Chapitre 16

6 minutes de lecture

Face to face - Ruel

Toujours la même musique, les mêmes gars aux platines, les mêmes projecteurs qui tournent dans tous les sens en envoyant des rayons de toutes les couleurs, et les gens qui font les mêmes danses, bourrés, remuant comme des zombies.

Il faisait plutôt doux pour une nuit de février, alors il y avait un peu moins de monde sur la piste de danse, et un peu plus au dehors en train de discuter.

– Regarde, elle est là, lança Tom en pointant du doigt devant lui, son verre de Sex on the Beach à la main.

Antoine se retourna et aperçut Jade, en train de discuter avec des amis à elle. Il en avait presque oublié ce qu’il avait dit à Tom, et il sentait qu’il allait regretter de lui avoir menti à propos d’elle. Mais il ne trouvait pas le courage de lui avouer.


Pourtant, c’était débile, il ne lui restait que quelques mois à vivre et il était certain que Tom serait la dernière personne à mal réagir à son annonce, il s’était montré jusque là si attentionné et tolérant avec lui. Même pour les problèmes les plus ridicules, il n’avait pas effectué le moindre rictus et était toujours resté sérieux et bienveillant. Mais c’était plus fort que lui, et après ce qui s’était passé avec Hippolyte, il avait trop peur de risquer de perdre à nouveau un ami aussi cher.

Il sentit une main dans son dos, qui le poussa en direction de Jade. C’était Tom, il avait l’air excité comme un gamin dans un magasin de jouets.

– Allez ! Lance-toi ! Elle va bien réagir, c’est sûr. T’es beau gosse et gentil, y a pas de raison que ça se passe mal.

– Mais après, tu sais… J’ai pas vraiment de sentiment pour elle, c’est juste une p’tite attirance, comme ça, rien de fou…

– Arrête ton cinéma, tu cherches juste à t’enfuir, j’te connais bien. Il faut juste te pousser un peu, et après tu prends ton envol et tu verras que c’est pas si difficile. C’est juste le premier pas qui est compliqué, alors laisse-moi le faire pour toi.


Le corps d’Antoine se raidit d’un coup.

– Attends, qu’est-ce que tu sous-entends ? T’as quoi en tête, là, Tom ?

Alors Tom se racla la gorge, puis mit ses mains autour de sa bouche, en mode haut-parleur.

– Excusez-moi ! cria-t-il dans la cour. Votre attention, s’il vous plaît !

Tout le monde arrêta sa petite discussion et se retourna en direction de Tom. Antoine comprit tout de suite ce qui allait lui arriver, il le tira vers le pull, complètement paniqué.

– Putain, arrête ça ! chuchota-t-il. C’est vraiment pas la peine d’en arriver la !

Mais Tom l’ignora complètement.

– J’ai mon pote, Antoine, qui aimerait vous dire quelque chose. En fait, il aimerait parler à une personne en particulier, une personne à qui il tient fort, ici ! Mais il est un peu timide, alors j’vais vous demander de l’encourager pour lui donner de la force !


Et les gens s’agglutinèrent autour d’Antoine et commencèrent à crier, siffler et applaudir. La pénombre de la nuit masquait légèrement la rougeur de son visage, ses jambes se mirent à trembloter et sa respiration commença à accélérer dangereusement. Il était en train de perdre ses moyens, mais il ne pouvait pas se permettre de faire le rituel que sa mère lui avait appris : il avait trop de regards posés sur lui. Ça en devenait presque insoutenable.

Il sentit une main se poser sur son épaule, c’était celle de Tom. Elle était douce et rassurante, et elle lui permit de trouver le courage nécessaire pour regarder droit devant lui, vers Jade, qui comprit alors qu’il allait s’adresser à elle.

– Alors… euh… Jade, je voulais t’annoncer un truc qui… qui me trainait dans la tête depuis un… depuis un moment.

Il passa sa main dans ses cheveux et se mit à se gratter le cou ; il remarqua alors que ses mains étaient moites et que ses doigts tremblaient.

– Je… balbutia-t-il. J’aimerais… Ça te dirait qu’on aille se faire un resto, tous les deux ?


Toutes les têtes se retournèrent en même temps vers Jade, qui avait l’air d’avoir aussi honte que lui. Il était désolé de l’avoir mise dans un embarras pareil.

– Ouais, bien sûr ! se contenta-t-elle de répondre avec un faux sourire.

Et tout le monde se mit à les applaudir, pendant que Tom tapotait dans le dos d’Antoine, qui ne comprenait pas comment il arrivait à tenir encore debout, tant ses jambes étaient devenues flasques.

– J’suis fier de toi ! Je sais que c’est super difficile pour toi, mais tu t’es super bien débrouillé, j’te jure !

Cette fois, les mots de Tom ne firent pas effet. L’esprit d’Antoine était trop encombré par les images des gens qui avaient tous eu l’attention portée sur lui, pendant ce court instant. Et même s’il savait qu’ils n’en avaient rien à foutre, l’idée de se retrouver au milieu de la foule, sans défense et livré au jugement des autres, le terrorisait.


– Je… J’aurais dû te dire plus tôt… Mon problème est pas vis-à-vis de Jade.

Le visage de Tom se décomposa.

– Comment ça ?

– Je t’ai pas tout dit, tu m’as pas laissé le temps… Mais c’est aussi de ma faute, j’ai trop hésité, j’aurais dû te le dire direct, mais j’avais trop honte.

Tom tourna la tête et jeta un coup d'œil furtif en direction de Jade.

– Mais alors, murmura-t-il pour ne pas se faire entendre des autres autour d’eux, tout ce cinéma, c’était pour rien ?

Antoine serra les dents et le regarda avec un air de chien battu.

– Euh, ouais… Un peu.

– Merde, je suis désolé pour toi, et pour elle aussi. Faudra que j’aille m’excuser auprès d’elle. Mais c’est quoi alors, le vrai problème ?


Antoine se figea d’un coup. Il vit des centaines de souvenirs défiler devant ses yeux en une fraction de seconde, sa respiration se coupa brusquement. Il se rappelait d’Hippolyte, et notamment de cette soirée-là, des cris, des pleurs, de la pluie qui tombait sur le bitume, du sang qui coulait sur le lavabo…

– J’ai vécu un truc, il y a deux ans. Un truc qui m’a marqué assez profondément. Et je m’en suis pas totalement remis, depuis… Mais je sais pas si je suis prêt à te le dire maintenant, ça me fait vraiment mal, rien que d’y penser, je pense pas être capable de…

– T’inquiète pas, interrompit Tom en posant sa main sur la poitrine d’Antoine. Ça peut attendre.

– Nan, il faut que j’te le dise, ça fait trop longtemps que j’attends !

– Très bien, tu vas me le dire. Mais avant, tu vas reprendre ton calme et avoir une bonne nuit de sommeil, d’accord ? Tu me raconteras tout ça demain, la tête reposée.

Antoine hocha la tête sans dire un mot. Tom avait certainement raison, il valait mieux prendre son temps et se remettre la tête à l’endroit, avec tout ce qui venait de se passer.


Maintenant qu’il s’était engagé à parler, il n’y avait pas de retour possible. Il se sentait comme prisonnier de sa décision, mais c’était sûrement mieux ainsi : il n’aurait probablement pas pu parler de ça s’il ne s’était pas senti obligé de le faire.

Alors ils décidèrent tous les deux de rentrer chez eux. Tom alla régler cette mauvaise histoire avec Jade et lui dit qu’il s’agissait d’un malentendu, elle réagit très bien et Antoine les vit même rire tous les deux. Puis il revint vers lui, et ils partirent tous les deux, côte à côte, tandis qu’Antoine luttait pour ne pas glisser sa main dans celle de son ami.

– Tu sais que je vais pas dormir de la nuit, que je vais cogiter pendant des heures et me poser des centaines de questions ? lança Tom.

– Ça tombe bien, on sera deux… souffla Antoine.

Annotations

Vous aimez lire Dazino ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0