Recueil épistolaire : Lettre 4
Rutherglen
Ecosse
le 08 décembre 1298,
Duncan,
J’ai bien reçu ton présent, sache que je le conserverai précieusement avec moi. Je suis ravi d’apprendre que ton frère fait des progrès dans le maniement des armes. Bientôt l’élève dépassera le maître, tu devrais te méfier ! Ici, le temps est pluvieux. Je ne pense pas avoir connu un seul jour de soleil depuis mon arrivée. A croire que le ciel de cette région est constitué en permanence d’un bandeau gris.
Peu importe, mon humeur est à l’épreuve du temps. Les récits, que tu m’as contés, ont revigoré l’homme mutilé que j’étais. Les exploits de William Wallace[1] ont déferlé dans tout le pays, tel un raz-de-marée. Les hommes se sont soulevés contre l’occupation anglaise, repoussant l’ennemi confortablement installé. La bataille du pont de Stirling, à laquelle tu as participé l’année précédente, m’ont fait comprendre à quel point l’union des clans pouvait faire la force ; même si la défaite a été cuisante. Je t’entends déjà : « Pourquoi te réjouis-tu, alors que notre sauveur est mort ? ». Figure-toi que son exécution m’a permis de prendre conscience que mon tour était venu. Oui, le temps est venu que je reprenne ma place, celle qui a toujours été la mienne. Le trône d’Ecosse est mon dû, mon devoir, et mon fardeau.
En attendant sa reconquête, j’ai été nommé Gardien de l’Ecosse durant d’une cérémonie qui s’est déroulée il y a quelques jours. Je ne vais pas éluder l’ambiance pesante qui règne en ces lieux. Chaque jour semble rallongé par le ressentiment de tout un chacun. Comme tu le sais, le seigneur de Badenoch, John III Comyn, a également été élevé à cette fonction. Dire que je ne m’entends pas avec cet homme serait un euphémisme. La présence des religieux n’apaise en rien les tensions incrustées dans nos chairs. Chaque soir, je prie le seigneur afin qu’il le rappelle à lui. Ce chevalier arriviste est aussi lâche que sa réputation le souligne. Toi aussi tu dois avoir une dent contre lui. C’est par sa faute que votre cavalerie a déserté lors de la Bataille de Stirling. Pour ma part, nos familles ne s’entendent plus depuis que la sienne a soutenu Balliol comme prétendant au trône. On ne peut pas dire que leurs choix ont été une réussite ! L’Alba se portera bien mieux sans ces bons à rien. Crois-tu qu’il serait capable de m’entraîner dans sa chute ?
Mes fonctions m’obligent à abréger mes propos. Je te souhaite bien du courage ; mène à bien tes stratégies sans trop user de la politique de la terre brûlée néanmoins. Faire fuir les Anglais, c’est bien ; en conservant une terre arable c’est mieux.
J’espère que ce proverbe atténuera la perte de Wallace, puisse son âme nous guider à travers les nuages. Le plus vieil homme qui ait vécu, a fini par mourir[2].
Sincèrement,
R. B.
[1] Principale figure de la résistance écossaise contre l’Angleterre durant les guerres d’indépendance de l’Ecosse.
[2] Proverbe écossais.
Annotations