Tiaré Tauhaamaa
Le sentier était de plus en plus flou, ses bords étaient grignotés par les plantes couvre-sols et mon sac à dos se prenait dans les frondaisons luxuriantes, je dus marcher courbée à plusieurs reprises pour pouvoir progresser. En approchant du sommet, le chemin était complétement enseveli, et plusieurs fois je dus revenir sur mes pas. Le GPS ne captait plus, et au bout d’une heure à tourner en rond, j’admis que j’étais perdue… Néanmoins, je gardai mon sang-froid : ça n’était pas la première fois que je me perdais et je m’en étais toujours sortie.
Le désespoir débuta lorsque j’avalai ma dernière goutte d’eau, je l’avais déjà bien rationnée, et maintenant j’avais terriblement soif. En passant pour la dixième fois devant le même arbre Tamanu, je perdis patience et me laissai tomber contre son tronc, exténuée. Je levai les yeux : les rares rayons qui perçaient au travers du manteau nuageux étaient arrêtés par la canopée, le manque de lumière donnait une atmosphère sinistre…
Je repris ma marche ; le jour déclinait sérieusement lorsque j’entendis le bruissement d’un ruisseau ; je me concentrai et suivis ma piste sonore. Lorsque j’aperçus le cours d’eau, un profond soulagement m’envahit : au moins je ne mourrai pas de soif ! Je courus, jetai mon sac au sol et cherchai fiévreusement ma bouteille ; en la remplissant, je me sentais faiblir ; j’avais à peine bu une gorgée lorsque je la vis. Je me figeai. Une femme à la beauté ensorcelante, la peau dorée, les cheveux noir de jais, denses, descendant jusqu’aux fesses et ceints d’une couronne d’hibiscus rouges, me fixait, les pieds dans l’eau.
Je jetai le reste d’eau sur mon visage, et lorgnai de nouveau : elle était toujours là, la détresse se lisait sur son visage. Je clignai des yeux, persuadée que j’avais la berlue, et remarquai son poignet gauche, à vif, sanglant et surtout sans main… Une traînée sanguinolente dessinait une arborescence dans l’eau jusqu’à mes pieds ; lorsque je me rendis compte que l’eau de ma bouteille était elle-même teintée de rouge, je fus prise de nausées.
Ensuite le trou noir jusqu’à cette lumière éblouissante qui m’extirpa de ma léthargie. Mon hôte, paré de sa lampe frontale, me regardait fixement ; la nuit était tombée.
— Heureusement que tu laisses des traces d’hippopotames derrière toi ! lâcha-t-il, un sourire aux lèvres. Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
Je balbutiai que j’avais dû être déshydratée, que j’avais halluciné et que je m’étais évanouie. Je lui décris en détail mon hallucination. Il m’aida à me relever.
Nous étions sur le point de rebrousser chemin lorsqu’il arrêta mon pied. Il m’avait empêchée d’écraser une fleur blanche à cinq pétales dont la corolle ne s’étendait que d’un seul côté de l’axe floral… exactement comme une main !
— C’est une fleur protégée et très rare.
Il l’examina attentivement à la lumière de sa lampe frontale puis se releva :
— Je sais qui tu as vu. Rentrons maintenant, Moeata nous attend.
Le mystère persista jusqu’au lendemain matin, et je dus patienter jusqu’au retour de Moeta pour apprendre la légende locale de ses lèvres : après avoir découvert les infidélités de son époux, une jeune femme du nom de Tauhaamaa serait montée au mont Metehahi pour se suicider il y a plusieurs siècles de cela. Elle se serait coupée la main pour se vider de son sang, et le membre tranché se serait transformé en une fleur de tiare… Malgré les nombreuses tentatives de transplantation sur des îles voisines, le tiaré Tauhaamaa ne pousse encore aujourd’hui que sur l’île du levant au sommet du mont Metehahi…
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