Chapitre 4 : Le commissariat ! - Ensuite...
Le brigadier, rassuré et surtout satisfait de l'intérêt produit par son intervention, fit de la place en sortant de la pièce à un livreur de pizzas, non sans demander ce que le gars faisait là. Apparemment, on lui avait permis de monter car l'accueil était débordé.
Finalement le gars put se glisser dans la salle avec l'assentiment du policier. Il salua en bougonnant une vague formule courtoise. Il ouvrit un sac isotherme puis déposa plusieurs boîtes colorées, chaudes et très odorantes. Le visage mangé par une barbe de plusieurs jours, des lunettes à verres épais et une casquette de travers, l'individu ne payait pas de mine.
Comme tous les policiers fixaient l'écran, il ne demanda pas son reste et personne ne fit allusion à sa présence furtive.
Au bout de quelques minutes, les arômes qui, peu à peu, se diffusaient, mirent les estomacs des enquêteurs en mode, passer à table. Au moment où l’une des stagiaires souleva le couvercle, pour proposer de distribuer des parts prédécoupées à ses collègues, elle eut un violent haut-le-cœur.
- Lieutenant, venez voir ! s'exclama-t-elle, interloquée.
Rejoint par Fred, Marc étala sur la desserte toutes les pizzas encore fumantes. De la sauce tomate concentrée dessinaient le visage d’un clown sans le moindre doute possible sur chacune d’elles.
- Mais c’est quoi ce "cirque" ? Fred ! Appelle l’accueil et bloque toutes les issues, cria-t-il.
Franck Daniel appuya en un instant sur le bouton poussoir d’une alarme silencieuse.
L’éclairage se modifia aussitôt et les visages se crispèrent. Dans un réflexe, chacun retourna à son espace de travail dans les pièces voisines et s'équipa de son arme de service à l’épaule en holster ou en étui à la ceinture.
Dans un angle supérieur de la pièce, une vidéo interne en circuit fermé renvoyait en temps réel des prises de vue de tous les espaces publiques du commissariat. L’écran était segmenté en plusieurs images et un mouvement dynamique et cyclique permettait de passer d’un emplacement au suivant.
Mais aucun ne remontait la silhouette du livreur.
- Le gars a dû se changer dans un vestiaire ou dans les toilettes, dit un agent à la cantonade.
Une certaine fièvre gagnait la pièce.
Des ordres fusaient dans les couloirs et les cages d’escalier servaient de chambre d’écho.
Sur la vidéo interne, une des images montrait en permanence le parvis du commissariat et surtout le visage inquiet de plusieurs visiteurs. Ces derniers s’angoissaient de la situation, car pour des raisons évidentes de sécurité, on les empêcherait de quitter le commissariat.
Partout la tension montait d'un cran et devenait palpable.
Au milieu de la confusion et des bruits assourdissants, hétéroclites, le téléphone portable du lieutenant Maignan se mit à vibrer dans la poche arrière de son jean. L’officier ne réagit pas de suite, l'esprit assailli par plusieurs images mentales de clowns, de morceaux humains, de rires d’enfants, de spectacles de cirque.
Tout cela manquait de cohérence.
Il glissa la main dans son dos et retira le portable en pressant le bouton indiquant un combiné de couleur verte sur l’écran plasma.
- Marc Maignan à l’appareil ! lâcha avec lassitude l’officier tout en déclenchant, fébrile, le haut-parleur.
En première réponse, une musique de manège de chevaux de bois emplit la pièce, puis une voix ricanante s’imposa.
- Le spectacle ne fait que commencer ! dit alors une voix dont le ton traduisait un comportement délirant et sarcastique.
Cela ressemblait à une tirade du personnage du "Joker" tirée de l'un des épisodes de la série Batman. Les collègues s’intriguaient de cette étrange ambiance sonore et musicale.
- Et d’ici ce soir, vous ne serez plus. Vous allez assister à votre dernière représentation !
*
L’inspecteur commençait à saturer.
La pièce tournait autour de lui au rythme de la musique d’un manège de foire. Il entendait des rires d’enfants tout en les imaginant sur des chevaux de bois.
Était-ce son imagination ?
Une sueur abondante et aigre affluait sur son front et sous ses aisselles. Ses mains devenues moites prenaient une couleur jaune comme enduites de Bétadine. Dans un subtil éclair de lucidité, il réalisa que …
- Les emballages... ! lança-t-il d’une voix éraillée tout en postillonnant.
Il dressait son bras dans un geste de détresse en direction des cartons à pizzas encore étalés sur la desserte dans l’entrée et les collègues ne comprenaient pas ce que son attitude tentait d’exprimer. L’inspecteur perdait connaissance tout en déversant des jets de bile.
Il s’écroula de tout son long abandonnant son téléphone qui glissa sur le linoléum. Tout autour d’autres inspecteurs ne se sentaient pas bien et s’assoupissaient sur leur plan de travail ou disparaissaient sous leur bureau.
Fred Jasper n’avait touché à rien et gardé aux mains ses gants vert fluo de manipulation alors qu’il remettait des indices de géolocalisation dans les pochettes de scellé. Après un regard périphérique et dans un réflexe opérationnel et conditionné, il pressa un bouton d’interphone en liaison avec l’équipe de sécurité et demanda l’envoi de secours et l’intervention d’un médecin.
- Urgence médicale en salle multimédia. Plusieurs officiers au tapis. Prévenez les secours.
Aussitôt, il se précipita sur les fenêtres pour les ouvrir et ventiler la pièce. Dans le désordre et la confusion un smartphone gisait sur le sol en tournoyant sur lui-même, diffusant l’image d’un clown grimaçant et très sérieux qui répétait en boucle :
« Vous allez mourir aujourd’hui.
C’est votre dernière représentation.
Les clowns ne font plus rire !
Vous allez mourir aujourd’hui... »
=O=
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