Concours 2018 - PNE
Les yeux de l’ombre
Comment y arriver ? Comment leur faire comprendre ? Je ne trouve plus les mots, ni les bons gestes. Est-ce moi qui ne parviens plus à diriger mon équipe ? Est-ce moi qui ne parviens plus à transmettre mes idées ? Mes mots manquent-ils de clarté ? de caractère ? Hier encore, l’engueulade du couple a manqué de piquant, la chute du lit a été laborieuse et l’ouverture du champagne a échoué. Sans parler d’aujourd’hui ! Le baiser fut catastrophique, et la scène finale un désastre.
Pourtant les comédiens s’apprécient mutuellement, la complicité ne fait pas défaut, le script est superbe, avec la juste dose de croustillant et de sensualité sans tomber dans les clichés ou le mauvais goût.
Même les accessoires ou les meubles qui décorent la scène de ce petit théâtre parisien semblent avoir été fait pour cette pièce.
Non cela ne peut venir que de moi. Ai-je suffisamment de patience pour les mener là où ils doivent aller ? Là où je veux les emmener. A moins que je ne manque d’autorité.
C’est bien la première fois que je doute ainsi. Deviendrai-je trop vieux pour ce genre de connerie ?
Je ferme les yeux, la salle de théâtre est vide, tout comme les coulisses, ils sont tous partis depuis des heures alors que je reste comme un con tout seul dans le noir, repensant encore et encore à cette fichue scène, celle qui donnera à ce spectacle toute sa renommée, celle sans qui plus rien ne tient debout. Même si c’est la scène finale, elle est essentielle et ne peut être bâclée.
Soudain un bruit me surprend. Une lumière éclaire le couloir menant du plateau aux loges. La petite porte dissimulée sur le côté de la scène s’ouvre et une ombre se dessine sur les planches entre les différents décors. Puis une seconde. Je reconnais les voix des comédiens avant de les distinguer entièrement.
Liam tient la main de Cindy, la dirige jusqu’au milieu de la scène, entre les différents meubles de décors et tente de la rassurer.
— Il n’y a pas de raison qu’on n’y arrive pas.
— Cette scène me bloque, je n’arrive pas à être naturelle et même toi, je te trouve tendu.
— On va la retravailler jusqu’à ce que l’alchimie fonctionne. Et ainsi demain…
Ils choisissent de ne pas allumer et la seule lueur du couloir rend la scène plus floue, à peine suffisante pour qu’ils se repèrent sans que le regard ne soit trop prenant. Cela m’arrange, ainsi je reste caché dans l’ombre.
J’ai souvent ce rôle de voyeur, assis au milieu des sièges pour mieux m’imprégner de l’atmosphère qu’un simple spectateur devrait ressentir. Je devrais peut-être me manifester, mais ils perdraient leur complicité retrouvée. Je vais plutôt rester silencieux et les laisser travailler.
Cindy porte sa tenue de scène composée d’une jupe courte mais ample, plissée aux motifs écossais, une paire de talons vernis, des bas noirs et une chemise blanche légèrement transparente lorsque les projecteurs se fixent sur elle, qu’elle noue sur la taille. Ses cheveux blonds ondulent jusqu’au milieu du dos. Seul le maquillage semble plus naturel que lors des répétitions.
Liam, quant à lui, porte un jeans légèrement élimé, une paire de baskets noire et un t-shirt blanc. Avec sa peau mate, ses cheveux ébènes, ses yeux clairs et son corps athlétique, pas besoin d’en faire beaucoup plus pour le rendre sexy. Toutes les filles en seront folles.
Le canapé les accueille pour une première étreinte. Lentement, ils semblent faire connaissance. Liam la regarde tendrement, pose une main sur l’épaule de Cindy qui lui sourit. Ses doigts glissent et frôlent son aisselle. Cindy éclate de rire. Un peu nerveuse, il me semble. De cette proximité ou de cette solitude ?
Liam est patient et change son geste. Il pose une main sur l’ovale de son visage, un doigt lui frôle son lobe. Elle se calme et ferme les yeux. Il se penche vers elle et d’où je suis, je les imagine facilement échanger un tendre baiser. Elle participe enfin. Ses paumes caressent les avant-bras de Liam, remontent près de ses épaules pour ensuite entourer sa nuque.
Bien, c’est exactement ce que je voulais. Commenceraient-ils enfin à comprendre l’importance de cette scène ?
Je m’installe un peu plus confortablement dans mon siège sans faire de bruit, pose les feuilles du script remplies d’annotations diverses à côté de moi et je me laisse prendre par le jeu des comédiens.
Liam s’écarte de sa partenaire, recule en lui accordant une douce caresse dans le cou. Il se lève, lui tenant la main et la dirigeant vers la porte qui normalement représente la chambre. Sauf que l’intensité dans la scène doit être si forte, que la jeune femme doit l’arrêter et l’obliger à l’embrasser encore et encore au milieu de la pièce, prenant l’un l’autre appui contre la table de la salle à manger.
Et encore une fois l’intensité n’y est pas. Cindy surjoue, on n’y croit pas.
J’ouvre la bouche, mais Liam me devance et lui demande de recommencer à nouveau. Ils reprennent place, se sourient, et là enfin j’ai le sentiment qu’ils sont dans leur élément. Pas de rire, à peine un sourire, Liam lui caresse l’épaule, elle se pince les lèvres, le regard plein d’envie, d’impatience. Je me détends, elle est dans son rôle.
Puis les pulpes sur la joue, et enfin le faux baiser, les doigts de Cindy remontant le long des bras, puis l’épaule, la nuque. Liam se lève, elle le suit, l’air amoureuse. Enfin !
Elle stoppe ses pas, il se retourne, la regarde surpris, elle se pend à son cou et j’ai envie de crier : « couper ! » Même si on n’est pas au cinéma, j’ai de vieux réflexes qui ne me quittent pas.
— Y a un truc qui va pas, grince Liam.
— Et si tu… m’embrassais… réellement ?
— Tu crois ? s’étonne-t-il.
— C’est pas comme si on l’avait jamais fait, glousse-t-elle. Allez viens, on va pas y passer la nuit quand même ! Faut qu’on oublie ce foutu script et qu’on laisse aller nos pulsions.
Liam la suit docilement jusqu’au canapé. Une légère gêne s’installe, je le vois à la retenue de Liam. Je me crispe. Je croise et décroise mes jambes en attendant qu’ils reprennent. Heureusement Cindy se lance et même si elle inverse les rôles, cela fonctionne.
Elle réprime même un frisson lors d’une douceur sur son cou, puis elle laisse ses doigts se croiser dans les cheveux de Liam qui semble mouvoir son corps de manière plus intense. Il se colle à elle, elle s’agrippe à lui et là… oui j’y crois.
Cela dure… un peu trop, mais ils finissent par se détacher. Sans un mot, à peine un regard, il se lève, elle lui tend une main qu’il saisit et d’un pas décidé, presque impatient, il la dirige vers la chambre. Elle s’arrête net, je sens enfin de l’énergie dans ses gestes. Elle pose ses mains de chaque côté de son visage et l’embrasse à pleine bouche. Ils sont de profil et je m’aperçois que le baiser n’est pas un faux. Il entoure son corps de ses bras, ses mains parcourent son dos, ses fesses, la jupe se froisse, remonte, dévoile la dentelle d’un bas. Elle se hisse sur la pointe des pieds, ils tournent sur eux-mêmes, dans une danse improvisée mais subtilement sensuelle jusqu’à ce qu’elle ait les fesses posées sur la table de la salle à manger.
Le meuble est positionné de manière à ce que les spectateurs ne puissent voir que le dos de Liam et en aucun cas Cindy dénudée. Je me délecte d’imaginer les mouvements que je devine.
D’un geste il lui ouvre le chemisier, je crains pour les boutons, la couturière va encore râler. Le soutien-gorge est lancé de l’autre côté de la scène. Liam plonge sur elle et l’embrasse dans le cou, alors qu’elle laisse échapper un couinement. Elle tente de défaire les boutons de son jeans, je le vois à ses mains au niveau de la taille. Puis elle tire sur son t-shirt, Liam se retrouve torse nu. Elle écarte les cuisses, sa jupe joue à l’accordéon sur ses hanches, la dentelle de ses bas est visible par le public et rend la scène très sensuelle, pour ne pas dire affolante.
Elle est sacrément bien roulée, cette petite et elle se prend vraiment au jeu, apparemment, vu les gémissements d’impatience qu’elle rythme au gré des baisers et des caresses. Les mains de Liam apparaissent et disparaissent en fonction de ses gestes, serait-il réellement en train de la peloter et de la masturber ? Je passe une main sur mon visage en respirant profondément. C’est exactement ce que je souhaitais… ou presque.
La tête de l’acteur joue au yoyo, j’entends ses baisers, sa bouche aspirer des parcelles de peau, je devine ses dents la mordiller. J’ai même le sentiment d’entendre de petites claques à moins que cela ne soit ses doigts qui s’enfoncent et qui jouent à s’humidifier de son jus.
Cindy a perdu tout contrôle, ses couinements deviennent de vrais gémissements, ses cuisses largement écartées entourent le bassin du jeune homme et ses pieds à présent déchaussés se sont crochetés l’un l’autre pour le garder prisonnier.
Dans cette position, si elle a réussi à lui ouvrir le jeans et qu’elle ne porte pas de culotte…
Stop ! Je ne peux pas imaginer la suite, je ne peux pas continuer de jouer les voyeurs.
Et pourtant je n’arrive pas à détacher mes yeux de cette scène.
Sans le voir, j’imagine les mains de Liam empaumer les seins de sa partenaire, rouler ses tétons, tirer ses pointes pour les porter près de sa bouche afin de les mordre. Mon esprit ne répond plus et mon imaginaire me laisse entendre des bruits qui peut-être n’existent pas, mais que pourtant j’entends. Comme des doigts qui écartent une dentelle puis la déchire avant de s’amuser avec le jus qui dégouline d’une fente. Des index qui s’enfoncent, qui ressortent, qui triturent un clito grossi, faisant gémir la jeune femme.
Mes yeux suivent les mouvements des deux corps sur scène. Elle astique son membre, le geste est précis et rapide, lui, il lèche et besogne tant qu’elle finit par s’arcbouter abandonnant toute caresse sur le corps du beau mâle en rut.
Ma queue dans mon froc me fait mal de tant de pression, ma main la bouscule légèrement, tentant de la remettre en place, mais c’est perdu d’avance. Je suis raide, tendu, le gland humide et j’ai toutes les peines du monde à ne pas ouvrir mon zip pour me branler.
Bordel… qu’est-ce que je fous ?
Mes yeux se fixent sur les fesses de Liam, ses hanches ondulent, Cindy s’est allongée, le dos sur le plateau en bois, je devine un sein qui se balance au gré des coups qu’il fait subir à son corps. Ils s’accordent à merveille et je me retrouve la queue entre les mains.
— Stop ! s’écrie une voix derrière moi. Temps mort !
Je me pétrifie, tout comme le couple sur la scène. Mon sexe, heureusement, perd de sa vigueur, je me redresse dans le siège, baisse mon pull sur mon entrejambe afin de cacher mon érection. Je me retourne et aperçois en haut des marches à l’entrée de la salle, Gilles l’accessoiriste. Ses yeux sont braqués sur le couple. Je pense qu’il ne m’a pas vu. Je garde le silence, alors que je vois Cindy se revêtir et Liam s’écarter lentement d’elle. Il semble refermer son pantalon avant de se retourner, et lance en direction de la salle :
— Qui est là ?
— Gilles, dit ce dernier en dévalant les marches à toute vitesse. Je veux bien que vous répétiez, mais la table ne tiendra jamais. Laisse-moi la consolider !
— La… table, répète Liam abasourdi.
Cindy tient son chemisier serré pour éviter de dévoiler sa poitrine, se remet debout en baissant sa jupe et en glissant ses pieds dans ses chaussures. Liam est allé lui chercher son soutien-gorge, tout en remettant son t-shirt.
D’un geste souple, Gilles grimpe sur la scène et leur montre ce qui nous avait échappé à tous. Les pieds de la table branlent, le plateau risque à tout moment de se retrouver par terre, entraînant les comédiens dans sa chute.
Liam le regarde se mettre sous le meuble, une visseuse entre les mains et marmonner :
— Faudrait mettre la table dans l’autre sens, elle serait plus stable. Ou alors tu réduis tes à-coups. Jouer le jeu c’est bien, mais faut penser au matos quand même. J’vous rappelle qu’on part en tournée après ! On va pas changer de table chaque semaine !
Le couple semble gêné et n’ose qu’approuver sans émettre la moindre remarque. Apparemment Gilles n’a pas dû assister à toute la scène ou alors il est bien plus naïf que je le pensais. Cindy, la première, s’excuse et rejoint les coulisses.
— On a fini, annonce Liam. On peut te laisser finir ?
— Ouais, ouais… faut que je renforce les traverses en ajoutant des équerres et des chevilles… tu peux pas faire grand-chose maintenant.
Liam ne demande pas son reste et disparait par la petite porte. Gilles l’interpelle encore une fois pour lui demander d’allumer les lumières sur la scène et là je comprends plusieurs de mes erreurs.
Je dois non seulement les laisser gérer leurs émotions, sans qu’ils aillent aussi loin que ce soir, mais je ne peux pas diriger cette scène, ils doivent trouver eux-mêmes le ton juste, les gestes et surtout… je dois baisser la luminosité. Avec une faible lueur le tout devient sensuel et pas sexuel, c’est érotique comme je le souhaite et pas sordide et porno comme je le craignais.
Silencieusement, je remercie Gilles pour cette illumination.
Discrètement, je quitte également ce lieu à présent rempli de fantasmes et rejoins ma voiture à l’arrière de cet immeuble, au bout de cette rue en forme d’entonnoir.
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Texte écrit en une nuit, avec plusieurs contraintes :
- Début du défi à minuit et rendre le texte avant 8h le lendemain
- Le thème fut révélé au début du défi, quel est-il d'après vous ?
- Terminer le texte avec le mot "entonnoir"
- Que le texte soit érotique.
Si je le mets ici, c'est que mon texte n'a pas retenu l'attention du jury.
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