Le Passeur

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Journal de bord de Roivas, Chevalier errant de l’Ordre du Dragon impérial.

Campement du clan de l’Ours, rive septentrionale de Hautecime. 17 Vendémiaire de l’An 2192.

Mer démontée, tempête en formation.

Nous nous apprêtons à quitter les terres du clan de l’Ours pour reprendre la mer. Un groupe d’éclaireurs nordiques a repéré le navire qui, depuis plusieurs mois maintenant, met les côtes du septentrion à feu et à sang. Nous nous préparons à le prendre en chasse à l’heure où j’écris précipitamment ces lignes. Notre quête touche à sa fin. Enfin. Avant que la nuit ne tombe, nous aurons rattrapé ces maraudeurs et mis un terme à leurs viles exactions.

Je suis soulagé que nous ayons retrouvé leur trace par l’intermédiaire de nos alliés, car cette mission n’a que trop duré. Jouer au jeu du chat et de la souris de longues semaines durant dans un environnement aussi hostile a mis les nerfs de l’équipage à vif. Le mécontentement et le découragement grondent parmi nos hommes. Ils ont beau témoigner un profond respect pour leur capitaine et pour le blason de l’Ordre que je porte, je crains qu’ils ne se mutinent si nous ne leur annonçons pas bientôt que nous rentrons.

En toute franchise, il me tarde également de rejoindre Saintefontaine et d’annoncer notre succès à l’Impératrice. Tout ici est sombre, froid et austère. Les terres nordiques ne sont constituées que de forêts immenses et de plaines rocailleuses recouvertes de neige, et le soleil ne daigne y faire que de rares apparitions. Le doux climat des contrées intérieures me manque. J’aimerais déambuler à nouveau dans les rues animées de la capitale, riche de ses palais de pierre blanche, ses dômes parés de vitraux colorés et ses peintures murales raffinées, sans oublier les jardins verdoyants du fort impérial, décorés de bassins céruléens et de fontaines complexes, et parsemés de majestueuses volières dans lesquelles sont réunis les plus beaux oiseaux de Fendragon. Autant de choses dont Hautecime est dépourvue.

Mais je crois que ce qui me manque le plus, ce sont mes compagnons de l’Ordre. J’ai hâte de les écouter me faire le récit de leurs derniers faits d’armes, tous réunis autour d’un bon millésime. Je suis parti depuis si longtemps que j’en ai presque oublié le visage d’Elika… Mais pour l’heure, le devoir m’appelle. J’entends la cloche sonner à la volée sur le pont et le capitaine vient de héler les derniers retardataires. La victoire est à portée de main, et notre retour, imminent…

R.

  - Réduisez la voilure ! Réduisez la voilure, bon sang !

  Le cri du capitaine se perdit dans le fracas assourdissant du tonnerre roulant sur les vagues. Un éclair aveuglant zébra le ciel nocturne chargé de nuages, et frappa le galion de plein fouet. Le grand mât, sectionné, s’abattit dans un enchevêtrement de cordages et la vergue s’écroula, écrasant une poignée de marins. La vigie fut précipitée dans les flots bouillonnants qui s’abattaient sans ménagement contre la coque.

  La pluie battante se mit alors à redoubler de violence. Elle martelait un pont jonché de débris et de corps épars entre lesquels s’affairaient ceux qui avaient été jusqu’ici épargnés par la fureur de la tempête. Une puissante bourrasque gonfla les voiles noires encore intactes du navire, lui donnant l’apparence d’un oiseau de mauvais augure déployant ses ailes, tandis que la gargouille placée à la proue semblait narguer les profondeurs abyssales.

  Le Naufrageur, qui avait déjà beaucoup souffert de son voyage jusqu’aux terres barbares, fendait tant bien que mal les gigantesques vagues. Sa splendeur d’antan s’était depuis longtemps effacée, et il ne s’agissait plus que d’un bâtiment sinistre sur lequel gesticulait une troupe d’hommes effrayés.

  Terrifié par l’ampleur de la tempête, un marin se prit la tête à deux mains et se lamenta d’une voix blanche :

  - Que la Source nous protège ! Nous sommes perdus !

  Un solide gaillard portant un pourpoint de cuir et une pelisse de fourrure passa près de lui, les yeux braqués sur les drisses qui permettaient de hisser ou d’affaler les voiles. Il perdit l’équilibre lorsque le bâtiment changea brusquement de cap, et il dut s’agripper au cabestan pour ne pas tomber. Il se redressa en grimaçant et tendit une main gantée dans le but d’attraper le hauban qui se trouvait un peu plus loin. Sans l’impression d’intelligence méfiante que dégageait l’individu, on aurait pu le prendre pour un sauvage des terres désolées avec ses longs cheveux décoiffés et sa barbe hirsute. Une épée bâtarde battait contre son flanc, et l’écusson finement ouvragé représentant un dragon rouge accroché à sa ceinture attestait qu’il venait de la très civilisée cité de Saintefontaine, où il devait jouir d’une importante forme d’autorité.

  Il était sur le point d’atteindre la manœuvre dormante lorsque le marin se jeta à ses pieds, empoignant ses vêtements dans un accès de panique.

  - Sire Roivas, je vous en conjure ! Laissez filer ce navire !

  Le guerrier foudroya le matelot du regard et le saisit sans ménagement par le col de sa tunique.

  - Debout ! rugit-il en tirant l’homme à lui. Ton capitaine a donné un ordre, alors aide-moi plutôt à carguer cette voile !

  - C’est peine perdue ! Nous allons tous mourir si vous vous obstinez !

  - Je refuse que nous perdions encore une fois la piste de ces chiens. Nous allons en finir une bonne fois pour toutes avec cette affaire !

  - Votre entêtement nous perdra tous, Messire ! rétorqua l’homme en écartant la main du chevalier. Si nous survivons à cette folie, vous devrez répondre de la perte de nos compagnons !

  - Vous osez menacer un émissaire de l’Impératrice ?

  - Je me fous de l’Impératrice ! Je tiens à ma vie, moi ! Et vous devriez penser à la vôtre aussi, sauf votre respect.

  - Je pense à tous ces Nordiques qui ont perdu une épouse, une mère ou un enfant à cause de ces salopards. Nos amis ne seront pas morts en vain si nous parvenons à arrêter ce massacre.

  - Je… Très bien… Puissiez-vous avoir raison une fois de plus, Messire. Je vais rejoindre les autres, là-haut…

  Le marin se retourna et grimpa péniblement dans les mâtures. D’autres hommes arrivèrent, et Roivas aida ceux restés sur le pont jusqu’à ce que les voiles fussent ferlées. Les hourras des matelots fusèrent au-dessus de sa tête. Il s’éloigna alors, contraint de se retenir à tout ce qui était encore solidement fixé au plancher tant le navire était secoué par la houle.

Nous devons tenir bon, pensa-t-il tandis qu’il approchait de la proue. D’ici le lever du soleil, nous en aurons terminé avec cette maudite mission. Les Nordiques ont enduré bien plus de revers au cours de ces derniers mois que ce que nous pourrions subir en allant au bout de cette traque. Une fois que nous aurons triomphé, nos matelots ne penseront plus qu’à ripailler et à se soûler. Et s’il leur venait tout de même l’envie de contester l’autorité impériale, ils trouveront à qui parler. Mon unité en a vu d’autres. S’il faut en mettre quelques-uns aux fers le temps de rentrer au pays, je n’hésiterai pas. L’insubordination mène à l’échec ; et l’échec n’est pas permis lorsqu’il s’agit de protéger les Sept Royaumes.

  Il laissa son regard embrasser l’étendue d’eau déchaînée, soucieux de voir à quelle distance se trouvait le navire qu’ils étaient sur le point de rattraper quelques dizaines de minutes plus tôt. Celui-ci avait repris une avance considérable sur le Naufrageur qui ne pouvait désormais plus compter sur l’avantage que lui conférait sa voilure. Roivas pesta, lorsqu’un énième éclair vint déchirer l’horizon. La lumière crue révéla une forme aux proportions titanesques qui semblait nager à quelques encablures, juste sous la surface de l’eau émeraude.

  - Mais qu’est-ce que c’est que ce… cette chose ? murmura-t-il en sentant ses entrailles se liquéfier. Ce ne serait tout de même pas… ?

  Les paroles de Hjalmar Brisebouclier, le chef du clan de l’Ours, lui revinrent en mémoire. Ce dernier l’avait mis en garde contre la sinistre puissance qui paraissait sillonner cette partie de la Mer des Lamentations. Il lui avait parlé du nombre incalculable de drakkars lancés à la poursuite du bateau qui pillait les côtes du septentrion. Aucun ne revenait jamais. On ne trouvait que des débris rejetés par la mer et des armatures couchées sur le rivage, semblables aux carcasses pourrissantes des baleines parfois échouées sur les galets recouverts de neige. Les corps des valeureux guerriers qui composaient l’équipage de ces expéditions demeuraient à chaque fois introuvables. Nombre de barbares voyaient là une forme de sorcellerie, et ils évoquaient ces tragiques événements en ponctuant leurs récits de crachats superstitieux. Hjalmar, quant à lui, était persuadé que c’était là l’œuvre du kraken, un monstre marin issu du folklore nordique dont l’aspect rappelait celui d’une pieuvre, énorme et cauchemardesque. Pour une raison qui lui échappait, le Passeur – car c’était ainsi que les autochtones nommaient la créature – semblait protéger ceux qui répandaient la mort et la destruction sur le territoire de la tribu.

  Roivas s’était abstenu de faire le moindre commentaire désobligeant à son hôte : l’aide que ce dernier lui apportait était bien trop précieuse pour qu’il puisse se permettre de froisser le meneur du seul clan encore étroitement lié à l’Empire. Mais il avait écouté ces légendes avec beaucoup de réserve. Il ne croyait pas à ces contes de bonnes femmes ; pour lui, les Nordiques avaient une fâcheuse tendance à l’exagération. Ils évoquaient des phénomènes qu’ils ne comprenaient pas en puisant dans leur imagination pour en faire des mythes abracadabrants. Toutefois, le chevalier gardait à l’esprit que dans toute légende se trouvait un fond de vérité. Le kraken des peuples barbares était peut-être un calamar d’une taille supérieure à ceux observés jusqu’ici. Mais en admettant qu’il existe, il ne devait s’attaquer qu’aux navires qui pénétraient accidentellement sur son territoire de chasse. Roivas s’était donc contenté de répondre qu’il n’avait jamais vu ou affronté autre chose que des hommes ou des bêtes faits de chair et de sang depuis qu’il avait rejoint l’Ordre. Rien qui ne puisse être tué, en somme. Hjalmar s’était alors renfrogné mais n’avait pas insisté.

  Et voilà que cette forme aux contours incertains se dessinait maintenant sous les yeux du guerrier, si massive, si terrifiante, qu’il dut s’agripper des deux mains au bastingage sous le coup de la stupéfaction.

  - C’est impossible ! souffla-t-il d’une voix qui lui parut lointaine, très lointaine.

  La chose fraya non loin de la coque pendant quelques secondes, sous le regard médusé du chevalier. Puis elle s’écarta progressivement, sa silhouette évanescente se dissipant à mesure que la distance entre le Naufrageur et la « créature » se creusait. Roivas écarquillait les yeux pour tenter de ne pas la perdre de vue lorsqu’un cri se fit entendre :

  - Vague scélérate sur bâbord ! Elle est gigantesque !

  Le quartier-maître, un homme élancé au regard perçant et au nez aquilin, se précipita vers le garde-corps pour jauger la hauteur du mur d’eau qui se dirigeait sur eux. Ses épaules retombèrent dans un signe de désespoir.

  - Bon sang… Le bâtiment n’y survivra pas. C’est la fin…

  A cet instant, le peu de calme qu’avait su conserver l’équipage fondit comme neige au soleil. Des marins et des soldats en armes se mirent à traverser le navire en se bousculant et en hurlant comme des damnés, n’ayant pour seul but que de mettre les chaloupes à la mer. Un vent de panique soufflait sur le pont, et Roivas ne put s’empêcher de frissonner en imaginant ces hommes grimper sur des coques de noix qui seraient aussitôt broyées par l’écume rugissante.

  Jetant un nouveau coup d’œil en direction de la mer démontée, il sentit l’incertitude et la peur s’insinuer en lui. La créature demeurait invisible, mais elle était probablement en train de les guetter, là-bas, derrière le rideau de pluie. Bien qu’elle n’eût encore rien laissé transparaître de ses intentions, sa seule présence justifiait le fait d’empêcher les hommes de quitter le navire. Et malgré les risques que cela représentait, Roivas ne pouvait se résoudre à renoncer à la poursuite qui avait été engagée. L’échec n’avait jamais été une option pour lui. Pas après avoir pris tous ces risques. Pas sans avoir tenté le tout pour le tout. Pas après le désastre de Fontenaille. Dédaignant ses propres doutes, il se mit à haranguer ses hommes :

  - Capitaine ! Modifiez notre cap ! Il faut aborder la vague de face ! Tout le monde à son poste ! Immédiatement !

  Criant à pleins poumons, chancelant à chaque secousse qui parcourait la structure du navire, il entreprit de reformer les rangs désorganisés de l’équipage tandis que le capitaine continuait d’aboyer ses ordres, braillant au timonier de redresser la quille et de virer de trente degrés sur bâbord. L’étrave du Naufrageur se redressa et le pont s’inclina doucement sur la droite. Il y eut un choc terrible lorsque la proue entra en contact avec le mur d’eau et, pendant un temps qui parut interminable, le gaillard d’avant sembla pointer en direction du ciel terriblement tourmenté tandis que le navire abordait la pente vertigineuse de la vague. Puis le galion s’affala tout à coup en avant, de l’autre côté de la lame de fond, soulevant des paquets d’embruns qui balayèrent le pont. Les os glacés mais toujours vivants, les malheureux se crurent tirés d’affaire quand un nouvel éclair ébranla l’arrière du bâtiment. Le vaisseau fut parcouru d’une secousse et Roivas tomba à genoux.

  Il entendit derrière lui le cri désespéré d’un matelot tombé par-dessus bord, hurlement rapidement tu par le sifflement du vent et la fureur des vagues.

  - Merde ! lâcha-t-il en se relevant tant bien que mal.

  Otant du revers de la main les éclats de bois qui mouchetaient la fourrure de loup attachée autour de ses épaules, il adressa un regard interrogateur au capitaine qui s’empressa de demander à ses hommes d’établir un bilan des avaries.

  - La foudre a dû éventrer une partie de la coque, Messire ! lança le timonier. Je crois que le gouvernail a été touché ! Le navire répond très mal !

  - Un incendie s’est déclaré dans la cale ! lui répondit aussitôt un autre marin depuis l’une des trappes s’ouvrant dans le pont. Si on ne l’éteint pas rapidement, on est foutus !

  En effet, une inquiétante fumée parcourue de braises incandescentes s’élevait peu à peu de la poupe. Alors que le bâtiment se recouvrait d’un gros nuage noir, le chevalier sentit une odeur âcre et métallique envahir ses narines.

  - Protégez-vous de ces émanations ! ordonna-t-il en arrachant la tunique détrempée d’un cadavre étendu à ses pieds pour ensuite l’appliquer sur la partie inférieure de son visage.

  Les hommes autour de lui s’exécutèrent aussitôt, mais tous n’avaient pas de quoi se protéger contre les effluves nocifs que le vent rabattait sur le navire. Le timonier se mit bientôt à tousser, puis ce fut le tour d’un autre marin non loin de refermer ses mains sur sa gorge en suffoquant, les yeux rougis par la fumée. Plusieurs membres de l’équipage posté sur le gaillard d’arrière connurent à leur tour le même sort.

  Parant au plus pressé, le capitaine interpela Roivas entre deux quintes de toux :

  - Messire, prenez la barre et tâchez de maintenir le cap ! Mes hommes et moi allons tenter de maîtriser cet incendie !

  Le chevalier se précipita en direction de la passerelle, le cœur douloureux et les oreilles bourdonnantes, où il prit la barre des mains d’un homme au bord de la syncope dans l’espoir de maintenir la trajectoire de ce vaisseau ivre dans la tourmente. C’est alors que le vent tourna, rabattant le nuage délétère sur tribord, laissant les membres d’équipage recouvrer peu à peu leurs esprits. Mais ce fut un répit de courte durée. Soulevant d’énormes gerbes d’eau, une masse informe et visqueuse émergea des profondeurs, juste devant l’étrave, élevant et tordant au-dessus des flots d’innombrables appendices grouillant comme de la vermine. Elle était si colossale que le trois-mâts lui-même, fleuron de la marine impériale, semblait d’une taille bien dérisoire comparé à cette créature contre-nature, terrifiante.

  - Le Passeur ! fusa une voix frisant la folie. Les sauvages avaient raison ! Le Passeur va tous nous tuer !

  Roivas sentit son cœur se serrer à la vue de ce formidable adversaire, et sa détermination fut ébranlée lorsqu’il comprit que la bête allait leur réserver le même sort qu’aux équipages nordiques.

  Le kraken replongea presque aussitôt, générant un large tourbillon vers lequel le Naufrageur se mit à dériver inexorablement. Arc-bouté sur la barre, le chevalier luttait farouchement pour éloigner le galion de ce gouffre grondant, tourbillon vertigineux capable d’engloutir en quelques secondes le plus robuste des navires. Il mena un combat de tous les instants pour contrer cette dérive incessante qui les rapprochait dangereusement de ce tombeau aquatique. Mais l’avarie du gouvernail rendait le comportement du bateau aussi rétif qu’imprévisible ; si bien que, dans les secondes qui suivirent, il dut effectuer la manœuvre inverse afin d’éviter de passer à portée des tentacules qui surplombaient encore la mer.

  Une poignée de marins s’attacha aux mâts encore debout, d’autres se contentèrent de se cramponner un peu plus fort au bastingage, remettant leur sort entre les mains de la Source depuis longtemps devenue sourde aux suppliques des Hommes. En désespoir de cause, Roivas concentra toute l’acuité de ses sens sur un point imaginaire de l’horizon situé dans l’exact alignement qui séparait le tourbillon mugissant des appendices du Passeur. Il se contenta d’agir intuitivement sur les commandes du vaisseau, comme si ce dernier n’était que le prolongement de son corps. Il ne put empêcher son cœur de bondir dans sa poitrine lorsque la foudre qui fusait régulièrement autour d’eux vint frapper les flots dans une cacophonie de fin du monde à quelques mètres à peine du navire, rendant la manœuvre plus délicate encore. Il fit de son mieux pour anticiper la moindre défaillance, chaque dérobade du Naufrageur, à peine conscient du travail de ses mains sur la barre, restant indifférent aux cris de terreur de l’équipage.

  Au bout de ce qui lui sembla une éternité, le tourbillon sembla enfin se rétrécir et fut sur le point d’être tout à fait dépassé quand un tentacule muni de crochets s’abattit sur la coque, juste sous la dunette, et une éblouissante lumière blanche oblitéra les sens du chevalier lorsqu’il fut violemment projeté sur le pont.

  Le souffle coupé, il se sentit plonger dans les ténèbres, presque avec soulagement. Il eut alors vaguement conscience d’une présence qui se tenait au-dessus de lui, puis d’une main qui se referma sur son épaule, et on le tira sans ménagement à travers le chaos qui régnait sur le navire. Lorsqu’il parvint à entrouvrir brièvement les yeux, ce fut pour distinguer une silhouette difforme, manifestement humanoïde, en train de rabattre sur lui le couvercle de ce qui pouvait être un caisson à cordages.

  - Qu’est-ce qu… C’est vous, capitaine ? articula-t-il, au bord de l’inconscience.

  Recroquevillé entre les épais rouleaux de corde, il guetta chacun des bruits et mouvements qui lui parvenaient de l’extérieur, sa vision se troublant peu à peu. Son estomac se souleva lorsque le galion se mit à rouler d’un bord sur l’autre, et son sang se glaça quand des cris de terreur retentirent sur le pont. Puis les grincements montant de la cale s’intensifièrent brusquement pour laisser place à un horrible craquement de bois accompagné de violentes secousses. Le Naufrageur, qui prenait déjà l’eau depuis plusieurs minutes, parut basculer de l’avant en craquant de toutes ses membrures et s’enfonça dans l’océan glacial. C’est alors que Roivas perdit connaissance, plongeant dans un silence surnaturel…

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