Chapitre 1
Le soleil glissait doucement sous la ligne d’horizon. La pénombre s’étendait inexorablement sur le paysage désolé qui s’offrait à ses yeux. Cette vue peu réjouissante, Xan ne la connaissait que trop bien. On pouvait facilement deviner que la ville devait être belle autrefois. Avant la guerre. Avant les bombardements. Maintenant, c'était un champ de ruines parsemé ici et là de bâtiments qui tenaient le coup de justesse.
Perchée sur le bord d’un des rares immeubles en hauteur encore en état, ses très longs cheveux bleu nuit flottant dans la brise, elle se dit qu’il était temps de rentrer avant qu’il fasse trop noir. Les lumières de rues fonctionnelles se faisaient des plus rares. L’alimentation électrique s’avérait défectueuse dans la plupart des quartiers résidentiels de la classe ouvrière . Celle-ci ne fonctionnait pas souvent ou par intermittence.
La femme rangea hors de vue ce sur quoi elle était en train de travailler, soit un bracelet électronique multifonctions qu’elle avait elle-même monter de toute pièce. Puis, elle se dirigea vers l’échelle de secours, la descendant avec agilité malgré son évidente instabilité. Il fallait dire aussi qu’après des années de travail ardu à l’usine, Xan avait acquis, malgré qu’elle soit toujours assez mince, une endurance certaine et une musculature bien définie. De plus, elle avait l’habitude puisque la majorité de ses rares temps libres prenaient place sur ce toit. Ce « sanctuaire », comme elle se plaisait à l’appeler, constituait un des rares endroits sur cette planète où la travailleuse arrivait à ressentir un fugace sentiment de liberté.
Malheureusement, la réalité la rattrapait brutalement, à chaque fois que ses pieds se posaient à nouveau sur la pavé abîmé et sale qui recouvrait la plupart des routes du secteur. Elle s’engagea dans la ruelle en accélérant le pas, question d’arriver à son chez-soi avant l’heure du couvre-feu. Celui-ci devait être imminent puisque le calme régnait déjà dans le quartier. Ce dernier ressemblait comme à l’habitude à une zone de guerre. Des débris et des déchets jonchaient les rues, dégageant une odeur désagréable. Cependant, cette dernière restait tristement trop familière pour que la femme la trouve vraiment dérangeante.La collecte des déchets ne constituait vraiment pas une priorité pour les autorités.
Xan déboucha rapidement sur la rue où elle habitait depuis aussi loin que sa mémoire pouvait remonter. Malgré que cette artère soit le lieu d’habitation principal de la majorité des ouvriers du quartier, l’état de l’endroit laissait autant à désirer que les ruelles adjacentes. Les petites maisons qui s’y alignaient ressemblaient plus à des taudis qu’à de véritable demeures. Pour la plupart, le revêtement extérieur tombait en morceau. Certains porches avant pourrissaient par endroit et la majorité des toits étaient parsemés de trous. Quelques unes menaçaient carrément de s’effondrer. Comme dans la ruelle, des sacs de détritus s’accumulaient sur les pelouses dégarnies constituant la cour avant des maisons.
La femme constata rapidement qu’aucune lumière ne filtrait des fenêtres des résidences. Pas d’électricité ce soir, se dit-elle en retenant un soupir. Soupir qu’elle laissa finalement échapper en apercevant l’homme qui s’affairait devant leur petite maison qui avait connu des jours meilleurs. Ce dernier venait d’empiler quelques débris et déchets sur le côté de la chaussée et reprenait son souffle. Âgé de seulement 55 ans, il devait physiquement faire au moins 10 ans de plus. La maladie et les travaux forcés avaient depuis longtemps eu raison de l’homme vaillant et fier qu’il était autrefois. Malgré qu’il mesurait près de 6 pieds, le poids des années le faisait paraître nettement plus petit, voir fragile. Xan s’approcha et s’arrêta près de lui en affichant un air réprobateur.
- Papa...tu devrais être en train de te reposer.
Ewen leva les yeux vers elle, tentant un sourire rassurant.
- C’était presque rien voyons…il fallait bien que ça se fasse. Affirma-t-il en désignant vaguement de la main la pile de détritus.
- Je l’aurais fait en arrivant, répondit Xan en croisant les bras.
- Sauf que je sais jamais à quelle heure tu vas arriver...qu’est-ce que tu faisais encore? demanda-t-il sur un ton exaspéré.
- Humm….rien d’important, je traînais par ci par là!
Elle lui servit un sourire en coin amusé que son père reconnu rapidement. Inutile d’insister, sa fille ne lui donnerait pas plus de détail. L’homme soupira bruyamment alors que sa progéniture le poussait gentiment dans le dos pour retourner à la maison, ouvrant la vieille porte dont les gonds grincèrent sous le mouvement.
- Aller, tu devrais dormir pour être en forme demain! Ajouta-t-elle d’un ton un peu moralisateur.
- C’est pas censé être moi le parent? demanda le quinquagénaire en lui jetant une oeil amusé après qu’ils soient tous deux entrés.
- Désolée de te décevoir, mais à 26 ans tu n’a plus grand pouvoir parental sur moi. Laisse moi donc prendre soin de toi. Répondit la femme, sur un sourire amusé et taquin.
Ewen allait répliquer mais se retint plutôt au mur, saisi d’un étourdissement. Sa fille se précipita aussitôt pour le soutenir, un air inquiet se dessinant sur son visage.
- tu es sûr que ça va? Tu vois, tu n’aurais pas dû trop en faire.
Il plongea son regard dans le sien, retrouvant son sérieux.
- Ça va...ce n’est que de la fatigue, la rassura-t-il, question de ne pas l’inquiéter plus qu’elle ne l’était déjà.
- Tu sais comme moi que ce n’est pas juste ça...ajouta-t-elle alors que le battement de son coeur s’accélèrait légèrement.
- Xanërra...justement, nous savons tous les deux ce qu’il en est...je voudrais juste que l’on profite du temps qui reste sans qu’on s’en fasse constamment. Je vais bien pour l’instant. Si quelque chose de majeur se produit, je te le dirai, promis.
La femme observa son père en silence de ses prunelles d’ébène, cherchant à y déceler la vérité. Sous ses rides et sa fatigue, on pouvait apercevoir le visage de l’homme qu’il avait été. Le père de son enfance et qui n’avait reculé devant rien pour protéger ses deux enfants. Ses yeux bleus avaient perdu depuis longtemps leur éclat et leur vivacité. Son coeur se serra à la pensée de ce à quoi cette vie avait réduit cet homme. Celui qui avait toujours été pour elle un symbole de force et de courage. Il n’avait jamais montré la moindre faiblesse devant eux. Ni lors de la disparition de leur mère. Ni lorsque la maladie l’avait frappé de plein fouet. Ni lorsque son frère avait cessé de donner signe de vie. Xan pinça les lèvres une seconde avant de répondre, s’efforçant de sortir de ses sombres pensées.
- D’accord...mais pour ce soir j’aimerais quand même que tu te reposes.
- Oui oui, j’y vais tout de suite. Bonne nuit ma chérie.
Ewen l’embrassa sur la joue et s’éloigna vers sa chambre. Xan le suivit du regard, toujours aussi inquiète malgré tout. Savoir qu’il ne restait que quelques mois à vivre à son père ne rendait pas le tout plus facile, loin de la. La femme se dirigea finalement vers la salle de bain. Une douche réussirait peut-être à lui rafraîchir les idées. Littéralement se dit-elle en se rappelant que l’électricité ne fonctionnait pas. En effet, la maison se trouvait plongée dans un noir presque complet maintenant que le soleil était couché. Seule la lumière des deux lunes filtrait au travers des fenêtres sales et fissurées. La brise printanière s’engouffrait d’ailleurs à travers la fenêtre de la salle de bain qui ne fermait plus depuis belle lurette. Heureusement pour eux, la température, même en hiver, demeurait plutôt clémente sur cette partie de la planète. Le mercure ne descendait jamais en dessous de 15 degré celsius. Il faisait déjà près de 25 degré alors que l’été ne commençait que dans quelques semaines.
Comme pour toutes les demeures réservées aux gens de leur statut social, les dommages infligés par la guerre restaient apparents malgré les années. Leurs faibles revenus ne leur permettait que des réparations d’extrême urgence, celles nécessaires à leur survie. La peinture des murs s’écaillait, les lattes du plancher craquaient par endroit et celui-ci avait clairement un angle anormal. C’était sans parler des problèmes de plomberie dont les tuyaux avaient été rapiécés un nombre incalculable de fois. La maison comportait d’une petite cuisine aux armoires dépareillées. Le salon minuscule semblait surchargé malgré la seule présence d’un divan défraîchi et d’un holoprojecteur, que Xan avait elle-même construit avec des pièces trouvées à la décharge.
Trois très petites chambres et la microscopique salle de bain, dans laquelle la femme venait d’entrer, couronnaient le tout. Celle-ci sentait le moisi vu tous les dégâts d’eau qu’ils avaient subis. De plus, le carrelage commençait à se fissurer et à décoller par endroit. Somme toute, la maison demeurait en meilleure état que les autres du quartier, grâce aux aptitudes manuelles d’Ewen et de sa fille.
Xan prit une petite lanterne à circuit indépendant qui se trouvait sur le comptoir et poussa l’interrupteur en vain. Rien, les batteries devaient être vides. Elle jeta un oeil dans le couloir pour être sûre que son père dormait, puis referma la porte de la salle de bain. La femme posa la main sur le bloc d’alimentation de la lampe, se concentrant un instant. L’ampoule s’alluma une seconde plus tard. Elle la posa à sa place sur un sourire satisfait puis s’observa dans le miroir, plus sérieusement.
La femme qu’elle voyait avait l’air fatigué, ce qui n’était pas étonnant en soi vu à quel point ses journées s’avèraient chargées. Ses yeux aux iris presque noires, parsemées de reflets violets, brillaient toujours de détermination malgré tout. Au moins, ils n’avaient pas réussi à lui prendre cela. Sa peau très pâle faisait contraste avec ses cheveux qui arboraient actuellement une couleur bleu foncé se rapprochant du noir. Xan passa une main dans ceux-ci pour défaire sa queue de cheval. Sa chevelure ainsi libre cascada dans son dos, reprenant leur pleine longueur, touchant presque le sol de tuiles froid. L’envie de les couper lui trottait souvent en tête mais le souvenir de sa mère l’en empêchait. Les Elaraan, son peuple, ne les coupaient jamais, les laissant pousser tout au long de leur vie. Cela faisait maintenant 19 ans que Lynara avait disparu. À son retour du travail, Ewen avait trouvé la maison vide. Envolée sans laisser de trace, comme cela arrivait trop souvent. Les autorités l’avait donc considérée morte, sans même se soucier de faire une enquête. Ils avaient du apprendre à vivre sans elle, sans même savoir ce qui avait pu lui arriver.
Avec les années qui passaient, ses souvenirs d’elle s’estompaient un peu plus chaque jour. Dorénavant, malgré toute sa bonne volonté, son éternel sourire et ses longs cheveux doux comme la soie constituaient les seules images qui lui venaient en tête en pensant à sa mère. Ayant été élevée parmi les humains comme son père, il ne lui restait rien de son héritage maternel. Cela pouvait paraître bête, mais la métis le voyait comme une façon de conserver un lien avec cette partie d’elle.
Son regard quitta le miroir pour se poser sur la douche, se demandant s’il restait de l’eau chaude. Mais bon, tant pis s’il n’en restait pas, Xan s’en contenterait. La femme se dévêtit rapidement et ouvrit le robinet pour ensuite entrer sous la douche. Tiède. Elle avait connu bien pire. Sous la température de l’eau, ses cheveux prirent lentement une teinte plus pâle. En effet, comme tous les Elaraan, ses cheveux changeaient de couleur au gré de ses émotions ou de l’environnement. La métamorphose pouvait s’opérer en quelques secondes seulement, et passer par toutes les couleurs du cercle chromatique.
Une fois la douche fermée, Xanërra sortit et s’enroula dans une serviette, en prenant une autre pour essuyer grossièrement sa chevelure qui avait pris une couleur turquoise. Sa main effleurant sa tempe droite, ses yeux se posèrent à nouveau sur son reflet. Son côté rasé commençait à être un peu trop long, ce qui cachait en partie son tatouage. Il faudrait qu’elle remédie à cela demain. Elle sortit ensuite pour aller à sa chambre après avoir éteint la lumière, déposant ses vêtements au lavage au passage. Elle enfila une culotte et un vieux t-shirt. Se laissant choir sur son lit, Xan fixa le plafond en soupirant. La perspective de la semaine à venir n’avait rien de réjouissant, se dit-elle en fermant les yeux. Avec de la chance, « ils » la contacteraient….
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