Dazed & Confused - Ruel

Antoine ouvrit le robinet et se mit de l’eau sur le visage. L’appartement était en piteux état après la soirée de la veille et il fallait désormais se motiver pour tout ranger. La première chose à faire était de se débarrasser de cette odeur désagréable d’alcool. Il vida les fonds de bouteilles dans son évier et remplit un sac entier de cadavres de bières, rosé, vodka, whisky, rhum…

Il s’empressa ensuite d’avaler un grand verre d’eau afin de calmer son mal de crâne. Le ménage lui permettait de s’occuper l’esprit, en plus de lui procurer cette sensation de satisfaction de voir l’état de l’appartement s’améliorer. Et rien de tel que de s’occuper des corvées en musique, alors il alluma son enceinte et lança Reformation de The Ninth Wave.

Il passa un coup de lingette sur les tables et les commodes, qui collaient à cause de l’alcool. Il monta un peu le son de l’enceinte pour pouvoir se plonger à fond dans la musique, tant pis pour les voisins.

Il cru entendre un grognement derrière lui. Il se retourna et vit la couverture de son lit bouger légèrement : il y avait encore quelqu’un, à cette heure-ci de la journée ?

Agacé, Antoine attrapa la couverture et la souleva d’un seul coup.

– Ah, putain ! s’écria-t-il soudainement.

Un garçon était allongé dans son lit. Entièrement nu.

– Qu’est-ce que tu fous là ? cria Antoine. Et puis t’es qui déjà ?

L’intrus tourna la tête avec peine. Son visage ne lui disait rien. Il était blond avec un dos musclé, ses yeux éblouis étaient à moitié fermés et sa bouche aux lèvres pulpeuses grimaçait.

– Euh moi c’est Tom… C’est Sacha qui m’a ramené ici…

Antoine souffla du nez et laissa apparaître un rictus sur le coin de ses lèvres.

– Ah oui, j’me souviens, on avait parlé un peu au début de la soirée. Ça m’étonne pas : y a que les potes de Sacha pour finir dans des états pareils après une soirée.

– Nan, par contre, c’est vraiment la première fois que ça m’arrive... J’suis désolé, j’comprends que tu sois énervé, je serais pareil à ta place…

Tom se prit le visage dans les mains et se mit à pousser un grognement rauque.

– Ouais, t’inquiète, j’ai un peu l’habitude maintenant. Déjà tu vas commencer par te rhabiller. Tu sais où t’as mis tes vêtements ?

Il y eut un blanc de quelques secondes pendant lequel Tom sembla réfléchir, se remémorrant sans doute les dernières images de la soirée dont il pouvait se souvenir.

– Euh, ouais, j’me souviens. J’étais complètement torché et Sacha avait lancé un Limousin (*) sur moi. Et il m’avait piqué tous mes habits et s’était barré en courant avec.

Antoine fronça les sourcils.

– Mais il les a mis où ? L’appart’ est pas immense, hein.

– Dehors, je crois… J’ai essayé de le rattraper, mais j’allais pas sortir dans la rue complètement à poil. Et quand il est revenu, il avait les mains vides…

Antoine poussa un grand soupir en remuant la tête de gauche à droite, exaspéré.

– Nan mais sérieux, pesta-t-il. Je l’invite plus jamais, c’est pas la première fois qu’il sort une connerie, mais alors là… Je sais même plus quoi dire.

– J’suis vraiment désolé de te faire chier…

Antoine esquissa un léger sourire. Même si la situation l’agaçait profondément, le fait de se retrouver face à un inconnu dans son lit, le cul à l’air et le visage rouge de honte, avec cet air de chien battu, était quand même assez drôle.

– Nan, t’inquiète pas, c’est pas ta faute. Bon, j’vais te passer des vêtements à moi pour la journée. T’habites loin d’ici ?

– À Bagneux, c’est en banlieue.

Antoine ouvrit un tiroir et sortit un vieux t-shirt gris qu’il ne mettait que lorsqu’il n’avait rien d’autre à se mettre, un short de sport, un caleçon et une paire de chaussettes. Il remit la couverture sur Tom, même si la vue ne lui déplaisait pas.

– Ouais je vois, ça doit faire une heure à partir d’ici. Tu veux prendre une douche avant d’y aller ?

Tom devint encore plus rouge qu’il ne l’était déjà.

– Euh… si ça te dérange pas…

À peine eut-il fini sa phrase qu’il se prit une serviette en plein visage.

– Y a pas de gêne avec moi, hein. Je raconterai à personne c’qui s’est passé. J’emporterai tout avec moi dans ma tombe !

– Ah ouais, Sacha m’a raconté que c’était toi le gars qui allait…

Tom n’osa pas finir sa phrase. Antoine haussa les épaules, il avait l’habitude que les gens soient mal à l’aise avec ce sujet.

– …mourir à 21 ans, ouais. Mais t’inquiète pas hein, j’le vis bien. C’est pas un tabou pour moi, j’peux en parler sans souci.

– Euh… bah j’vais aller prendre ma douche, j’vais pas te faire attendre plus longtemps !

Tom se saisit de la serviette qu’Antoine lui avait lancée, l’enroula autour de sa taille sous la couverture, puis se leva d’un coup et fila dans la salle de bain si vite qu’Antoine sentit un courant d’air sur lui.

Il esquissa un petit sourire. Il se demandait comment un mec si timide pouvait avoir fini par danser à poil devant des inconnus seulement quelques heures plus tôt, et comment il pouvait être un pote de Sacha, le mec qui ne faisait que traîner avec des alcooliques, des drogués et des gars en école de commerce.

À peine deux minutes plus tard, Tom ressortit de la salle de bain, la serviette attachée autour de la taille, les cheveux mouillés et quelques gouttes perlant encore sur son torse légèrement musclé.

Antoine resta bouche bée, ne sachant trop quoi dire devant cette vision.

– Euh… j’ai oublié les vêtements sur le lit, murmura Tom juste assez fort pour être entendu.

Antoine éclata de rire et les lui balança à la figure, avant que Tom ne s’enferme à nouveau à double tour dans la salle de bain.

L’image de Tom torse nu ne voulait pas sortir de son esprit, c’était comme si ses yeux avaient pris une photo au moment où il l’avait aperçu. Il s’assit sur le lit, où il restait encore un peu de la chaleur et de l’odeur du corps de Tom. Son cœur battait un peu plus vite que d’habitude…

(*) La danse du limousin est une pratique étudiante en soirée où le public encourage en chantant le danseur à retirer ses vêtements un par un.