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Perdu dans une friche industrielle, monde désolé et plat, morne plaine de mauvais augure, avec ciel de plomb et corbeaux coassants, sans le moindre signe de vie humaine, je mourais. De place en place un grand cube affreux et anonyme, nouveau dogme en architecture industrielle de ce siècle inculte et sans imagination, ceinturé de double clôtures, parsemé de caméras, avec entrée sécurisée.

Que faisais-je, là ? J’allai à mon boulot de consultant, dans une entreprise de vente en ligne, avec toujours aussi peu d’entrain. Car c’est une évidence, je n’aime pas le travail, le travail me tue littéralement. Je ne suis décidément pas fait pour ça, moi je suis un artiste ! En plus, je n’aime pas les gens que je côtoie, surtout des femmes dans cette boite de vente en ligne de chiffons féminins. Quant aux hommes, ils sont devenus anecdotiques dans notre époque dévoyée, les hommes ça ne compte plus, ils sont transparents. Misère de la féminisation à outrance, monde femelle ou le ridicule s’arbore avec le plus grand sérieux. Tous les défauts des hommes en plus hypocrites. Quoi, j’exagère ? Je mords ma chique comme on dit chez nous.

Reprenons. Pour être clair, je n’aime pas les femmes. Pas que j’ai changé de bord, hein, pas de conclusions hâtives sur mon orientation et mon genre. Non, j’aime toujours baisouiller la gueuse avec frénésie, mais j’en suis arrivé à un instant de ma réflexion existentielle où il faut faire le bilan. Je déteste les femmes, elles m’emmerdent profondément, c’est tout. C’est trop.

Tout roulant dans ce décor déprimant, j’étais absorbé dans une réflexion profonde, car tout chamboulé par un évènement fortuit. Quel était-ce ? Voilà, je vous conte.

Un peu avant d’arriver, je m’arrêtai à une station service, ma voiture au bord de faire une hypoglycémie, tant je déteste faire le plein. D’abord c’est trop cher, cousin et ensuite le gazole c’est une maladie ! Tu en as toujours plein les mains de ce truc gras, poisseux et qui pue ! Ça plèque comme nous disons avec raison. Une horreur.

Tandis que la pompe copulait gaiement mon réservoir tout en vidant mon compte en banque, je maudissais une fois de plus ces gouvernants qui avaient taxé les voitures à essence pour nous forcer à acheter du Diesel ! Le moteur à essence c’est mal, qu’ils avaient dit. Et maintenant, palsambleu ?! Le Diesel est devenu galeux et l’essence c’est bon, mais l’électrique c’est encore mieux frérot, et pour la peine on a multiplié le prix des voitures par deux. Sérieux ? Si, c’est pour ton bien et pour la planète. Faut casquer, mon ami, faut casquer ! Voleurs, je leur dis ! C’est tout bonnement du volement !

Était-ce l’objet de ma perplexité ? Que nenni !

Tandis que le Shadock pompait, mon attention fut attirée sur la piste jouxtant la mienne. Une auto bleu nuit était en train de ravitailler. Oui, je remarque toujours les détails, c’est comme ça. Toujours l’esprit ouvert.

Un objet insolite attira mon attention : un biberon ! Un bibi, ici, mais nan ! Derrière la vitre arrière de l’autre auto, un bambin sirotait son lait avec application, coincé dans son harnais de siège bébé, m’observant avec attention, sa menotte dodue enserrant le substitut mamellaire. Une petite main mignonne avec des doigts minuscules et dodus, tout le symbole de l’humain résumé là. Nos regards se croisèrent, les prunelles enfantines s’animèrent brusquement, la bouche délaissa le faux téton et soudain, un choc. La main se colla à la vitre, comme une étoile de mer, un pentagramme étrange, un message codé, un appel muet, une impulsion subliminale ?

Avais-je, à mon insu fait quelque chose de spécial qui avait attiré l’attention du petit d’homme ? Hormis mon agacement intérieur, j’étais pourtant de marbre, pas comme certaines fois où je laissai exploser mon mécontentement en lisant le tarif affiché sur la pompe inique. Non, rien. Pas un sourire, pas la moindre grimace dont je suis coutumier. J’étais l’image du Frankaoui con, le mec qu’on vole et qu’on manipule, qui ne dit rien et qui vote deux fois pour la même crapule. Le pire c’est que je suis Belge ! Double peine, double misère.

Alors pourquoi cette main plaquée et ce regard pur me fixant intensément ? Fallait-il délivrer ce pauvre gosse des entraves iniques qui l’emprisonnaient comme un fou agité sanglé dans un asile, ou un vieux attaché à son fauteuil pour son bien dans une maison de retraite ? Il n’y a qu’une femme pour faire subir ça à un nourrisson innocent sans le moindre remords ! Libérez les bébés ! #freebabies

Je n’eus pas le temps d’approfondir la question. D’abord, j’avais dépassé le montant que je m’étais fixé (je suis fauché) et surtout, la voiture bleue redémarra et s’en fut dans le néant.

Ruiné et pestant je remontai à bord de ma vieille guimbarde. J’avais envie de faire une dinguerie. La France est un pays de frustrations, c’est pourquoi les Français sont haineux et rageux. J’ai dit que je n’aime pas les Français ? Pardon, c’est un oubli malencontreux. Vous allez me dire que je ne suis pas le seul et vous aurez raison. Le monde entier déteste les Français, avec raison. Ils vivent comme des chiens et se prétendent vouloir donner des leçons au monde. Pfff ! Une chose est sûre les concernant : ils sont durs de la comprenure ! En Belgique, nous n’avons pas ce travers, Dieu et le Roi nous préservent.

Pour me calmer, je mis l’offrande musicale de Bach. J’allai à la mine le cœur triste, pauvre comme job avec l’envie farouche de tout faire péter, mais avec une classe incontestable.

— Révolution !

Le juron m’échappa. « Sauvez le bébé au biberon dans la voiture bleue, si vous le croisez ! »

En arrivant au boulot, je fus accueilli par Céline, la potiche de l’accueil qui n’a rien d’accueillant :

— C’est à ct’heure-là que tu te pointes, Lorenzo ?

— Je suis consultant, bordel, je fais ce que je veux !

— Comme ça tu me parles ?

Bz – Bz – Bz – Bz. Quatre bisous, ici c’est quatre et ça ne fait que commencer, cousin, c’est une maladie ces femmes ! Rien que pour dire bonjour en arrivant, tu claques la matinée et si tu oublies quelqu’un c’est un drame, on en parle jusqu’au soir. Même les mecs voulaient me bisouter ! Ces Français n’ont pas toutes leurs frites dans le même sachet, bordel ! Non mais sérieux ! Tu m’as bien regardé, frérot ?

Partout où je vais bosser, c’est le même refrain. Je ne suis pas aimé, je ne suis pas reconnu à ma juste valeur. On médit de moi, on complote, on parle dans mon dos, on commente le moindre fait et geste. La faute des femmes, évidemment.

Il faut dire que je cumule les handicaps. Consultant, mercenaire indépendant, déjà, on est mal vu des salariés. Célibataire de surcroît, alors là, c’est la totale. La gent féminine ne comprend pas. C’est quoi ce mec ? Pourquoi il est pas marié, ce type ? C’est quoi son problème ? C’est un anormal !

J’essaye toujours de me faire passer pour un homo, tentative désespérée de voler sous le radar féminin, mais rien à faire. Elles n’y croient pas, va savoir pourquoi. Comme quoi j’aurais des regards insistants, des attentions baladeuses, une attitude sans ambiguité… Moi ? Sérieux ? Jamais ! Never ! Un Belge sait se tenir, madame.

Après la blaguounette salace au service compta, il faut toujours flatter la ménagère de moins de cinquante ans, j’ai finalement atterri dans le « service informatique » qui est en fait le domaine de Delphine, la responsable « web ». En réalité, elle est responsable d’elle-même vu qu’elle est toute seule en temps normal. Elle est « experte réseau », en France on n'a pas peur des mots, on n’a que ça, alors on abuse. Une fois qu’on a dit la chose, on s’imagine qu’elle est. C’est magique, on n'a pas de pétrole, on a des idées. C’est le syndrome du Père la Noëlle. Le président dit qu’il n’y a plus de chômage en Frankaoui, bah c’est cool alors. Le racisme ne passera pas en France ! J’en suce mon pouce. La France est la cinquième puissance mondiale et une puissance militaire de premier ordre. Mazette !

Donc, dans cette boite, on m’a collé un petit strapontin pour ma mission, dans le service de la Delphine.

Cette meuf me déteste. Je ne sais pas pourquoi. Probablement parce que je suis trop vieux, trop mec, pas assez con… va savoir. Dans notre monde actuel, si tu as plus de trente ans, tu es sénile, foutu, has been, obsolète, bon à mourir.

— Putain Lorenzo ! T’as vu l’heure ? Comment ça se fait que tu peux pas venir à l’heure au boulot ?

— Je vais et je viens…

— Dans qui ?

— Personne ! Putain, c’est quoi cette question ?

Tu veux bosser sérieusement avec une meuf comme ça à côté de toi ? C’est inhumain.

Vous voulez savoir à quoi elle ressemble ? Une bimbo. Elle change de couleur de cheveux toutes les semaines, ombre à paupière outrageant, maquillée à mort comme une voiture volée, des ongles trop longs pour faire quoi que ce soit de précis, en réalité, c’est une handicapée de la vie, même se torcher doit relever de l’exploit. C’est simple, elle a tous les défauts des filles : curieuse comme une pie, vulgaire, impertinente, menteuse, persifleuse, superficielle, intéressée… La totale.

Elle ose poser des questions qui te déboîtent la cervelle, genre :

— Pourquoi t’es pas marié ? T’es pd ? T’as qu’une couille ?

Ou (florilège) :

— T’habites où ? Tu vis chez tes parents ? En EHPAD ?

— Tu mates mes nichons, là ? Vieux vicelard ! Je t’ai à l’œil !

— Lorenzo, quand tu penses à moi, tu te branles ?

— T’as un chat ?

— Quand t’étais jeune, t’étais beau ?

— Lorenzo, t’es riche, tu gagnes bien ?

— Tu vas mourir bientôt, t’as fait ton testament ?

Un vrai poison, je te dis. Des fois je me dis que je vais lui coller une bonne fessée, mais on va encore me dire que ça ne se fait pas, que c’est puni par la loi, bla bla bla. Époque pétocharde !

Il y a quand même un mystère dans cette familiarité qu’ont les femmes avec moi. Même quand je les connais à peine, elles se permettent des trucs inconvenants. Pourtant, je suis quelqu’un de particulièrement réservé, sur mon quant à soi, poli, galant… Très exceptionnellement, je m’emporte, et encore… Je reste très soft. Tu ne le crois pas ? Quelques réponses que je lui fis à l’occasion :

— Dis donc, la vilaine, va chier !

— Tu la veux celle-là ? Dans ta face de pain de soldat…

— Souris pas à un flic, il y a outrage…

— Pète un coup, t’es toute verte.

— Arrête de manger des féculents, t’as une grossesse surprise...

Je vous passe les jurons en arabe, parce que ça la fait fantasmer et mouiller, ça ne compte pas. C’est une Française, obligé, cherche pas à comprendre.

Encore si elle était compétente en quelque chose ? Mais, même sucer une queue elle ne doit pas savoir. C’est une dinde, et puis c’est tout. Je la hais. Mais je prends sur moi, je suis stoïque.

Et toujours à surveiller ce que je fais, tenter de regarder dans mon dos, fouiller mes papiers… Elle tomba des nues en me voyant sortir des livres et mon carnet de notes rempli de morceaux de code. Elle n’en avait jamais vu. Des livres ?! Écrire sur un papier ? Mais qui fait encore ça ? Qui ? Mais qui lit de nos jours sombres d’ignorance crasse ? Bah moi, j’ai des bouquins de code et je fais encore de vrais logiciels et pas des scripts PHP ou PERL qui ne sont que des assemblages de morceaux pompés ici et là.

Mais le pire tu ne le devineras jamais. C’est quand elle a vu ma Rolex. Alors là, j’en suis tombé de ma chaise, j’en étais baba. La meuf ne sait pas lire l’heure sur une montre à aiguille, cousin ! Et il y a des profs qui ont donné un diplôme à cette fille, sérieux ! Non c’est trop là, c’est abuser.

J’ai bien tenté de lui apprendre, mais elle n’a pas assez de neurones et de patience. Elle voulait voir une vidéo, un ‘didac’ sur YT et se plongea la tête dans son phone.

Il faut savoir qu’elle n’emploie que des expressions tronquées comme ça. Par exemple quand elle ne comprend pas un truc, elle te sort ‘j’ai pas la ref ‘. C’est une pro de l’apocope, pour ne pas dire une épouvantable fainéante, mais c’est sexiste, alors on s’abstient. Non, je ne suis pas médisant. La vérité sort de ma bouche, frérot !

Et il faut en convenir, elle n’a pas souvent la ref’. Hormis la mode, le maquillage, la télé-réalité et surtout les réseaux sociaux, rien d’autre ne traverse le néant qui lui sert de cervelle.

Voilà ma vie de… Pauvre de moi. Misanthrope ? Non. Réaliste. Cynique ? Même pas. Désabusé peut-être, et encore. Probablement trop vieux.

À la prochaine, pour de sombres pensées. Stay tuned.

Bzzzzz !

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