formidable. Mais ce n'est bien sûr pas la seule raison pour laquelle j'aime le cinema, je pense que je n'ai pas besoin de m'expliquer."
"Comment gères-tu le stress ? Y a-t-il quelque chose qui t'aide à te relaxer ?"
"La solitude, et taper dans un sac. Ecrire, écouter de la musique, me rapeller que la vie peut être sereine. Je n'ai plus vraiment été stressée depuis longtemps..."

Le journaliste resta un moment dans le silence avant d'appuyer sur le bouton "record" de son application et rangea smartphone et la feuille qu'il tenait dans une poche de sa veste, mettant ainsi un point final à l'inteview. Il avait l'impression de connaitre Elvira un peu mieux, mais elle restait un mystère entier, malgré tout. Elle était au-delà de sa compréhension. Ces histoires de mondes, de créatures, c'était trop récent dans l'histoire de l'humanité pour qu'il put en comprendre tout les tenants, et ils sentait bien que, n'étant pas de la même espèce, il ne pourrait jamais vraiment la comprendre.

Elvira balaya sa pensée d'un geste de la main, reprit son thé qui avait refroidit. "Vous m'avez convaincue," lança-t-elle, "je vais écrire mes mémoires. Ainsi vous verrez que vous et moi ne sommes pas si différents, je ne suis pas hors de votre compréhension."

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