L'Acolyte (Partie 3)

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Dans la sacristie voisine, un grand fracas interrompit la conversation. Un bris de vaisselle, suivi de pas précipités, un cri, une chute, puis plus rien.

Mazaric écarquilla les yeux et se leva brusquement. Les novices attablés se pétrifièrent de stupéfaction, l'un d'eux laissa tomber plusieurs bols qui se fracassèrent sur le dallage. Avant qu'il ne put articuler un mot, Ed entendit un sifflement au-dessus de sa tête, puis le vicaire tomba en avant, un poignard planté dans la gorge. Dans un gargouillis immonde, Mazaric se noya dans son propre sang, affalé sur la table. 

Autour d'Ædemor, les frères et soeurs de la Lumière Gardienne furent la cible des mêmes projectiles meurtriers, et en ce qui lui sembla durer l'espace d'un battement de paupière, de nombreux autres corps ensanglantés vinrent entourer celui du vicaire. Tandis que les novices les plus chanceux réussissaient à fuir, Ed décela une silhouette qui se découpait dans la pénombre du diaconique. Les yeux agrandis par la peur, il se jeta sous la table. Ruisselant au travers des lattes de la table, le sang du vicaire dégoulinait sur le visage d'Ædemor, la terreur tambourinait dans ses oreilles, mais il parvint à se glisser derrière un banc.

Le corps de Mazaric glissa le long de la table et tomba lourdement sur le sol. Plus un bruit ne se fit entendre. Ed s’évertua à respirer doucement, mais ne parvint pas à se calmer. Alors que des pas feutrés se rapprochaient de lui, il entendit hurler à l’autre bout de la pièce :

— Que la Lumière Gardienne t’éclate le crâne, pourriture !

C’était Kharroun, qui, brandissant un gourdin clouté, se rua sur la silhouette. Prise au dépourvu, celle-ci fut plaquée contre un mur, coincée par la masse de l’Undur ivre de rage.

— Barre-toi d’ici, Ed ! J'en fais mon affaire !

L’assaillant inconnu, drapé dans une cape sombre et masqué par une cagoule de cuir, se dégagea de son étreinte au prix d’une cabriole d’une incroyable souplesse et taillada au passage l’oreille de l’Undur avec une autre de ses lames. La peur et l’incompréhension paralysaient complètement Ædemor.

— Lève ton cul, Ædemor, je te dis ! beugla l’Undur. Le diacre et le vicaire sont morts ! Il reste plus que toi et les autres novices ! Alors, barre-toi !

Il parlait tout en esquivant tant bien que mal les assauts de son adversaire. L’assassin paraissait retenir ses coups, s’amusant à blesser et à fatiguer son opposant. D'un coup de rasoir leste, il lui arracha au passage un cri de douleur. Ed se releva d’un bond et ramassa à la hâte le pendentif. Laissé sur la table, il baignait dans le sang de Mazaric. Il s'élança vers la sortie à son tour,  d'un pas engourdi par l'horreur de la scène.

Tenant fermement le symbole dans sa main, il s’engouffra dans l’escalier. Ses pieds heurtèrent un corps. Un autre assaillant cagoulé gisait là, le crâne défoncé. Kharroun avait défendu l’entrée principale avant de descendre au réfectoire. Un novice était aussi étendu le long de l’escalier, la gorge tranchée et le visage figé en un horrible rictus. Ædemor se releva puis ouvrit la porte en grand, s’engageant dans les ruelles inondées de pénombre.

Il courut, courut et courut encore, jusqu’à sentir son sang bouillir, l’air lui incendier les poumons. Un instant d’arrêt, pour reprendre son souffle. Aucune idée claire ne lui vint. La terreur embrumait la moindre de ses pensées. Aucun bruit aux alentours pourtant, la Fange baignait dans un silence lourd, anormal. Habituellement, il y avait toujours du monde dans les ruelles de la Fange, à toute heure de la nuit et du jour. Mais ce soir, personne, pas la moindre âme qui vive. Le quartier paraissait retenir son souffle. La lune elle-même guettait le dénouement de la scène. Ædemor scruta l’obscurité : la nuit était voilée, les nuages bas masquaient la lumière des étoiles.

Son cœur s’arrêta, et la peur le reprit à la gorge quand au détour d’une maison délabrée, il vit l'éclat blafard d’une lame nue. Dans un cri d’effroi à demi étouffé, il fila à toute allure vers la rive du fleuve.

Je vais y passer, je vais y passer bon sang ! se dit-il. Sauf si

La rive !

S'il franchissait la rive, il pourrait sauver sa peau. Y aller à la nage serait suicidaire, les courants du Guenes sont traitres et emportent chaque année leur lot d'imprudents. Une embarcation - ou un bac - serait plus souhaitable.

La direction à prendre lui échappait totalement mais s’il ne trouvait pas rapidement, ce serait une lame qui l’attendrait, comme les autres.

Qu'est-ce que la Lumière a fait pour mériter cela ? Qui peut en vouloir aux nôtres au point de tous nous massacrer ? pensa-t-il amèrement.

Des larmes de désespoir roulèrent sur ses joues. Il se reprit et fila à en perdre haleine sans conscience de ce qui l’entourait, quand soudain il vit un reflet dans les eaux du fleuve. Les nuages s’écartèrent pour laisser passer un instant la lueur de la lune d’argent. Son intuition l’avait guidé dans la bonne direction, mais pas de bac en vue. Un sifflement métallique le tira de ses réflexions et il se plaqua derrière une palissade. Le bruit mat d’une lame plantée résonna dans le bois. Ædemor, horrifié, reprit de plus belle sa course folle.

C’est là qu’il découvrit une petite embarcation, attachée au ponton en face de lui. Arrivant à sa hauteur, il défit à la va-vite la corde détrempée et entreprit de monter à bord, lorsqu’un éclair de douleur éclata dans sa jambe. Comprenant qu’un couteau était enfoncé dans sa cuisse, il se jeta dans la chaloupe et la poussa de toutes ses forces afin de l’éloigner de la rive.

Il se blottit au fond de la barque et attendit que le danger passe, guettant le moindre bruit suspect. Si son assaillant savait nager dans les eaux du Guenes ou s’il prenait une autre embarcation pour le rejoindre, c'en était fini de lui.

Pourtant, autour, pas un bruit. Ædemor n'osait pas bouger, calé contre le bois de la chaloupe. Le sang coulait le long de sa cuisse et détrempait ses chausses. La douleur semblait irréelle, mais elle le maintenait comme un arc bandé, tendu et paré à en découdre. Il savait qu’il n’aurait pas la moindre chance et pourtant il était prêt à se défendre de ses poings nus. Rien ne vint. Il devinait la silhouette noire contemplant le batelet s’éloigner, penchée en avant, guettant l'instant où frapper.

Les nuages voilèrent à nouveau la lune et les brumes basses le recouvrirent complètement. Le garçon attendit un moment allongé. Le clapotis des vagues le berça et le silence le détendit. Il se risqua à scruter par dessus le rebord et soupira de soulagement lorsqu’il s’aperçut que la berge s’enfonçait peu à peu dans les ténèbres, il filait droit dans l’estuaire.

Grâce aux Dieux, la lueur du phare flamboyait toujours. Sous couvert de la nuit, Ed sortit les avirons de son embarcation puis rama vigoureusement pour s'éloigner de la rive. L'effort paya : il parvint à se diriger tant bien que mal vers la rive sud. Rivguen n'était alors qu'à quelques encâblures qu'un violent vertige l'assaillit. Les lueurs du ports dansèrent devant ses yeux, et il s'évanouit, tombant tête la première contre le bois du fond de la barque.

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