Ce jeudi 22 juin -ou était-ce un vendredi ?- je rentrais de mon travail exténué avec en tête la seule idée de m'allonger sur mon canapé pour ne plus jamais en bouger.
Cependant, alors que je poussai la porte d'entrée, je sentis qu'elle buttait contre un petit objet. J'entrai pour voir de quoi il s'agissait et découvris un dé. Aussi fatigué que j'étais, je ne prêtai pas attention à cet objet insignifiant et décidai de le poser dehors. Je pus enfin m'adonner à une sieste bien méritée.
Le lendemain, je me rendis au casino, la tête reposée et habité par une furieuse envie de plumer mes adversaires. Après avoir enchaîné cinq parties remportées avec succès, je décidai d'aller prendre une collation. Je m'achetai donc un sandwich à la boulangerie d'en face.
Lorsque que je plantai mes dents dans le pain, je sentis quelque chose de rigide. Je ne tardai pas à trouver ce qui m'avait dérangé : un dé.
Une impression soudaine me fit penser que c'était le même que celui de la veille. Je décidai de l'examiner plus précisément, avec pourtant une certaine réticence. Ce dé n'était pas banal, je le savais, je le sentais.
Je remarquai en le tournant entre mes doigts que la face où aurait dû être inscrit un 1 était remplacée par une espèce de tête de mort hideuse qui me fit frissonner. Un filet de sueur coula dans mon dos et je sentis ma gorge se nouer. C'était absurde, pourtant. Après tout, cet objet n'était rien de plus qu'un dé stylisé.
Toutefois, je ne parviens pas à m'endormir avant très tard le soir, car dès lors que mes paupières daignaient se fermer, la vision de la tête de mort gravée sur le dé me faisaient frissonner de peur et une angoisse inexplicable s'emparait de moi.
Quelques jours plus tard, l'image du dé ne quittait pas mon esprit. Elle était là, bien nette, comme si je n'avais qu'à la toucher pour la sentir entre mes doigts.
Je décidai d'aller prendre l'air en forêt.
J'arrivai au bord d'un ruisseau quand tout à coup, je sentis une présence. J'aurai dû ne pas m'en formaliser et passer mon chemin, mais l'appel fut trop fort. Et là, je le vis. Un dé.
Le dé.
Je fus pris d'un sentiment si intense, mélange de colère et d'horreur, que mon cœur s'emballa.
Je ne sentis pas mon corps se baisser pour ramasser l'objet, ni mes mains le lancer brusquement dans le cours du ruisseau. Pourtant, mes yeux le virent bel et bien couler, la tête de mort semblant me lancer un regard noir.
Une bise glaciale souffla alors dans mon dos, semblant me murmurer des mots que je ne compris pas à l'oreille d'une voix aussi acérée que des lames de rasoir.
Je levai les yeux, et découvrit avec effroi que les arbres totalement normaux il y a quelques secondes étaient pourris, leur tronc noir dégoulinait d'un sombre liquide en apparence visqueux, comme s'ils avaient été subitement repeints par une force invisible. Leurs branches oscillaient étrangement, j'avais comme l'impression qu'elles tentaient de m'attraper pour m'attirer dans les tréfonds obscurs de ce bois noir. Des cailloux roulaient, venant de toute part, autour de moi, et bientôt le sol tout entier s'animait sous mes pieds paralysés d'horreur.
Après quelques secondes passées à essayer de réguler mes pulsations cardiaques, je tentai d'avancer, mais un poids me pesait sur les épaules. Sans savoir pourquoi, je sus que c'était le dé. Il m'oppressait, m'empêchait d'avancer. Plus j'y pensai et plus sa masse m'étouffait. Je voulus crier, mais ne le pus pas. Dans une ultime tentative désespérée, je me pinçai.
Je ne m'attendais pas à un miracle mais pourtant c'en est bien un qui se produisit.
Les arbres avaient retrouvé leur banalité, leurs branches bougeaient légèrement, suivant le sens du vent chaud. Les cailloux qui parsemaient le sentier restaient fixes et ordinaires.
Je respirai un grand coup, soulagé.
Ce n'est qu'en repartant pour sortir des bois que je le sentis. Il ne m'avait jamais quitté.
Il était là, comme un parasite qui s'accroche à son hôte pour ne jamais s'en détacher.
Il était là, bien réel, je le sentais sur mes épaules.
Le poids du dé ne me quitterai jamais.