Chapitre 24
Long Live the (D)Evil - Moriarty
Une chambre aux quatre murs blancs, à l’ambiance lourde et austère, dont le silence était perturbé par des petits “bips” à intervalles réguliers, provenant de différentes machines. Antoine se tenait debout à côté du lit où était allongée sa mère.
– Overdose d’antidépresseurs. Les médecins m’ont dit que si tu m’avais pas appelé, ça aurait pu être beaucoup plus grave. T’aurais même pu y passer…
– L’instinct de survie, je suppose, répondit sa mère faiblement.
– J’aurais plutôt dit la culpabilité de me laisser tout seul. J’ai pas le moindre doute sur le fait qu’après ma mort, tu me suivras sans trop tarder.
– T’as sûrement raison… Décidément, même me suicider , j’ai échoué.
– Pour cette fois-ci, j’te pardonne. Mais j’peux te demander quelque chose ?
Elle tourna la tête avec difficulté.
– Vas-y.
– Essaye d’aller mieux. Ou de faire semblant, j’m’en fous. Au moins pour les quelques mois qu’il me reste.
– Tu m’en demandes beaucoup, là…
– C’est rien, par rapport à ce que tu m’as fait endurer. T’es pas mieux que mon père, en fait.
Elle déglutit et remit sa tête droite, regardant désormais droit devant elle.
– Donc t’as pu aller lui parler… Qu’est-ce qu’il t’a raconté ?
– Qu’il voulait pas avoir de gosse, mais que toi t’as préféré faire ta têtue.
– C’est un peu l’idée, oui… Mais je te parlais plutôt de cette histoire de malédiction.
– Il m’a dit qu’il en savait rien, et qu’il voulait rien en savoir. Donc j’suis coincé, et j’suis à deux doigts de me faire à l’idée que j’ai pas la moindre chance de rester en vie : j’ai aucune piste, aucun indice, pas la moindre idée !
– Ton oncle avait mené l’enquête, il était obsédé par ça les derniers mois de sa vie.
– Je sais, il m’a raconté.
Elle se redressa brusquement et attrapa la veste d’Antoine pour le tirer vers elle.
– Ne fais pas la même erreur que lui ! Il a découvert des choses qui l’ont traumatisé, les forces qui veulent ta mort nous dépassent, c’est comme se battre contre le Diable ! Vis ta vie sans te soucier de ça, profite juste du temps qu’il te reste, mais je t’en supplie : oublie cette idée d’aller comprendre ce qui t’arrive, tu le regretteras !
Antoine écarquilla les yeux. Il ne comprenait pas pourquoi elle se comportait ainsi, elle l’avait aidé seulement quelques jours plus tôt, et elle avait pris un virage à cent quatre-vingts degrés, sans raison apparente !
“Ça doit être les médocs qui lui font encore tourner la tête”, se dit-il. “Ou alors, elle me cache quelque chose, il a dû se passer un truc entre-temps.”
– Maman, il t’est arrivé quelque chose après ma visite ?
– Quoi ? fit-elle en faisant semblant d’être surprise. Non, rien de spécial, pourquoi ?
Tout à coup, il eut le sentiment désagréable d’être observé. Il fut tenté de regarder autour de lui pour repérer des caméras ou des micros, mais il se dit que ce mouvement allait provoquer la suspicion de ceux qui pouvaient être en train de l’espionner en ce moment-même.
Une idée lui traversa alors l’esprit. Il se pencha au-dessus d’elle et lui embrassa le front pendant de longues secondes, puis il se retira lentement, glissant avec délicatesse, et s’approcha de son oreille. Il murmura alors, en tentant de faire le moins de bruit possible :
– Cligne des yeux trois fois s’ils nous surveillent.
Il se redressa, fixant sa mère avec inquiétude. Mais elle ne fit rien. Elle garda les teux grand ouverts, se forçant à afficher un sourire qui se voulait rassurant.
*Un jour plus tôt*
Comme tous les jours, affalée sur son canapé, la mère d’Antoine fixait l’écran de télévision, une clope au bec. En réalité, elle ne prêtait que rarement attention à ce qui se passait à la télé. Ses pensées étaient ailleurs, entre remords et regrets, en train de se poser sans arrêt les mêmes questions et de se ronger le cœur.
– Et puis merde !
Elle écrasa sa cigarette sur le cendrier posé sur la table basse, et se leva d’un coup. Elle grimpa les marches des escaliers quatre à quatre, puis elle se précipita dans la chambre d’Antoine, fouilla dans ses étagères, en sortit une feuille et un stylo.
Puis elle s’assit au bureau de son fils, et commença à gratter frénétiquement sur le papier :
“Cher Antoine,
Ça fait trop longtemps que je me laisse contrôler par la peur. J’ai vu que comme ton oncle, tu t’étais récemment mis en tête de tout comprendre sur ta destinée. C’est un chemin semé d’embûches que tu choisis d’emprunter, et rien ne dit que tu réussiras. Mais en tant que mère, c’est mon devoir de t’aider du mieux que je peux, même si ça doit me coûter la vie. J’ai fui mon rôle pendant des années, mais si je peux me sacrifier en te montrant la voie à emprunter… J’espère que tu viendras à mon enterrement, je ne te demande même pas de lâcher une larme ou de me pardonner.”
Elle continua d’écrire pendant de longues minutes, elle sortit même une deuxième feuille. Sa main lui faisait mal, mais elle ne s’arrêtait pas. Elle y mettait toute sa force, toute son énergie, son front était trempé et tout son corps tremblotait. Son écriture était à peine lisible, elle raturait sans arrêt et s’agaçait sur le papier.
Mais elle finit par y arriver, elle signa et plia les deux feuilles qu’elle avait noircies. Puis elle sortit une enveloppe d’un des tiroirs d’Antoine, y rangea en catastrophe sa lettre, et la ferma.
Elle trouva ensuite un timbre, qu’elle colla maladroitement sur la lettre, et renseigna l’adresse d’Antoine.
Puis elle colla l’enveloppe contre sa poitrine et souffla un bon coup. Son coeur battait la chamade, il ne voulait pas ralentir.
Il n’y avait pas une seconde à perdre, alors elle sortit de la maison sans même fermer à clé, et avança d’un pas rapide dans la rue, la tête baissée. Elle arriva devant une boîte aux lettres jaune, y glissa l’enveloppe, et rentra chez elle, le coeur plus léger, avec le sentiment du devoir accompli.
Mais lorsqu’elle arriva devant la maison, elle remarqua que la porte d’entrée était entrouverte. Elle n’y prêta pas d’importance, se disant que c’était elle qui, dans la précipitation, n’y avait pas fait attention.
Elle prit soin de fermer à clé derrière elle, cette fois-ci. Mais lorsqu’elle se retourna, elle aperçut une silhouette sur son canapé, regardant la télé, avec exactement la même posture qu’elle avait l’habitude d’avoir.
La personne se leva et s’avança vers elle. Elle était cagoulée, gantée, vêtue d’un manteau de cuir noir. La mère d’Antoine devina que c’était une femme, de par ses formes et sa démarche. Mais le détail qui la frappa le plus, c’était ce qu’elle tenait dans la main droite : l’enveloppe qu’elle venait de déposer dans la boîte aux lettres, déchirée.
– Comment vous avez fait ? lança-t-elle, abasourdie. J’ai fait du plus vite que j’ai pu…
– C’est vraiment dommage de craquer, répondit la femme d’une voix glaciale. Vous étiez si proche du but. Votre fils allait mourir presque sans douleur, d’une mort rapide et qu’il n’aurait pas vue venir, par derrière. Mais en faisant ce que vous venez de faire, vous l’avez condamné à souffrir.
– Non, s’il vous plaît, prenez-vous en à moi. C’est moi qui ai fait ça !
– Si jamais il vous vient l’idée de recommencer, sachez que non seulement nous vous en empêcherons, mais nous aggraverons encore la souffrance qu’Antoine Pélissier devra endurer avant son décès.
Fin de la troisième partie
Annotations