Chapitre 6 : Enquête et Contre-enquête - On fait face...
Un autre couloir, au Val de Grâce
Dumontiel et Joublain s’isolèrent pour une conversation en aparté.
Ils se mirent d’accord, les yeux dans les yeux, sur une sorte de compromis. Le commissaire laissait agir l’IGS dans ses investigations internes. En réponse, cette dernière n’entravait pas l’enquête criminelle en cours voire la facilitait...
- Je vous laisse la priorité pour les interventions, les perquisitions et autres investigations. Ce sera sans doute difficile mais il faudrait verrouiller les infos.
- Autant dire que l’on se trouve dans un sacré bourbier. Cela me semble totalement futile. Il y aura forcément des fuites. Il y a déjà trop des témoins.
- Je pense qu'il vous reste des policiers chevronnés pour dénouer et mettre la main sur le cerveau dérangé de cette gigantesque boucherie.
- Je pense que je vais demander du renfort. Au moins, vous ne pourrez pas les taxer de complicité.
- Je serai rigoureux et juste, commissaire !
- Je n'en doute pas !
Joublain s'éloigna et revint derrière la vitre de la salle d'observation de l'hôpital. Le regard dans le vague à observer ses gars en souffrance, il tentait de se convaincre de prendre de la distance. Il devait se doter d’un regard extérieur et impartial pour ne plus être juge et partie.
Grâce à ses appuis et ses connaissances dans "la maison", Il avait obtenu du renfort d’enquêteurs de la PJ de Marseille. Les capitaines Joaquim Massias et Hugues Tobias, en détachement, reprendraient l’enquête en cours. Il remercia son collègue et ami du commissariat du Vieux-Port et passa des coups de fils notamment au procureur.
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Gare de Lyon
Dès leur descente du TGV Marseille-Paris en fin d’après-midi, les deux officiers furent briefés, pendant le trajet en véhicule de service, par Mornier et Duchemin venus les attendre en bout de quai.
Assis à son bureau au dernier étage du commissariat, le Patron relisait les derniers compte-rendus. Il avait pris des dispositions. Le lieutenant Maignan resterait sous protection à l’hôpital. Son adjoint Jasper serait maintenu sur l’enquête, mais en base arrière pour assurer la coordination. Ils feraient l’un et l'autre l'objet d’une surveillance bienveillante.
Plus bas dans les étages régnait une ambiance de fourmillère. Au lendemain de la découverte macabre et sur la base des mains-courantes, on avait convoqué les directeurs de cirques pour les auditionner. On avait récupéré ainsi des informations d’identification, des photos, des emplois du temps et surtout cela avait permis d'authentifier des objets personnels mis sous scellés. Certains fragments humains comportaient des bijoux, des tatouages.
A priori, les assassins ne s’investissaient pas dans le vol ou dans le recel. Il faudrait chercher le mobile ailleurs. Le commissaire se faisait la réflexion que tous ces responsables de chapiteaux manqueraient nécessairement de discrétion et donc d'objectivité. Ils n'hésiteraient pas à s'émouvoir dans la presse et ce serait même pour eux un moyen détourné de se faire un peu de publicité, tout en accablant les forces de l'ordre.
Ces saltimbanques constituaient généralement des familles très soudées d'artiste, de clown, de jongleur, de dresseur ou d'acrobate. Elles se connaissaient toutes et si l'un de ses membres quittait une troupe, c'était fatalement pour rejoindre une autre voisine. Ces gens à l'instinct grégaire se connaissaient depuis des années.
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En salle de déposition
L’angoisse était palpable et les capitaines Massias et Tobias, qui passaient de table en table d’audition, essayaient de faire bonne figure. Bien qu’habitués aux petits malfrats et gangs du sud-est de la France, le mode opératoire dérogeait avec des habitudes ou des méthodes maffieuses.
Une idée de vengeance prenait tournure de plus en plus dans les esprits. Cette mise en scène démonstrative tenait à la fois du sordide et de l'incompréhensible. Une froide démarche d'assassinat collectif, associée à des démembrements sauvages et méthodiques intriguaient, dérangeaient nos enquêteurs.
En accord avec le commissaire et le réprésentant de l’IGS, les deux flics de Marseille convoquèrent pour 18 : 00 l’ensemble des agents, inspecteurs et équipes techniques encore valides et disponibles pour l’enquête. En fin d'après-midi, les auditions seraient terminées et ce serait le moment idéal avant la relève entre les équipes de jour et de nuit.
Pour le Patron, ce serait aussi l'occasion de faire un point de situation et de resserrer les rangs autour de lui.
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En salle de réunion
Le commissariat disposait d’une grande pièce en sous-sol, aménagée pour ce genre de réunion. On y organisait des pots pour fêter les décorations ou les missions réussies ou pour marquer le coup lors de départ en retraite.
- Bonjour à tous ! Annonça le Commissaire en introduction face à ses hommes.
Un vague brouhaha répondit au patron en écho.
- Vous savez sans doute, reprit-il que le commissariat se trouve en état d'alerte maximum. L’inspection des services est dans nos murs. Vous êtes de fait consignés sur place et vous assurerez des rotations pour passer à vos domiciles, récupérer du change et surtout rassurer vos familles.
L’assistance s’agita comme prise de malaise. Certains individus dansaient sur leur chaise et d’autres puisaient une complicité de circonstance dans le regard de leurs voisins.
- Je passe à présent la parole aux capitaines Massias et Tobias de la PJ de Marseille pour vous présenter un résumé de la situation. Je précise que ces deux officiers, venus en renfort à ma demande, ont toute ma confiance.
Un petit flottement se produisit le temps que le commissaire se mette en retrait et cède la place aux deux enquêteurs chevronnés. Après un échange de regards complices et un léger sourire, Massias prit la parole.
- Un ou plusieurs individus, introduits dans le commissariat, ont réussi à intoxiquer des collègues en pleine enquête sur des meurtres présumés d'artistes circaciens. Les disparitions et les signalements nous sont parvenus ces trois derniers jours selon les mains courantes de plusieurs commissariats, puis confirmés dans les heures qui viennent de s’écouler, lors des auditions.
Tobias se jetta dans l'arène à la suite de Massias. Le brouhaha de commentaires cessa aussitôt.
- Vous avez des gars au tapis ! Alors, on nous a demandé de venir vous filer un coup de main !
Le capitaine prenait le temps d'observer chaque visage de l'assistance tout en appuyant sur chaque syllabe comme pour ponctuer son discours.
- Alors, on n’est pas là pour vous emmerder. Pour vous en faire voir. Je veux être clair là-dessus. Notre seule préoccupation sera de comprendre et vite. Mais rien, vous entendez bien, rien n’est exclu.
Cette dernière remarque sembla lourde de sens. Les visages s'agitèrent, se durcirent. Cela pouvait sous-entendre des complicités, des ripoux parmi les collègues !
- Et en plus, nous avons le sentiment avec mon collègue, je dirai ... l'intime conviction, que ce n’est que le commencement. Certes, on manque de billes pour l’instant, mais cela ressemble fortement à une sorte de vengeance sous la forme d'un parcours meutrier.
- Est-ce seulement le début d'une longue série ? Les enlèvements d'artistes, la mise en scène du Jardin du Luxembourg, l'attaque sournoise du commissariat !
- Doit-on observer et attendre la faille pour agir ?
- Quand cela s’arrêtera-t-il ?
Avec une grande aisance, les deux officiers donnaient l’impression d'une prestation orale de duettistes dans un dialogue direct, fluide et rodé.
=O=
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