Un flair de chien

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Il est là. Ça y est. Depuis le temps que je guette son arrivée, le voilà, enfin !

Je trépigne d'impatience en le voyant se rapprocher petit à petit de la maison.

Je ne peux pas me tromper. Son allure, ses pas, je connais tout de lui.

Il porte encore son éternel sweat-shirt à capuche et les mêmes baskets qui lui font faire des grandes enjambées de quelqu’un qui paraît prêt à se mettre à courir à tout instant.

Je ne vois pas encore son regard croiser le mien, mais tout y est.

A première vue, aucun doute possible, je suis sûr de moi. J’ai beau le scruter dans tous les recoins, épier ses gestes, même de loin, je n’ai pas détecté la moindre anomalie.

Je le reconnais.

Mais il n’a pas encore dépassé le seuil du petit portillon du jardin. Tout peut encore arriver alors je le surveille et je porte une attention particulière à tout quidam,sur sa route, potentiellement menaçant envers sa personne. Le danger peut se tapir n’importe où et à n’importe quel moment, surgir. Je suis si impatient de le retrouver et de lui montrer ma satisfaction de le revoir. Comme chaque jour, mon impatience sera explosive, débordante, non maîtrisée et souvent réprimandée, si mon petit manège dure trop longtemps. Mais je ne parviens pas à m’en empêcher…d’ailleurs, je dois bien avouer que je n'essaie même pas de limiter mes démonstrations tant je suis heureux de le retrouver après nos séparations.

Comme tous les jours, à son arrivée, nous nous enlaçons si fort que l'on pourrait imaginer des retrouvailles d’après une effroyable dispute ou une banale divergence d’opinions, mais ce n’est jamais le cas.

J’affectionne particulièrement lui entraver le passage et l'empêcher d’avancer vers la cuisine, pour l’obliger à plonger sa main fouineuse dans mon pelage. A ce moment précis, il n’a plus d’autres choix que celui de me caresser et me tapoter amicalement mes flancs. Mon épiderme se détend et la sensation de bien-être s’installe, alors que durant toute la journée je parviens à peine à trouver un semblant de détente, uniquement si mes pattes sont en contact avec son oreiller abandonné sur son lit. C’est comme si mes coussinets s'enfonçaient dans du sable.

Cela me détend illico.

Entendre mon nom dans sa bouche me fait frémir de plaisir. A la façon dont il le répète tout en douceur; “oh, mon Esco, que tu est beau” je comprends dès lors que son émoi est égal au mien. Mes oreilles de Berger Malinois guettent la moindre de ses paroles. A ses commandements, je pourrais m'asseoir, me coucher, donner la pa-patte, attaquer mais ne jamais plus pister aucune traces de substances illicites ou même licites.

Car c'est bien là mon drame !

Des années à renifler des montagnes de bagages, embarqués en soute suivis de cortèges plus nombreux encore, de propriétaires, à l’hygiène toute relative et dont le plus petit orifice sert de caisse de dépôt à tout genre de substance, dont seule l’imagination humaine a le secret.

Pour finir, mon odorat s’est fait la malle au bout de huit années de bons et loyaux services, alors même que toutes les “huiles” des douanes n'avaient de cesse de me couvrir de louanges à chacun de mes états de service.

Ma carrière exercée avec panache autrefois, s'est achevée d’un seul coup et de façon irrévocable.

Pourtant, aussitôt la porte de la maison franchie, mon flair se met immédiatement en action. Ma truffe humide frémit et se met en action. La part instinctive en moi ne peut rien contrôler; sûrement un “travers” hérité du règne animal dont je suis le fier représentant.

Moi, qui ai œuvré avec moult succès, de si longues années au sein des services des douanes de l' aéroport international, dont je me garderai bien de divulguer le nom -déformation professionnelle oblige- je me retrouve en retraite anticipée et forcée.

Le même jury qui des années auparavant avait détecté toutes mes capacités”opérationnelles”m’a placé au banc de la société canine policière

J’ai beau renifler tous les plis et replis de ses vêtements, je me heurte à un vide sidéral. Tous les morceaux de tissus sont méticuleusement reniflés puis analysés dans ma banque de données canines personnelles, mais plus rien ne me parle.

Mon flair d’autrefois si performant, s’est éteint.

Mon destin ne se résume plus qu’à un flair inopérant.

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