La Gardienne (Partie 4)
Hérilis releva la tête et vit son air triste.
— Non, mon garçon. Je pourrais vous cacher ici, ils mettraient du temps à nous trouver. Les Quatre Lunes, l’Aile Sombre… mais ils finiraient par y arriver. Thorcil a coupé le fil directeur du sortilège en ces lieux, mais quelqu’un de mal intentionné pourrait remonter la piste et finirait par conduire les assassins ici. Thorcil et moi allons devoir partir abriter tout ceci ailleurs. Quant à toi, il te faut porter ce pendentif là où mon savoir s’arrête, là où il y a encore des secrets. À Marchwavald.
— Marcha-quoi ? Qu’est-ce que c’est ? demanda Grum en se retournant.
— L’antique citadelle de l’Ordre du Dracosire… Ce n’est plus un immense cimetière à présent. Mais aller là-bas c’est risquer de croiser ceux qui ont placé cet enchantement, non ? hasarda Ædemor.
— Oui, tout à fait. Mais c’est aussi l’opportunité d’en connaître la raison.
Ædemor semblait hésiter. Galanodel se leva et vint vers lui.
— Tu ne peux pas rentrer chez toi, et tu ne peux pas rester sans rien faire. Comme moi. Et… comme Grum ? lâcha-t-elle dans la direction du semi-Gor.
— T’inquiète pas, j’ai rien de mieux à faire en ce moment, plaisanta-t-il avant de s’en retourner vers une grande arme qui piquait visiblement sa curiosité.
La main de la Valwyne se pressa contre le bras d’Ædemor qui tressaillit. Ses yeux semblaient irréels de si près. Quel mystère se cache derrière ces prunelles améthyste ? pensa Ædemor.
— Nous t’accompagnerons à ta citadelle, reprit-elle. Ça va aller.
— Merci, Gal. D’accord, mais on va pas y aller ainsi ! Je sais même pas me défendre, Grum n’a pas d’arme, et toi… bon d’accord, tu sais très bien te défendre, mais…
— Je pense comprendre, réagit Hérilis. Vous êtes acolyte de la Lumière Gardienne, n’est-ce pas ? Du temps de l’Ordre, il existait un rang équivalent, il s’agissait des Écuyers. Seuls les Chevaliers pouvaient porter les armes du Dracosire et aller au combat. Malheureusement, personne n’a aujourd’hui le pouvoir de vous octroyer ce rang. Personne de vivant en tout cas.
Ædemor ne parut pas comprendre.
— Grum, c’est cela ? Apportez-moi la troisième urne funéraire à droite de la grande hallebarde que vous regardez avec intérêt depuis tout à l’heure, je vous prie.
Grum se sentit penaud.
— C’est quoi une urne ? demanda-t-il.
— Un vase en marbre, juste à votre droite, indiqua Hérilis. Oui, là. Le troisième.
Le colosse saisit le vase en question qui devait peser dans les trente ou quarante kilos. Il souffla sous l’effort et l’apporta jusqu’à Hérilis.
— Je vous pose ça où, ma p’tite dame ?
— Ici, c’est bien. Bien, écartez-vous un peu.
Hérilis prit la place de Grum et, joignant ses mains au-dessus de l’urne blanche, elle récita une prière :
— J’en appelle à ton esprit, sire Ganzague de Tremendis, Veilleur de l’Aile Doré. Toi qui as juré de servir ton dieu par-delà la mort, j’en appelle à ton serment, et te demande de l’honorer sur-le-champ.
Elle ouvrit alors l’épais couvercle, brandit le pendentif au-dessus, puis le laissa tomber dedans. Un nuage gras et gris en sortit alors, pareil à une fumerolle au début, puis devenant plus dense, plus large, recouvrant presque tout le sol autour de leurs pieds. Animé d’une volonté propre, il se condensa devant Hérilis et forma un petit monticule qui prit la forme d’une silhouette en armure.
Tout se déroula dans un silence monacal, rompu par la voix d’outre-tombe du fantôme.
— Vous vous tenez devant Ganzague de Tremendis, Veilleur du Dracosire, Patriarche du Soleil, Briseur de la Pénombre. Qui invoque mon serment ?
— J’invoque votre serment, moi, Hérilis de Shandranor, dernière des Guetteurs du Prisme. Je me porte garante de la personne qui se tient devant vous.
L’apparition se tourna lentement vers Ædemor. Celui-ci n’osa pas lever les yeux.
— Qui es-tu ? Parle !
— Je… Je suis Ædemor Cerenias… Acolyte de la Lumière Gardienne.
Ganzague sembla réfléchir un instant.
— Lumière Gardienne… je ne connais pas de Lumière Gardienne. Cependant, je sais lire le cœur des gens et je crois reconnaître le Dracosire dans le tien même s’il s’y cache. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs, mais je ressens que l’Ordre est menacé une fois de plus. Qu’attends-tu de moi ?
— Je dois porter les armes…
— Ædemor Cerenias ici présent a prouvé qu’il pouvait être digne de porter les armes de Tyasimar, reprit Hérilis.
— Tu choisis bien tes mots, Dame Shandranor. Il peut être digne.
La voix du spectre se fit impérieuse.
— As-tu quelque chose à confesser avant de prononcer tes vœux ?
Ædemor fronça les sourcils, puis raconta :
— J’ai… déclenché un incendie à la cité, récemment. Mon compagnon était en danger et je n’ai pas réfléchi pour le sauver. J’ai agi instinctivement et mis en danger beaucoup d’innocents.
— C’est possible. Regrettes-tu ton geste ?
Le jeune homme se retourna et regarda Grum.
— Oui… et non. J’ai blessé et peut-être tué involontairement. Mais je devais le sauver. Il avait fait la même chose pour moi sans même me connaître. C’était la bonne chose, je crois.
— Tu es prêt à en assumer les conséquences, aujourd’hui et jusqu’à la fin de ta vie ?
— Je… oui, balbutia-t-il.
— Es-tu également prêt à mettre tout en œuvre pour réparer ton acte, en laissant derrière toi le regret et l’apitoiement sur toi-même ?
— Oui. Je crois que je suis prêt.
— Alors tu as déjà en toi tout ce qu’il te faut pour porter les armes de Tyasimar, Ædemor Cerenias.
— Mais ce n’est pas en me faisant chevalier que vous ferez de moi un meilleur combattant !
L’apparition fit un pas en avant et posa une main fantomatique sur l’épaule d’Ædemor.
— Si.
Ses yeux brillaient comme deux flammes bleutées, rendant palpable la volonté irrépressible qui l’habitait.
— Avec la foi, plus rien ne te sera impossible.
Sortant l’épée qu’il ceignait à la ceinture, Sire Ganzague continua d’une voix impérieuse :
— Maintenant, à genoux, main gauche sur le cœur, paume droite vers le ciel.
Ædemor se soumit à l’injonction. Galanodel et Grum restaient mutiques, à la fois terrorisés et fascinés.
— Présente-toi, et ton ascendance.
— Moi, Ædemor Cerenias, fils de Malcain Cerenias et Flori Fercœur, annonça Ædemor.
— Répète après moi. « Je fais le serment à Ganzague de Tremendis, Veilleur du Dracosire, d’être sans peur face à l’obscurité, d’être juste et droit et de porter la vérité comme étendard. Je serai fidèle à Tyasimar et à mes frères et sœurs d’armes jusqu’à ce que la mort m’en délivre. »
Ædemor répéta sans hésitation. Sa voix résonnait claire et forte dans la salle, à son propre étonnement.
— Au nom du Dracosire, Tyasimar le dragon de Lumière, moi, Ganzague de Tremendis, fils d’Alistar de Tremendis et de Fara d’Otheros, accepte ton serment.
Ganzague tendit son épée vers le ciel.
— Puisse le Dracosire en être témoin et les Ténèbres en trembler. Embrasse la lumière, Ædemor Cerenias.
Puis il tendit la lame devant la bouche d’Ædemor et presque instinctivement, celui-ci y déposa un baiser.
— Relève-toi, maintenant, Chevalier. Fais-toi reconnaître des tiens, et accomplis ton destin !
Ganzague rengaina son épée, et, tendant les bras vers le ciel, reprit sa forme de fumée pour regagner peu à peu l’urne d’où elle était issue. Hérilis, qui tenait toujours le couvercle, récupéra le pendentif et referma le réceptacle quand le spectre eut regagné sa place.
Annotations