Chapitre trois

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J’ai fait ce rêve. Ce rêve que je fais fréquemment depuis un moment. Je suis dans mon lit, je dors paisiblement. Puis un homme se matérialise devant moi. Grand, maigre, il doit avoir une soixantaine d'années. Il a les cheveux blancs, une barbe négligée et il me regarde, sans rien dire, avec ses yeux enfoncés dans son crâne. Je ne sais pas qui c’est et ça me rend nerveux. J’essaye de bouger. D’habitude j’y arrive et c’est toujours le moment où je me réveille. Mais cette fois-ci, pas moyen d’exécuter un seul mouvement. C’est comme si de longs bras m’enserraient. J’essaye de crier, mais quelque chose m’en empêche. Je suffoque.
C’est là que je me suis réveillé. Je n’étais pas dans mon lit mais sur la chaise qui se trouve habituellement à côté de la commode, dans notre chambre. J’étais ligoté, si fort que ma respiration en était gênée. Un foulard me bâillonnait. Ma tête me faisait un mal de chien et j’avais envie de vomir, sans doute à cause de ce goût de sang qui envahissait ma bouche, ma gorge et mon nez. J’ai eu du mal à ouvrir les yeux. Il y avait un homme devant moi, qui me regardait. Mais il n’avait rien de commun avec celui de mes cauchemars, à part la haute taille.
Il était plutôt jeune - pas plus de trente-cinq ans – et il était bien bâti, musclé même. Il avait l’air négligé : barbe de trois jours, une tache sur son t-shirt blanc, une casquette sale et usée enfoncée sur sa chevelure grasse qui retombait sur ses yeux et sa nuque. Je n’aimais pas la façon dont il me regardait. Il y avait de la folie dans ses yeux. Et, pour ne rien arranger, il tenait mon couteau dans sa main tremblante.
– T’es qui, toi ? a-t-il demandé.
J’ai répondu que c’était à lui de se présenter et qu’il était chez moi, mais au travers de mon bâillon, il n’a pas dû comprendre grand-chose…
– Tu n’es pas ce fumier de Jarvis ! Où se cache-t-il ?
Il semblait de plus en plus nerveux, désorienté. Pour ma part, cette douleur aiguë, supportable au début, me vrillait maintenant la tête. Mes oreilles sifflaient. Je ne comprenais pas, au début, de quoi il parlait… « Jarvis » ?
Et puis, soudain, j’y voyais plus clair. C’était sans doute lui qui avait envoyé le colis avec le message de menace… Il pensait avoir retrouvé ce Jarvis, qu’il voulait apparemment tuer mais il s’était retrouvé face à un parfait inconnu.
Soudain, un bruit, en bas. Une porte qui claque, des pas… Mon sang s’est figé dans mes veines. J’ai pensé que ma femme et ma fille étaient rentrées plus tôt. Mon agresseur a regardé la porte de la chambre, les yeux écarquillés. Puis il a tourné la tête vers moi, l’air mauvais.
– On dirait qu’on a de la visite… Je vais les accueillir à ma façon, puis je reviendrais m’occuper de toi, a-t-il soufflé avoir de sortir en emportant le couteau avec lui.
Une frénésie désespérée s’est emparée de moi. Je m’agitais comme un pantin ridicule sur cette chaise pour me libérer, tant et si bien que celle-ci finit par s’effondrer sous mon poids dans un craquement sinistre. Je me suis retrouvé là, saucissonné par terre, hurlant à travers mes entraves, des larmes de désespoir et de frayeur se mêlant au sang qui suintait de ma tête…
Il y a eu des bruits de lutte en bas et j’ai entendu monsieur Psychopathe pousser un cri, des choses se casser, puis plus rien. Un silence glacial envahit l’air, comme l’anéantissement s’emparait de tout mon être. Des bruits de pas, lourds, dans les escaliers, m’annonçaient qu’il revenait, que ma fin était proche. Tant pis. Si ma famille avait connu la fin tragique que je redoutais, je préférais en finir le plus vite possible.
La porte s’est ouverte, lentement. Et là, j’ai cru basculer dans la folie. Devant moi, me regardant de toute sa hauteur, se tenait l’homme de mes cauchemars. Son visage, impassible, était strié de rides profondes sur le front et autour de la bouche. Sa barbe et ses cheveux, d’un blanc jaunâtre entouraient son visage, le rendant encore plus froid. Ses longs bras maigres étaient immobiles le long de son corps quasi squelettique. Et dans une de ses grandes mains osseuses, il tenait mon couteau.
Une enjambée lui suffit pour être près de moi. Il brandit la lame et l’approcha de mon visage. C’est fini. Adieu.
Mon bâillon est tombé mollement par terre. Mais pas de douleur, pas de sang chaud qui coule sur ma joue. Juste mes larmes. J’ai ouvert lentement les yeux.
– Du calme, je ne vous tuerai pas, m’a dit l’homme d’une voix profonde. Vous n’avez plus rien à craindre, celui qui vous a fait subir tout ça ne vous nuira plus.
– Vous… Qu’est-ce que… Qui êtes-vous ?
- Avant de répondre à vos questions, je dois vous présenter mes excuses. C’est de ma faute si vous avez connu ces derniers événements. Ce jeune homme qui vous a agressé pensait me trouver, moi.
– Jarvis Hunter !
- Oui. C’est moi. A une époque, j’étais tueur à gage. Ce jeune homme, en bas, est le fils d’un contrat que j’ai abattu, il y a une quinzaine d’années. Une véritable crapule. Je n’ai eu aucun remord à m’occuper de lui. Par contre, je n’avais pas prévu que son petit garçon assisterait à tout ça. Il en faudrait moins pour rendre quelqu’un complètement fou. Je présume qu’il voulait venger son père. La tête de clown que vous avez reçu à ma place appartenait à un jouet qu’il traînait avec lui lorsqu’il a vu son père mourir. Il a sans doute voulu me signifier que j’ai gâché son enfance.
– Mais c’est horrible, ai-je protesté ! Après tout ce qu’il a subi, par votre faute, vous l’avez tué !?
– Je n’ai jamais dit que je l’avais tué. Je ne tue plus depuis longtemps. Je l’ai juste assommé et menotté à votre radiateur.
– Pourquoi me racontez-vous tout ça ? Je veux dire… Vous vous doutez bien que je pourrais appeler la police et tout balancer!
– C’est pour cela que je ne vous ai pas détaché… Quand je serai parti, que je serai assez loin, j’appellerai la police et ils viendront s’occuper de tout.
– Une dernière chose… Comment se fait-il que j’aie déjà rêvé de vous, alors que je ne vous ai jamais vu ?
- Peut-être parce que je suis déjà venu ici plusieurs fois m’assurer que vous et votre famille ne subissiez pas les conséquences de tout ce que j’ai commis. Mais ne vous inquiétez pas, vous ne me verrez plus jamais.
Après ces mots, il sortit de la chambre et le silence reprit le premier rôle. Quelques longues, très longues minutes plus tard, j’ai entendu les cris stridents des sirènes de police, qui venaient me libérer de mon calvaire.
Des policiers et des ambulanciers ont débarqué dans ma chambre. Un homme d’un certain âge, répondant au pseudonyme d’inspecteur Alibar, m’a posé quelques questions. Il était apparemment chargé d’une enquête visant Jarvis. Ça faisait des années qu’ils n’avaient plus de nouvelles de lui.
L’homme qui m’avait agressé a été emmené par les policiers. Je suppose qu’il va se faire examiner par un psy. Tout ce que je demande, c’est de ne plus jamais les voir, lui et Jarvis.
Depuis ces événements, ma femme m’a appelé, folle d’inquiétude, m’assurant qu’elle et ma fille revenaient dès que possible. Pour ma part, malgré tout ça, je me sens plutôt bien. Ce Jarvis, même s' il est responsable de tout ça, m’a protégé comme il a pu. J’espère quand même que la police le trouvera.
Pour ce qui est de ma dernière nouvelle, et bien, qu’en pensez-vous ? Mon problème semble réglé, non ?

FIN

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