Chapitre 29
– J’ai beaucoup étudié la Bible, tu sais. Et surtout l’Ancien Testament.
Antoine ouvrit les yeux avec difficulté. Il faisait froid et humide. La voix qui venait de lui parler était rauque et grave, et résonnait contre les murs jaunâtres et sales. On aurait dit une sorte de cave mal entretenue, attaquée par les années.
Il se rendit compte qu’il était assis sur une chaise, les mains dans le dos. Il essaya de se lever, mais rencontra une résistance qui l’empêchait d’effectuer le moindre mouvement. Il remarqua alors qu’il était attaché entièrement à la chaise par une corde serrée au maximum, si bien qu’il ne sentait plus ses jambes et ses doigts. Il essaya de se débattre, mais tout ce qu’il parvint à faire, fut de renverser la chaise et de tomber lourdement au col, sur le côté.
Il leva alors la tête en direction de la voix qu’il avait entendue plus tôt : une silhouette imposante lui tournait le dos, vêtue d’un grand pull à capuche noir. Il devait faire environ deux mètres de haut, sa tête rasait le plafond et son dos était courbé. Il était en train de fouiller dans des placards, manipulant des flacons de différentes couleurs.
– Vous êtes qui ?
– Le Diable. C’est un peu comme ça que les rares personnes qui ont pu m’apercevoir me décrivent. Et je dois avouer que la comparaison n’est pas trop mauvaise. En hébreu, Satan signifie “l’accusateur”, et j’ai consacré toute ma vie à me battre contre les choses face auxquelles tout le monde se tait.
– C’est vous qui devez me tuer, c’est ça ? C’est vous qui avez tué mon oncle, et tous les autres ?
Alors la silhouette se retourna, et Antoine put enfin mettre un visage sur sa malédiction : une peau livide, gonflée, parsemée d’affreux boutons blancs de toutes tailles, une bouche déformée, comme si l’on avait frappé violemment dessus à plusieurs reprises… Son nez était crochu et complètement de travers, son front était déchiré par les cicatrices. Sur son cou, on pouvait apercevoir des marques s’apparentant à des écailles de serpent.
C’était un véritable monstre, il n’avait rien d’humain.
– Ce regard… Je pensais que tu serais différent des autres, que tu réagirais différemment quand tu me verrais. Tu me déçois beaucoup, tu sais ?
– Mais vous êtes qui, putain ? hurla-t-il.
La créature s’approcha pas à pas de lui. Antoine se surprit à trembler, il sentait que ses vêtements étaient en train de se tremper de sueur, que sa bouche devenait sèche et que son cœur battait si fort qu’il avait l’impression que ce dernier allait transpercer sa cage thoracique.
Le monstre s’agenouilla en face de lui, même sa respiration était effrayante : elle était grave et lente, et Antoine pouvait sentir son souffle glacé contre son visage. Il sortit ses mains des poches de son pull : elles étaient potelées et ses doigts étaient courts. Il les plaça en dessous du corps d’Antoine, qui sentit un frisson le parcourir à ce contact, et le porta avec une facilité terrifiante, puis le retourna et le reposa lourdement sur le sol. Il avait dégagé une telle puissance que cela donnait l’impression qu’il n’avait pas eu à fournir le moindre effort pour soulever ses soixante kilos.
Puis il approcha son visage à quelques centimètres de celui d’Antoine, un grand sourire aux lèvres, laissant découvrir des dents jaunes et déformées pour la plupart, cassées pour certaines.
– Je suis la Mort…
Ce fut comme un coup de massue pour Antoine. Son corps se raidit brutalement et les battements de son cœur s’accélérèrent encore. Le souffle coupé, il regarda la créature s’éloigner lentement, retournant à ses flacons.
Il lui fallut dix bonnes minutes pour reprendre ses esprits, dix minutes durant lesquelles son état de choc l’empêcha complètement de réfléchir : c’était le néant absolu dans son esprit, il était immobile, inanimé, les yeux grand ouverts fixant dans le vide.
Et lorsqu’il retrouva un peu de raison, son premier réflexe fut de dire, par instinct de survie :
– Il me reste encore six mois à vivre, vous pouvez pas me tuer maintenant !
Mais la Mort ne lui répondit pas, et continua à jouer avec ses flacons, dans un silence pesant.
Alors Antoine essaya de se libérer, cherchant à attraper un morceau de corde du bout de ses doigts. Et avec ses jambes, il essaya de se décaler en donnant de petites impulsions, assez fortes pour avancer de quelques centimètres, avec assez de retenue pour ne pas être renversé.
– Comme je disais tout à l’heure, reprit le monstre, le Diable est une figure fascinante. En grec, “diabolos” signifie “celui qui s’oppose”, ou “celui qui sépare”. Et c’est là que les gens se trompent en me comparant à lui. Je ne sépare personne, au contraire : c’est moi qui ait été séparé du monde ! S’il devait y avoir un Diable dans cette stupide histoire de malédiction, que tout le monde te raconte depuis ta naissance, eh bien c’est celui qui m’a donné cette apparence répugnante.
– C’est un membre de ma famille, c’est ça ? C’est une histoire de vengeance, tout ça ?
Mais le monstre décida d’ignorer sa question.
– Toutefois, j’ai pu en tirer un grand pouvoir. Et c’est pour ça que je peux dire, sans prétention, que je suis la Mort, en chair et en os ! Je suis la personnification de ce moment inéluctable, que les hommes s’efforcent en vain d’ignorer ! Et toi, tu avais de la chance, tu étais prévenu, tu avais tout ce qu’il te fallait pour te préparer ! Mais tu as fait comme les autres : tu as cherché à m’oublier, à faire comme si je n’allais jamais t’arriver. Et maintenant que tu te retrouves face à moi, tu n’as même pas osé me regarder une fois dans les yeux depuis que tu es ici.
– Arrête tes conneries ! Raconte-moi la vraie histoire !
Motörhead - Killed by Death
Annotations