Le Départ (Partie 1)
Le tourment céda la place à la cicatrisation. Un silence serein s’installa entre les arbres de la forêt. Les fossés se vidèrent, purgés de l’infection qui les souillait. La pluie tomba durant des jours et lava les dernières sanies. Le vent balaya doucement les étendues meurtries et réconforta ceux restés là.
Ædemor demeura longtemps dans le coma. Un sommeil brûlant de fièvre l’agita de nombreux rêves, comme si la bataille n’était pas terminée pour lui. Son bras avait été presque tranché. De multiples cotes, son nez ainsi que sa mâchoire avaient été brisés. Son état monopolisa l’attention des guérisseurs qui lui prodiguaient pourtant tout leur savoir en matière de soins. Des semaines passèrent avant qu’il n’ouvre les yeux et encore d’autres avant qu’il puisse à nouveau se dresser sur ses jambes.
Grum et Yukihina vinrent le voir souvent et au fur et à mesure de sa convalescence, lui apprirent ce qu’il était advenu.
La bataille était terminée. Grum et Yukihina avaient assisté à la fin des combats devant le portail refermé. Une fois Triskalar tombé, Pyrkaia, Chremata et le reste des guerriers de la forêt eurent raison des bataillons impériaux. Leur capitaine se battit jusqu’à la mort tandis que certains se rendirent. Eliogas prit la tête des troupes survivantes et érigea un campement de fortune non loin du théâtre en ruine où eut lieu le rituel. Pyrkaia s’en retourna vers ses terres, amère d’une vengeance inassouvie.
Le dragon des bois, Maragdos le Vert, était mort. Quant à Delesis, apprenant le trépas de son dernier enfant déchu, elle expira en paix. La mère avait enfin rejoint sa progéniture dans l’étreinte glacée de l’au-delà. Bien qu’ennemis, Chremata leur fit élever un tertre funéraire pour rendre un hommage final à leur force et à leur vaillance.
Grum et Yukihina furent les premiers à se remettre. Leurs blessures avaient été soignées par les médecines ancestrales de Cyseam et ils purent sortir de leurs litières au bout de quelques jours. Autour d’eux, le campement fourmillait d’activité. Valwyns et prisonniers de l’Empire s’attelaient à ériger des bâtisses qui serviraient à la reconstruction de la cité.
Une surprise de taille attendait Yukihina : Kanaka avait été retrouvé agonisant, mais vivant. Elle le trouva sur une paillasse, emmailloté dans des bandes de tulle imbibées d’onguents couvrant les parties de son corps les plus gravement brûlées. La lumière divine de Tyasimar avait purifié le Talwen du mal qui le rongeait, le consumé jusqu’à l’âme. Bien que sa survie ne soit plus en question, il resta muet et immobile quand il s’éveilla, tel un être à qui l’on avait balafré l’esprit.
Grum mit sa force au service des Valwyns et se révéla être animé d’une volonté inflexible pour réparer ce qui avait été brisé. Nombre d’entre eux furent impressionnés par sa bienveillance brute et son empathie envers tous ceux qui l’entouraient. Pour la première fois de sa vie, il ressentait le bonheur d’avoir enfin trouvé sa place.
Galanodel ne fut jamais retrouvée. Seul subsistait le pendentif du Dracosire qu’elle avait utilisé sur le Cœur et qui n’était plus qu’un morceau de métal déformé et terni. Quand Ædemor le récupéra des mains de Grum, il comprit qu’il ne la reverrait plus jamais. Elle avait été sa partenaire tout au long du chemin, amie mystérieuse à la beauté enivrante, aussi mortelle envers ses ennemis que dévouée aux siens.
Quand Ædemor put contempler à nouveau le ciel, celui-ci l’accueillit illuminé par une radieuse lueur. L’hiver avait embrassé Opalys dans son étreinte frileuse. Le désespoir s’était envolé entre les branches de l’Arbre Soleil restauré. Ædemor se rendit alors devant l’emplacement du Cœur : le végétal avait souffert mille maux, mais l’écorce repoussait déjà par endroits, ne laissant qu’une épaisse boursouflure là où s’étiraient les anciennes balafres. Les plaies s’étaient refermées, la forêt convalescente retrouvait la santé, encouragée parfois par un chant d’oiseau s’élevant de sa ramure.
Il en serait de même avec Galanodel. Sa perte serait une blessure profonde, vive pendant longtemps, mais qui au fil du temps serait une réminiscence des moments partagés ensemble. Un souvenir vivace.
Ses compagnons et son peuple pleurèrent sa disparition. Elle avait donné sa vie pour la régénération de Reamwen et de Cyseam, et laissait un vide déchirant dans le cœur de tous. Les rites funéraires valwyns de Reamwen impliquaient l’inhumation entre ses racines. En l’absence de corps, la cérémonie se transforma en une veillée mortuaire à laquelle participa Ædemor après son réveil, ponctuée de libations et de chants endeuillés. Grum et Yukihina se joignirent à lui, et ils prirent part ensemble aux litanies funèbres. La beauté et la tristesse pénétrèrent au plus profond du cœur de chacun, et les larmes coulèrent abondamment.
D’autres n’eurent pas cette chance. La dépouille du demi-frère de Galanodel, Theren, fut retrouvée non loin des racines de l’Arbre, témoin de sa vaine tentative de purifier seul le Cœur. Eliogas raconta sa disparition lors de l’assaut des trois dragons noirs, s’efforçant de purger lui-même le mal qui se développait. Sans le pouvoir de la Lumière, son entreprise fut un échec qu’il paya durement, condamné à mourir lentement, son corps et son esprit rongés par le Déclin. Il fut inhumé dans le même caveau que sa mère, Caelynn, aux pieds de Reamwen.
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