La Citadelle (Partie 2)

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Ils poursuivirent leur avancée dans Marchwavald et se dirigèrent vers le temple. Les luttes apparurent de plus en plus intenses au fur et à mesure de leur progression. Des restes d’armes étranges gisaient sur le pavé. Grum et Ædemor s’y attardèrent, tant leur facture était insolite. Elles ressemblaient à des fauchards dentelés, mais le temps n’avait que peu corrodé le métal noir qui les composait. L’autre extrémité du manche consistait en un estoc cruellement barbelé.

Galanodel reconnut l’objet comme étant celui des Draconiens, créatures qui constituaient le cœur des troupes impériales lors de l’assaut contre Marchwavald. Créés par les prêtres de Morgastar grâce à la magie divine mêlée au sang de dragon, les Draconiens furent de redoutables adversaires, tant par leur malveillante intelligence que par leurs aptitudes occultes et martiales.

Le parvis était jonché de restes de barricades improvisées. Les batailles menées ici avaient été les plus désespérées. Les vestiges calcinés s’accumulaient devant le temple, spectateurs muets de l’avancée inexorable des antiques assaillants.

— Quel massacre ! soupira Galanodel. Dès lors que leur défense sacrée fut abattue, ils n’eurent plus la moindre chance.

— Leur défense sacrée ? demanda Grum.

— L’Esprit Gardien. Un guerrier saint qui fut désigné pour protéger la citadelle contre les attaques spirituelles de l’Aile Sombre, répondit Ædemor.

Il se souvint du récit conté pendant ses jeunes années de noviciat, même si à l’époque il n’y voyait pas de lien avec le Culte de la Lumière Gardienne. Défendu par l’Esprit Gardien, Marchwavald était imprenable. Les mages draconiens lui tendirent une embuscade et neutralisèrent son pouvoir à l’aide de terribles sortilèges. Il réussit à s’échapper, mais Morgastar fut invoqué. Tout semblait perdu, mais Tyasimar entendit l’appel des siens et rejoignit le champ de bataille. Durant les heurts qui s’ensuivirent, Il anéantit les hordes ennemies impuissantes devant Son châtiment divin. Alors qu’il avançait vers la forteresse pour aller secourir les trop rares survivants, Morgastar Lui barra la route.

C’est ainsi que les Dracosires s’affrontèrent dans une lutte farouche. L’Empereur Gravonleek vit que le combat était sans issue et déchaîna toute sa magie et lança un atroce maléfice à Tyasimar. Morgastar profita de l’opportunité Lui asséna un coup terrible. Comprenant que Sa fin était proche, Tyasimar sacrifia Son essence divine et la concentra sur Son attaquant. Une explosion de lumière ravagea alors le champ de bataille. Quand elle se dissipa, les Dieux Dragons avaient disparu et l’Empereur était mort.

Les survivants de Marchwavald se réunirent là où s’était tenue l’incarnation de leurs croyances. Tous eurent la même vision : un Dragon de Lumière leur parlait à tous, alors qu’ils revêtaient or et pourpre dans la cour d’un palais étincelant.

— Et qu’est-ce qu’il leur a dit ? demanda Yukihina.

— Nul ne le sait, continua Ædemor. Mais cela leur permit de faire perdurer leur foi malgré les persécutions dont elle est encore victime aujourd’hui.

— Et les Draconiens ? ajouta Galanodel.

— Personne n’en a croisé depuis ce jour-là.

Devant eux se dressait le temple de Marchwavald. Autrefois, ses flèches de nacre et d’argent grimpaient vers le ciel en hommage à la Lumière, ses fières oriflammes frappées de l’insigne sacré de l’Ordre du Dracosire flottaient au vent. Des vitraux, des statues et des peintures ornaient cette cathédrale de gloire et de beauté. La nef profonde était élancée, auréolée d’or et d’encens. Des chants et de ferventes prières s’élevaient le long des colonnes de pierre blanche, pour retentir jusqu’au sommet des croisées d’ogives de la voûte.

Telle fut la souvenance du passé qui traversa Ædemor. Bouleversé par les forces qui anéantirent cette place majestueuse, il comprit combien la défiance des royaumes voisins quant aux Dieux Dragons avait été fondée. Poussé à son paroxysme, le potentiel destructeur de ces religions pouvait enrayer des cités, ravager des terres, annihiler des nations entières. Les évènements l’avaient désigné pour empêcher que se répète l’histoire, pour se dresser face à l’ennemi, comme Gonzague de Tremendis, Lagredor de Landraken et tous leurs héritiers, comme Paltur, Mazaric et Kharroun, et les autres novices. Le poids de cette charge le fit vaciller. Il était seul, avec pour uniques armes sa volonté et sa foi.

Pas complètement seul, pensa-t-il.

Le chevalier regarda ses compagnons pénétrer dans l’édifice. Grum et lui avaient lié leur existence dans un pacte tacite de loyauté. Galanodel avait été tentée de les soumettre à la justice arbitraire du royaume de Lerminon, mais s’était ravisée et poursuivait désormais ses propres desseins. Elle avait pris leur défense plusieurs fois, ce qui pour Ædemor constituait une preuve irréfutable de sa bonne foi. Quant à Yukihina, sa quête la menait sur le chemin de la Lumière d’une manière ou d’une autre, il en était convaincu. Le jeune homme appréciait son tempérament, sagace, détaché et patient, en plus d’être une camarade zélée et fidèle.

Arrivé sur le seuil, il releva les yeux. Le sanctuaire éventré était à demi effondré. La voûte de la nef n’existait plus, n’en persistait qu’une arche défiant le temps et la gravité.

— Que cherchons-nous ? Peut-être que ton symbole peut nous guider, Ædemor, avança Galanodel.

De l’effigie de Tyasimar qui ornait autrefois le lieu saint, il ne subsistait qu’une aile ruinée et un tas de pierres taillées. Un œil sculpté et une mâchoire étaient les derniers vestiges qui attestaient de la finesse de l’ouvrage.

Ædemor s’y dirigea, l’emblème de son dieu au creux de la main, qui luisait plus intensément depuis leur arrivée dans le temple. Se laissant guider par la lumière, il contourna les débris de la statue et désigna l’accès vers un escalier s’enfonçant sous terre.

— C’est quoi cet endroit ? demanda Grum.

— Ce doit être la crypte, lui répondit Ædemor. C’est étrange. J’entends presque ce pendentif appeler son ancien maître.

— Un collier qui parle ?

Ils empruntèrent les marches prudemment, l’absence d’éclairage rendant la tâche difficile. Ædemor prit la tête de l’équipée et déchira le voile d’ombres. L’escalier descendait sous terre et malgré les années, il avait été préservé des affres du temps. Même la guerre ne l’avait pas atteint. Le vent au-dehors ne parvint plus jusqu’à leurs oreilles, et l’air devint progressivement d’humide, frais, et empreint d’un auguste silence. Le temple les avala et ils continuèrent de plonger dans ses entrailles.

Puis, ils débouchèrent dans une vaste salle, au dôme et aux murs richement décorés. L’aura grandissante du symbole de Tyasimar révélait la splendeur de l’endroit. Des fresques et des tapisseries dorées représentaient le Dracosire sur la totalité de la pièce. Le plafond voûté était peint de mille couleurs vives rappelant des prairies baignées de lumière. Une vingtaine d’alcôves étaient également réparties tout autour de la chambre, chacune contenant la statue d’une personnalité et sa sépulture. D’illustres représentants de l’Ordre du Dracosire reposaient en ces lieux. Au grand désespoir d’Ædemor, toutes les tombes avaient été ouvertes et pillées.

Galanodel et Yukihina passaient en revue les noms des hommes et femmes qui avaient donné leur vie à Tyasimar. Grum s’écria :

— Ça alors ! On dirait…

— Un Gor. Oui, tout le monde pouvait servir l’Ordre, répondit Ædemor. Regarde l’inscription : « Ci-gît Zork, Rage de Bataille et Ami de l’Ordre ». Ils rendaient hommage même à ceux qui ne servaient pas dans leurs rangs.

Grum s’arrêta sur le bracelet que portait la figurine brisée du Gor. Un bracelet de perles de bois peintes identique au sien.

— C'est mon porte-bonheur ? Ça veut dire qu'on est du même clan ?

— On dirait bien, Grum, convint Ædemor.

Pour première fois depuis qu’il l’avait rencontré, le jeune homme vit le semi-Gor transi d’une émotion poignante. Le colosse devint fébrile, puis, touchant le rebord de la tombe, inclina la tête respectueusement devant l’emplacement de la dépouille de son aïeul.

— Les Gors ne s’éloignent jamais de leur clan, constata Yukihina. De plus, les tribus que je connais à Karshai n’enterrent pas leurs morts, mais les brûlent ou les rendent à la nature en tant qu’offrandes de chair.

Galanodel semblait étrangement troublée par la statue du Gor. Elle qui paraissait si sûre d’elle se fit chancelante et pâle, comme à l’apparition d’un fantôme.

— Un problème, Galanodel ? s’enquit Yukihina.

— Oui… non. C’est juste que les Gors ont disparu de ces contrées depuis longtemps. Il existe encore quelques tribus dans les étendues du nord d’Opalys, vers les Duchés. Mais au sud, la dernière s’est éteinte au début du Déclin.

— Ah ? s’étonna Grum. Tu l’as connue ?

Galanodel ne répondit pas, son regard parcourait la sculpture.

— Ce Gor devait être une exception pour son peuple, ou un paria, continua Yukihina.

Galanodel profita de la saillie de Yukihina pour se rasséréner et rebondir sur ses paroles.

— Reamwen nous disait : C’est parfois avec une exception que le changement s’initie, reprit-elle. Je trouve cela approprié.

Grum salua la citation de la Valwyne.

— Et là ! Même leurs chevaux servaient ton ordre ? nota le semi-Gor en désignant une autre tombe.

— Ce n’est pas un cheval, Grum, réagit Galanodel. C’est… un Chiron. Probablement un des derniers ayant foulé ces plaines.

— Un Chiron ? On dirait une moitié de cheval avec une moitié d’homme…

— C’est un peuple qui vivait dans les plaines du sud d’Opalys, il y a longtemps.

Ædemor avança dans l’obscur hypogée, la lumière dansante du symbole suffisait à éclairer la salle entière. Il marcha devant les absidioles dédiées à d’autres héros du passé et arriva face à celle trônant au milieu de la pièce. Ses trois compagnons le rejoignirent.

— Orkham de Jemeliah, Prince de Mok Nakus, Premier Chevalier du Dracosire, et fondateur de l’Ordre, lut-il sur l’épitaphe.

— Mok Nakus ? Il arrivait de Karshai ? demanda Yukihina.

— Oui, comme beaucoup d’Opaliens, lui répondit Ædemor. J’ai entendu dire que les origines de sa famille viendraient d’encore plus loin à l’ouest. Un continent nommé Evayle.

— Mais sa sépulture est vide, constata Galanodel. Elle a été pillée comme les autres. Et là, ces inscriptions, que disent-elles ?

La Valwyne montra des lettres stylisées écrites au fond du tombeau dans un dialecte étrange qu’aucun des quatre compagnons ne put traduire. Le pendentif scintillait de mille feux.

— C’est forcément ce tombeau. Celui d’Orkham. Mais il faudrait pouvoir lire ces symboles.

Grum se gratta le menton, puis regarda la statue d’Orkham.

— Zork a son bracelet. Pourquoi ton gars a pas son collier ? lança-t-il.

Il prit le pendentif des mains d’Ædemor et le plaça au cou du buste du chevalier. La lueur devint brasier tandis que le bruit feutré du glissement de la pierre provint du fond du tombeau. Une cavité secrète s’ouvrit vers les ténèbres d’où émergea un souffle poussiéreux. Ædemor salua l’intuition de son compagnon par une tape amicale sur l’épaule.

— Bah voilà ! Et si on regardait ce qu’il y a au fond ?

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